La rue est récente. Un siècle, pas plus pour les premières maisons, deux ou trois, pionnières du lotissement de bord de ville. À ses confins. Nous sommes dans une rue d’une ville qui a dû inventer assez tard ses quartiers. Ce n’était pas son repérage. Le découpage des gens, comme on dit, relevait plutôt de la paroisse.
Le quartier est un mot laïque et donc quasi nouveau. Une appellation d’abord administrative, pas très sociale ni intériorisée. Ce sont moins les gens du quartier qui le nomment que la bureaucratie municipale. Une ville donc qui a des confins, des fermes jusqu’aux années cinquante, et pas de banlieue. Aucun lieu n’est mis au ban.
La rue est aux confins.
Terrains moins chers, vendus petit à petit, lopin par lopin, lanière par lanière dans les alluvions du fleuve juste après la seconde guerre mondiale. Le fleuve est modeste, il vient de la Mayenne, file à La Roche-Bernard. Le petit fleuve dort, tranquille, se prélasse même, ne perdant rien pour attendre. Les falaises d’or de Penestin l’éblouiront. La rue en est loin !
Elle s’organise. Avant la première Guerre mondiale, vers 1937, voilà quelques maisons, deux ou trois, dont une à toit plat, un cube sympathique et assez iconoclaste dans cette région d’ardoises.
Aujourd’hui le cube a deux étages et deux petits logements. On y viendra, bien sûr, on y entrera !
Lorsque je débarque dans la rue, c’est à la fin d’un cycle long. Nous sommes au XXIème ! Les pionniers commencent à la quitter pour des raisons d’âge, rejoignant des villégiatures près de leurs enfants ou les maisons de retraite. La réputation de la rue est quasi nipponisée. C’est la factrice pas loin non plus de finir sa carrière qui nous le dit. Au moins trois centenaires ou presque continuent de venir chercher leur courrier, clopin, d’autres en clopant ou, parfois, c’est la factrice qui entre. Elle crie, force la voix, elle dit bien intelligiblement j’entre car les oreilles s’usent et, chez l’habitant qui est plutôt une habitante, elle tape la balosse, prend des nouvelles. Elle sait presque tout de tous ! Agent d’état et formidable chargée de mission, la préposée est une sorte de colporteuse qui, d’une maison l’autre, toute cette fin de XXème-début de suivant, porte sa bonne humeur, tous l’apprécient. Ou presque. G, on y reviendra, doit ne pas trop s’en apercevoir ni s’attendrir du passage quotidien de la cycliste à gapette.
Celle-ci connaît tout de tous, et ce depuis une trentaine d’années de bons et loyaux services. La factrice ne fait ici pas que déposer des lettres ! Elle a un fluide ! Elle sent et ressent aux couleurs et aux épaisseurs de ce qu’elle livre, au timbre aussi ou à l’en-tête ! Elle pressent les contenus, anticipe les sourires si bonne nouvelle, prépare les larmes si la facture est salée ou si les lignes noires cernent l’enveloppe. Elle boit des cafés, trinque à l’occasion, naissance, entrée en sixième etc. Elle vous le dirait qu’on ne s’en sort pas indemne d’une rue pareille. Vous verrez, vous vous y plairez ! La factrice a vu grandir les enfants, changer de métier certains habitants, peu, car c’est encore l’époque des rails, c’est-à-dire carrières longues et même employeur du début à la fin, même maison d’un bout à l’autre, même coiffure aussi sauf quand ça tombe, c’est l’âge ! Quand elle crie j’entre elle ajoute le prénom. La factrice appelle l’habitant par son prénom : j’entre, Maryvonne ! crie-t-elle bien fort car Maryvonne est devenue chenue.
Et elle monte.
Ces maisons, vous les connaissez, parpaings etc, peu d’élégance, formats banals et surtout grand sous-sol, garage, buanderie et donc escalier raide vers vie courante au premier étage avec éventuellement combles aménagées, chambres pour les enfants, ou débarras sous les pentus.
La factrice a donc pris la retraite au bon moment quand les centenaires ont commencé de plier les gaules. Ad patres, point de boîte aux lettres ni aucune facture, pas non plus de nouvelles à échanger ! Avec elle, la factrice, une ou deux conversations entre nous et pfuitt, partie. Elle a dit qu’elle reviendra, on ne sait pas si.
Ce qu’on sait, c’est qu’on essaiera de la retrouver ! Une mine !
G donc. Pas sûr qu’elle l’ait beaucoup connu, croisé, ni ait rempli sa boîte.
G, nous prenons des précautions avec lui. L’anonymons presque. Une rue est ainsi. C’est un collectif, un groupe, une communauté, rien d’autre qu’une réunion aléatoire d’humains. Cela produit des connivences, des amitiés voire des collusions et son lot d’étrangetés, c’est ainsi, c’est la dynamique systémique à l’œuvre, c’est une minuscule IFOP, un échantillonnage représentatif, une courbe de Gauss ! C’est ce qu’on se dit en entamant ces portraits. Ils nous ressemblent comme le Parlement tente d’être un miroir plus ou moins proche du corps électoral. Il nous ressemble, mais pas autant – on y reviendra, qu’il serait souhaitable. Donc cette rue parlemente, échange, se regarde et se hèle, sauf G !
G ne parle à personne, ne voit pas ceux qui l’entourent s’il voit ce qui l’entoure. Ce qu’on sait de lui, par exemple, ce n’est évidemment pas de lui qu’on le tient. De ses anciens copains, de ses voisins mais lui a le regard rare, la parole muette et le peu de gestes ritualisés.
Indiscrétion donc, regard de biais et autant de lui que de moi !
G regarde les matches de foot et son écran se voit de la rue. Vaste et plat.
Belle bibliothèque visible du trottoir mais on ne voit rien des tranches ni des titres, évidemment ! Dis-moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es ! Ici, on ne sait lire le voisin qu’à travers rien sinon le voisinage, les parlementaires.
G prend son vélo tôt matin. Pas tous, presque. Il sort discréto, casque sanglé sur tête, rondeur arrondie de jugulaire et file pour une heure. Il revient soixante minutes après, top chrono, son portail glisse, celui de son jardinet, puis celui de son garage. Silence. Il disparaît. G, casque noir, blouson sombre, pantalon noir. Voilà. Vélo noir. Complétons la gamme. Le portail automatique et sombre s’est refermé et la porte du garage, noire, automatique aussi. Il peut réapparaître sans casque, car piéton mais les oreilles bien bouchées par des écouteurs. G est à l’écoute, il ne voit ni n’entend le voisinage.
Silence.
Ce qu’on sait de G ne l’est pas de sa bouche. C’est ici commérage doux et empathie par procuration, voire contumace.
La rue a des bonheurs et bien sûr des malheurs. La rue a des hauts et bien entendu des bas bien que sa cinquantaine de maisons soient à peu près au même plan. À peu près car il s’agit ici, néanmoins, d’observer quelques courbes de niveaux sensibles et descendantes. La rue est à angles droits. Elle forme un rigoureux quadrilatère dont un de ses côtés avoisine le ru dit des Pivardières filant au fleuve. Ru busé sur sa fin où Pierre et les autres pêchaient les écrevisses, pieds dans l’eau et short à l’éclabousse. Avec G ? On posera la question à Pierre, pas à G, trop renfermé, inaccessible, taiseux. Silencio. Parler de G, nous en avons bien conscience, rompt un silence.
Certaines maisons ont des inclinaisons jardinières ou des pilotis s’imposent sous leurs terrasses.
La maison de G est au beau milieu, terrain plat et silence radio sauf dans ses oreilles.
Il est né dans la maison où il vit.
Il en est parti, vers l’est à ce qu’on sait, prendre un poste de fonctionnaire au Ministère du Travail. Et là, le malheur. Ni à cause de l’est, ni à cause de l’emploi, non, le destin qui fait mouche, la mort qui frappe, sa femme en moins de temps qu’il faut pour l’écrire, d’accident automobile à ce qu’on sait, meurt.
Il revient donc dans la ville natale et pas loin de cette maison de la rue où il vit à présent, où y vivaient à l’époque ses parents dont il se rapproche. La grand-mère contribuera à l’élevage des trois enfants. Elle qui les accompagne à l’école, goûter du quatre heures, tartines larges, beurre épais, chocolat Menier ou compote de pommes. Elle qui assure les rendez-vous par ci et les activités par là. G vient le soir les chercher, le matin les poser et s’ensuit une engeance élevée par les mêmes que G et au même endroit. Où il revient pour la retraite, ses parents morts dont il fait désosser la maison, l’évider en son centre, remonter les étages, enduire de chaux, bref il rénove.
G vit où il est né.
Lorsqu’ils reviennent dans la rue, d’un coup de vélo, ou un dimanche en auto pour le poulet-frites (ceci est pure imagination !) du midi, les enfants qui ont été gâtés au goûter par la grand-mère et le grand-père saluent les voisins, ont des regards, croisent les yeux. Ce n’est donc ni fatal ni génétique, le regard peut sauter les générations ! D’ailleurs on le voit que G regarde ses enfants. Il s’adresse à eux. Il a une voix, donc, on en est certains. Il leur dit salut quand ils partent, toujours le même salut notoire et sonore, et il rentre chez lui, ferme la porte, non sans ajuster son flot d’ondes en oreillettes. On pensera lui demander sur quelle radio il est branché, quel podcast. On n’osera pas.
Lorsqu’arrivé dans ses parages, nous voulûmes le saluer en tant que des futurs voisins, il nous répondit, ce fut la seule et unique conversation.
Voyez, lorsque nous évoquons la factrice, ou G, comme on se sent déjà ancien dans la rue. Un nouveau facteur est venu pour remplacer la factrice qui sait tout, parle à tous, se souvient des enfants et des petits-enfants. Le nouveau s’est familiarisé. Un gars tout casqué, tout masqué par le covid, tout aimable, de gauche et d’un certain âge, un gars aux ventes de calendriers, je sais que vous voulez du rétro, du noir et blanc, je vous en ai gardé ! Un gars, le nouveau facteur, parlant de la ville où il vit depuis toujours, où il travaille et où il est bien et d’où il n’a qu’une envie, l’heure de la retraite approchant, c’est de partir. La mer, c’est pas mal non plus dit-il, aux lèvres un bon sourire de casque sans masque (fin du covid !). Elle est venue la retraite.
Finies les conversations d’évolution de service, de néo-management postal très rude, de tournées productives et de vélo électrique sans remplaçant le samedi où il n’est pas là, tant pis pour votre presse. Un facteur, deux, ils partent toujours deux fois. Voyez comme cela fait des siècles que votre servauteur parlemente dans la rue !
Moins de siècles que G qui nous avait seulement fait comprendre, nous devions tendre l’oreille lors de cette unique conversation, nous ne savions pas que nous forcions une forteresse, il nous fit comprendre rien ou si peu, seulement, que de la rue, il était parti et puis il y était revenu. J’avais l’oreille tendue mais bouchée. Au Parlement des voisins, il y a des ténors, des grandes gueules et des voix qui ne portent pas. On ne les entend qu’en forçant l’oreille puisqu’aussi bien ils ne forcent pas la voix.
Comment avais-je compris de travers qu’il était parti aux colonies et était revenu dans la maison de naissance. Dans sa rue. Chez lui.
Pour les colonies, c’était n’importe quoi, mon tympan avait fourché. Pour le malheur quand il est grand, et il le fut pour G, ça intime à l’intime, à baisser la voix jusqu’à l’inaudible. Peut-être m’avait-il murmuré le malheur de l’Est, l’accident, la fatalité, peut-être ai-je tout mélangé, ou n’ai-je rien compris, ou cela, dans la bouche de G si douloureux est-il devenu ce mot bizarre et totalement illégitime de colonie !
Depuis, silence.
Ce qui au Parlement, reconnaissons-le, n’est pas politique mais touche au dramatique.
Le quartier est un mot laïque et donc quasi nouveau. Une appellation d’abord administrative, pas très sociale ni intériorisée. Ce sont moins les gens du quartier qui le nomment que la bureaucratie municipale. Une ville donc qui a des confins, des fermes jusqu’aux années cinquante, et pas de banlieue. Aucun lieu n’est mis au ban.
La rue est aux confins.
Terrains moins chers, vendus petit à petit, lopin par lopin, lanière par lanière dans les alluvions du fleuve juste après la seconde guerre mondiale. Le fleuve est modeste, il vient de la Mayenne, file à La Roche-Bernard. Le petit fleuve dort, tranquille, se prélasse même, ne perdant rien pour attendre. Les falaises d’or de Penestin l’éblouiront. La rue en est loin !
Elle s’organise. Avant la première Guerre mondiale, vers 1937, voilà quelques maisons, deux ou trois, dont une à toit plat, un cube sympathique et assez iconoclaste dans cette région d’ardoises.
Aujourd’hui le cube a deux étages et deux petits logements. On y viendra, bien sûr, on y entrera !
Lorsque je débarque dans la rue, c’est à la fin d’un cycle long. Nous sommes au XXIème ! Les pionniers commencent à la quitter pour des raisons d’âge, rejoignant des villégiatures près de leurs enfants ou les maisons de retraite. La réputation de la rue est quasi nipponisée. C’est la factrice pas loin non plus de finir sa carrière qui nous le dit. Au moins trois centenaires ou presque continuent de venir chercher leur courrier, clopin, d’autres en clopant ou, parfois, c’est la factrice qui entre. Elle crie, force la voix, elle dit bien intelligiblement j’entre car les oreilles s’usent et, chez l’habitant qui est plutôt une habitante, elle tape la balosse, prend des nouvelles. Elle sait presque tout de tous ! Agent d’état et formidable chargée de mission, la préposée est une sorte de colporteuse qui, d’une maison l’autre, toute cette fin de XXème-début de suivant, porte sa bonne humeur, tous l’apprécient. Ou presque. G, on y reviendra, doit ne pas trop s’en apercevoir ni s’attendrir du passage quotidien de la cycliste à gapette.
Celle-ci connaît tout de tous, et ce depuis une trentaine d’années de bons et loyaux services. La factrice ne fait ici pas que déposer des lettres ! Elle a un fluide ! Elle sent et ressent aux couleurs et aux épaisseurs de ce qu’elle livre, au timbre aussi ou à l’en-tête ! Elle pressent les contenus, anticipe les sourires si bonne nouvelle, prépare les larmes si la facture est salée ou si les lignes noires cernent l’enveloppe. Elle boit des cafés, trinque à l’occasion, naissance, entrée en sixième etc. Elle vous le dirait qu’on ne s’en sort pas indemne d’une rue pareille. Vous verrez, vous vous y plairez ! La factrice a vu grandir les enfants, changer de métier certains habitants, peu, car c’est encore l’époque des rails, c’est-à-dire carrières longues et même employeur du début à la fin, même maison d’un bout à l’autre, même coiffure aussi sauf quand ça tombe, c’est l’âge ! Quand elle crie j’entre elle ajoute le prénom. La factrice appelle l’habitant par son prénom : j’entre, Maryvonne ! crie-t-elle bien fort car Maryvonne est devenue chenue.
Et elle monte.
Ces maisons, vous les connaissez, parpaings etc, peu d’élégance, formats banals et surtout grand sous-sol, garage, buanderie et donc escalier raide vers vie courante au premier étage avec éventuellement combles aménagées, chambres pour les enfants, ou débarras sous les pentus.
La factrice a donc pris la retraite au bon moment quand les centenaires ont commencé de plier les gaules. Ad patres, point de boîte aux lettres ni aucune facture, pas non plus de nouvelles à échanger ! Avec elle, la factrice, une ou deux conversations entre nous et pfuitt, partie. Elle a dit qu’elle reviendra, on ne sait pas si.
Ce qu’on sait, c’est qu’on essaiera de la retrouver ! Une mine !
G donc. Pas sûr qu’elle l’ait beaucoup connu, croisé, ni ait rempli sa boîte.
G, nous prenons des précautions avec lui. L’anonymons presque. Une rue est ainsi. C’est un collectif, un groupe, une communauté, rien d’autre qu’une réunion aléatoire d’humains. Cela produit des connivences, des amitiés voire des collusions et son lot d’étrangetés, c’est ainsi, c’est la dynamique systémique à l’œuvre, c’est une minuscule IFOP, un échantillonnage représentatif, une courbe de Gauss ! C’est ce qu’on se dit en entamant ces portraits. Ils nous ressemblent comme le Parlement tente d’être un miroir plus ou moins proche du corps électoral. Il nous ressemble, mais pas autant – on y reviendra, qu’il serait souhaitable. Donc cette rue parlemente, échange, se regarde et se hèle, sauf G !
G ne parle à personne, ne voit pas ceux qui l’entourent s’il voit ce qui l’entoure. Ce qu’on sait de lui, par exemple, ce n’est évidemment pas de lui qu’on le tient. De ses anciens copains, de ses voisins mais lui a le regard rare, la parole muette et le peu de gestes ritualisés.
Indiscrétion donc, regard de biais et autant de lui que de moi !
G regarde les matches de foot et son écran se voit de la rue. Vaste et plat.
Belle bibliothèque visible du trottoir mais on ne voit rien des tranches ni des titres, évidemment ! Dis-moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es ! Ici, on ne sait lire le voisin qu’à travers rien sinon le voisinage, les parlementaires.
G prend son vélo tôt matin. Pas tous, presque. Il sort discréto, casque sanglé sur tête, rondeur arrondie de jugulaire et file pour une heure. Il revient soixante minutes après, top chrono, son portail glisse, celui de son jardinet, puis celui de son garage. Silence. Il disparaît. G, casque noir, blouson sombre, pantalon noir. Voilà. Vélo noir. Complétons la gamme. Le portail automatique et sombre s’est refermé et la porte du garage, noire, automatique aussi. Il peut réapparaître sans casque, car piéton mais les oreilles bien bouchées par des écouteurs. G est à l’écoute, il ne voit ni n’entend le voisinage.
Silence.
Ce qu’on sait de G ne l’est pas de sa bouche. C’est ici commérage doux et empathie par procuration, voire contumace.
La rue a des bonheurs et bien sûr des malheurs. La rue a des hauts et bien entendu des bas bien que sa cinquantaine de maisons soient à peu près au même plan. À peu près car il s’agit ici, néanmoins, d’observer quelques courbes de niveaux sensibles et descendantes. La rue est à angles droits. Elle forme un rigoureux quadrilatère dont un de ses côtés avoisine le ru dit des Pivardières filant au fleuve. Ru busé sur sa fin où Pierre et les autres pêchaient les écrevisses, pieds dans l’eau et short à l’éclabousse. Avec G ? On posera la question à Pierre, pas à G, trop renfermé, inaccessible, taiseux. Silencio. Parler de G, nous en avons bien conscience, rompt un silence.
Certaines maisons ont des inclinaisons jardinières ou des pilotis s’imposent sous leurs terrasses.
La maison de G est au beau milieu, terrain plat et silence radio sauf dans ses oreilles.
Il est né dans la maison où il vit.
Il en est parti, vers l’est à ce qu’on sait, prendre un poste de fonctionnaire au Ministère du Travail. Et là, le malheur. Ni à cause de l’est, ni à cause de l’emploi, non, le destin qui fait mouche, la mort qui frappe, sa femme en moins de temps qu’il faut pour l’écrire, d’accident automobile à ce qu’on sait, meurt.
Il revient donc dans la ville natale et pas loin de cette maison de la rue où il vit à présent, où y vivaient à l’époque ses parents dont il se rapproche. La grand-mère contribuera à l’élevage des trois enfants. Elle qui les accompagne à l’école, goûter du quatre heures, tartines larges, beurre épais, chocolat Menier ou compote de pommes. Elle qui assure les rendez-vous par ci et les activités par là. G vient le soir les chercher, le matin les poser et s’ensuit une engeance élevée par les mêmes que G et au même endroit. Où il revient pour la retraite, ses parents morts dont il fait désosser la maison, l’évider en son centre, remonter les étages, enduire de chaux, bref il rénove.
G vit où il est né.
Lorsqu’ils reviennent dans la rue, d’un coup de vélo, ou un dimanche en auto pour le poulet-frites (ceci est pure imagination !) du midi, les enfants qui ont été gâtés au goûter par la grand-mère et le grand-père saluent les voisins, ont des regards, croisent les yeux. Ce n’est donc ni fatal ni génétique, le regard peut sauter les générations ! D’ailleurs on le voit que G regarde ses enfants. Il s’adresse à eux. Il a une voix, donc, on en est certains. Il leur dit salut quand ils partent, toujours le même salut notoire et sonore, et il rentre chez lui, ferme la porte, non sans ajuster son flot d’ondes en oreillettes. On pensera lui demander sur quelle radio il est branché, quel podcast. On n’osera pas.
Lorsqu’arrivé dans ses parages, nous voulûmes le saluer en tant que des futurs voisins, il nous répondit, ce fut la seule et unique conversation.
Voyez, lorsque nous évoquons la factrice, ou G, comme on se sent déjà ancien dans la rue. Un nouveau facteur est venu pour remplacer la factrice qui sait tout, parle à tous, se souvient des enfants et des petits-enfants. Le nouveau s’est familiarisé. Un gars tout casqué, tout masqué par le covid, tout aimable, de gauche et d’un certain âge, un gars aux ventes de calendriers, je sais que vous voulez du rétro, du noir et blanc, je vous en ai gardé ! Un gars, le nouveau facteur, parlant de la ville où il vit depuis toujours, où il travaille et où il est bien et d’où il n’a qu’une envie, l’heure de la retraite approchant, c’est de partir. La mer, c’est pas mal non plus dit-il, aux lèvres un bon sourire de casque sans masque (fin du covid !). Elle est venue la retraite.
Finies les conversations d’évolution de service, de néo-management postal très rude, de tournées productives et de vélo électrique sans remplaçant le samedi où il n’est pas là, tant pis pour votre presse. Un facteur, deux, ils partent toujours deux fois. Voyez comme cela fait des siècles que votre servauteur parlemente dans la rue !
Moins de siècles que G qui nous avait seulement fait comprendre, nous devions tendre l’oreille lors de cette unique conversation, nous ne savions pas que nous forcions une forteresse, il nous fit comprendre rien ou si peu, seulement, que de la rue, il était parti et puis il y était revenu. J’avais l’oreille tendue mais bouchée. Au Parlement des voisins, il y a des ténors, des grandes gueules et des voix qui ne portent pas. On ne les entend qu’en forçant l’oreille puisqu’aussi bien ils ne forcent pas la voix.
Comment avais-je compris de travers qu’il était parti aux colonies et était revenu dans la maison de naissance. Dans sa rue. Chez lui.
Pour les colonies, c’était n’importe quoi, mon tympan avait fourché. Pour le malheur quand il est grand, et il le fut pour G, ça intime à l’intime, à baisser la voix jusqu’à l’inaudible. Peut-être m’avait-il murmuré le malheur de l’Est, l’accident, la fatalité, peut-être ai-je tout mélangé, ou n’ai-je rien compris, ou cela, dans la bouche de G si douloureux est-il devenu ce mot bizarre et totalement illégitime de colonie !
Depuis, silence.
Ce qui au Parlement, reconnaissons-le, n’est pas politique mais touche au dramatique.