Madeleine de Sinéty nous montre un monde paysan qui a été vu de l'intérieur, depuis son intimité quotidienne. Ces photos ne pouvaient être que d'une personne qui en était venue à faire partie de la famille, du village, et à tout partager de la vie du pays.

Face aux classifications habituelles, ce travail photographique possède un statut très particulier. Il ne relève exactement ni du reportage, ni de la photo de famille. Il n'est pas du reportage puisqu'il n'est pas le regard d'un visiteur étranger venu saisir ce qui, pour lui et son public, relève de l'insolite et du pittoresque, voire d'une sorte d'exotisme. Ce que Madeleine de Sinéty nous fait connaître ici c'est, pour une large part, sa propre vie. Elle s'est glissée parmi ces paysans comme le chat de la maison.

Mais il ne s'agit pas non plus de photographie de famille. Une photo de famille typique n’est pas nécessairement maladroite, [. . .] mais elle n'a été faite que pour le souvenir qu'elle sera. Elle ne veut que parler la langue de ses modèles [. . .]. Son sens n'est que pour quelques-uns. Ici au contraire la maîtrise s'impose évidemment et se place d'emblée dans une dimension de l'universel qui est celle de l'art.

[. . .]

La force et la joie qui sortent de ces images ne laissent guère de place aux analyses esthétiques du critique consciencieux. Les images que les mêmes mots pourraient précisément décrire ne nous feraient rien ressentir de semblable. [. . .] L'odeur des choses se lève ici aussi vite et aussi fort que leurs formes. Et la vérité des gens se confond avec la plénitude de leurs contours.

Pour ceux qui savent, avec Zarathoustra, que toute richesse spirituelle ne peut que nous mener enfin au sens de la terre, le travail de Madeleine de Sinéty parle moins du passé que de l'espérance.

Jean-Claude Lemagny
Conservateur général au département des Estampes et de la Photographie
Bibliothèque nationale de France

cahiers d'une exposition / 12

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