2016 09 21 Raymond Dupont.mp3 (18.79 Mo)
« Liberté, égalité, fraternité, oui, ça a toujours du sens. Et ça en a eu pour moi toute ma vie durant. J’ai toujours été habité par ces valeurs, même quand j’étais cadre, et peut-être encore plus car ma position me permettait d’être en phase avec mes convictions, occasion de rapports humains plus affichés ! On m’a toujours considéré comme un homme de gauche, défendant la liberté, l’égalité, la fraternité, je voulais cela absolument afin qu’il n’y ait d’ambiguïté.
Liberté
C’est d’abord la liberté de pouvoir dire, s’exprimer, repousser les contraintes avoir droit à l’égalité de traitement. Les individus sur terre sont différents, et contrairement à une idée répandue aujourd’hui, nous devons accepter le principe universel des races, au sens le plus noble et respectueux, visant à nier la supposée infériorité de certaines d’entre elles. En France, c’est haro sur l’Arabe, le musulman. La couleur de peau, les faciès et bien d’autres signes qui pourtant doivent rester des lieux forts d’identité. Il faut que chacun garde la sienne, c’est aussi cela la liberté.
Ça fait des années que j’entends les politiques dire : "Il faut aller près des gens !" Mais j’ai l’impression que nos politiques ne savent pas où sont les gens en question, ils ne savent pas ce que sont les gens, comment ils vivent, comment ils parlent, quelle allure ils ont, doit-on en avoir peur… Ils ne les rencontrent pas, ne savent pas vraiment où ils se trouvent. Mais, plus que les hommes et femmes politiques, c’est l’appareil politique qui doit être sur le terrain, les militants, les sections… et pas qu’à l’heure des élections ! Tant que l’on gouvernera d’en haut on ira dans le mur. Arrêtons de prendre les gens pour "des veaux".
C’est aussi la liberté de se syndiquer au sein de l’entreprise. C’est quelque chose qui disparaît avec des conditions de travail qui se dégradent, les pressions de l’extérieur via les médias : "Ils emmerdent le brave monde avec leurs grèves à répétition". C’est honteux ! Il y aurait besoin de la présence d’un syndicat dans bon nombre d’entreprises. Il se dit qu’il faudrait qu’il soit réformateur pour que la société évolue. Oui mais pour qui ? C’est sûrement une des conditions pour accéder à l’égalité dont on nous rebat les oreilles et qui avance à petits pas.
Du coup, la liberté appartient à quelqu’un d’autre, celui qui a les moyens, celui qui dirige, a le pognon, le possédant. On a supprimé le concept de lutte des classes : quelle énorme connerie ! Pourtant, elles existent bien toujours, de plus en plus. On a même inventé la caste des pauvres comme en Inde. De son temps, un certain Georges .Marchais annonçait lors d’une émission TV que notre pays comptait de nombreux pauvres, qu’il ne fallait pas se cacher les mots, en avoir peur comme une chose misérable et honteuse. Gagné : ils sont huit millions sous le seuil de pauvreté.
Ça fait des années que j’entends les politiques dire : "Il faut aller près des gens !" Mais j’ai l’impression que nos politiques ne savent pas où sont les gens en question, ils ne savent pas ce que sont les gens, comment ils vivent, comment ils parlent, quelle allure ils ont, doit-on en avoir peur… Ils ne les rencontrent pas, ne savent pas vraiment où ils se trouvent. Mais, plus que les hommes et femmes politiques, c’est l’appareil politique qui doit être sur le terrain, les militants, les sections… et pas qu’à l’heure des élections ! Tant que l’on gouvernera d’en haut on ira dans le mur. Arrêtons de prendre les gens pour "des veaux".
C’est aussi la liberté de se syndiquer au sein de l’entreprise. C’est quelque chose qui disparaît avec des conditions de travail qui se dégradent, les pressions de l’extérieur via les médias : "Ils emmerdent le brave monde avec leurs grèves à répétition". C’est honteux ! Il y aurait besoin de la présence d’un syndicat dans bon nombre d’entreprises. Il se dit qu’il faudrait qu’il soit réformateur pour que la société évolue. Oui mais pour qui ? C’est sûrement une des conditions pour accéder à l’égalité dont on nous rebat les oreilles et qui avance à petits pas.
Du coup, la liberté appartient à quelqu’un d’autre, celui qui a les moyens, celui qui dirige, a le pognon, le possédant. On a supprimé le concept de lutte des classes : quelle énorme connerie ! Pourtant, elles existent bien toujours, de plus en plus. On a même inventé la caste des pauvres comme en Inde. De son temps, un certain Georges .Marchais annonçait lors d’une émission TV que notre pays comptait de nombreux pauvres, qu’il ne fallait pas se cacher les mots, en avoir peur comme une chose misérable et honteuse. Gagné : ils sont huit millions sous le seuil de pauvreté.
Égalité
C’est l’égalité entre les hommes, les femmes, entre les races (même s’il ne faut plus employer ce mot, je pense que les races existent toujours, les faire disparaitre est la négation d’une vérité. Un homme dit « de couleur » valant autant qu’un homme de couleur blanche, jaune, ils sont faits des mêmes éléments physiques et chimiques). Il faut intégrer les gens différents dans une nation, au cours d’un lent processus certes mais on se doit de le faire, cela s’est fait de tous temps. Je pense qu’il y a des pays où on sait le faire mais chez nous, on ne sait pas parce qu’on ne le veut pas, la peur de l’autre, avec des distinguos toutefois car il semblerait qu’il puisse y avoir des intégrables et d’autres pas. On a souvent peur de l’autre dès lors qu' il se trouve être différent. Nous sommes, j’en reste convaincu, une nation raciste, xénophobe pour une partie de la population (les 30 à 40% de celles et ceux rangés à l’heure des consultations derrière qui vous savez, mais pas seulement à cette adresse. Le F.N bien sur et…..
Ces gens là adhèrent à un courant de pensée n’en déplaise à certains qui se cachent derrière leur petit doigt. Ils se réveilleront encore une fois de plus trop tard, lorsque "le mal" sera installé. Certains n’ont-ils pas peur ? Aime-ton sincèrement notre voisin ou parfois celui qui vit ailleurs, là ou ils ont été regroupés en communautés dites "d’origine » ou celui dont les origines sont "maghrébine, algérienne en particulier, arabe en général".
Nous avons des progrès immenses à faire sur nous-mêmes. L’égalité, 68, c’était un virage. Plus loin que les conquêtes autour des accords de Grenelle, on a cru à l’égalité entre les femmes et les hommes. Foutaise, même si l’on a fait des progrès. Les femmes ont libéré leurs corps, acquis des droits fondamentaux, certes, mais elles sont trop souvent montrées aujourd’hui comme des produits de consommation, des icônes sexuelles mises en scène par certaines publicités que la censure officielle tolère, ne veut pas voir. La société s’est égarée. Il faut que cela cesse. Il faut que chacun dans la société ait sa place. L’utilisation du "tu" et du "vous" y contribue. C’est le respect de l’autre, montrer ce qui le différencie. Un "tu" n’a rien de commun avec un "vous". On se tutoie et ça nivelle.
Fraternité
C’est de plus en plus difficile de l’exercer, la fraternité, quand on voit les événements qui se passent, les actes terroristes. La cassure s’est faite avec Giscard. Depuis, ça dégénère partout. On ne comprend plus ce qui se passe dans notre société. On réalise que l’on est submergé. Même avec les idées que je véhicule dans ma tête, je sais que je ne pourrai plus vivre là où j’étais avant, en région parisienne. J’accepterais difficilement la proximité de ces nouvelles populations arrivées avec des langues et traditions tellement différentes des nôtres. J’aurais le sentiment d’étouffer, c’est trop et trop vite pour assimiler mentalement je ne comprends plus mon pays, ce qu’il est devenu, brutalement, en trente années. Vu de la campagne la chose peut effrayer encore plus, les médias nous y aident à plaisir. La France va accueillir quelques migrants, réfugiés fuyant des guerres (30 000 sur trois ans) : c’est nul, ridicule, j’ai tellement honte. On les laisse mourir par milliers en méditerranée, en mer Egée ou ailleurs. Je suis hanté par le souvenir de ce petit « Aylan Kurdi », enfant de trois ans, noyé, face plantée à demi dans le sable et l’eau de mer au bord d’une plage anonyme. Qui s’en souvient encore ? Avec qu’elle émotion. J’ai sa photo dans mon ordi, sur la porte du frigo.
Pourquoi l’Allemagne arrive-t-elle à trouver des moyens pour accueillir et nous pas ? Ce qui me rassure, ce sont les jeunes générations qui arrivent car elles se retrouvent vite ensemble sur les mêmes bancs d’écoles, de lycées, de facs, d’universités. C’est leur société, le monde qui est le leur, ils ne connaissent que cela. Je suis rassuré pour eux, encore faut-il que la République et ses attributs (démocratie, droit de culte, laïcité, égalité des chances, des sexes, des races) sache se faire entendre et respecter.
Autrefois, on chantait l’Internationale. Elle nous unissait nous réunissait, nous menait vers des victoires. A présent on braille la Marseillaise à tout va, pour tout et n’importe quoi par n’importe qui, comme sous Pétain. Il y avait dans Fraternité, le sentiment d’une cohésion, sentiment d’appartenir à un monde commun. Le chacun pour soi, l’individualisme nous éloigne de la fraternité.
Dès 1971, le patronat s’est mis à attaquer, un par un, chacun des droits acquis en 1968 avec le concours d’ailleurs des syndicats réformistes. Tout n’a pas été perdu. Mais. Le maintien de nos droits acquis ce n’est pas gagné, "la Loi travail" passant par là. Les vieux, on ne sera plus là pour voir la suite alors !… Advienne que pourra, l’avenir leur appartient. »
RAYMOND DUPONT, MÉCANO CHEZ « PANPAN » ET DE TOUTES LES LUTTES
Raymond Dupont est né en 1937, à Chartres, en Eure-et-Loir. Il vit la guerre, les bombardements et les privations, terrorisé comme tous les mômes. A quatre reprises, la famille déménage et son père disparaît, engagé dans un réseau de résistance, « un père, dit Raymond, que l’on n’a jamais vraiment eu… Nous nous parlions peu. » En 1950, la famille s’installe à Paris. Sept ans plus tard, Raymond a 20 ans, il rencontre Nicole qui deviendra sa femme, juste avant d’être appelé sous les drapeaux.
« Dans la famille, on est de gauche, à gauche toute, et on se souvient du Front populaire ! » Nicole travaille dans les assurances, est membre des Jeunesses communistes et milite au sein du mouvement des "Femmes françaises". Raymond s’engage au parti communiste, au sein de la cellule Fanny Dewerppe, du nom de cette jeune femme de 31 ans assassinée en 1962 par les CRS aux ordres de Papon. En septembre 1957, Raymond est appelé sous les drapeaux dans la "57 2A" : camp des Mortemets à Versailles. Le temps des classes, puis départ pour l’Algérie. Quelque temps après, il contracte une maladie et doit être rapatrié : « Je suis muté à Aulnay-sous-Auneau en Eure-et-Loir, à l’ERGMAU, à l’atelier de mécanique pour l’entretien de matériel du Génie. Mon métier de prédilection ! »
« Dans la famille, on est de gauche, à gauche toute, et on se souvient du Front populaire ! » Nicole travaille dans les assurances, est membre des Jeunesses communistes et milite au sein du mouvement des "Femmes françaises". Raymond s’engage au parti communiste, au sein de la cellule Fanny Dewerppe, du nom de cette jeune femme de 31 ans assassinée en 1962 par les CRS aux ordres de Papon. En septembre 1957, Raymond est appelé sous les drapeaux dans la "57 2A" : camp des Mortemets à Versailles. Le temps des classes, puis départ pour l’Algérie. Quelque temps après, il contracte une maladie et doit être rapatrié : « Je suis muté à Aulnay-sous-Auneau en Eure-et-Loir, à l’ERGMAU, à l’atelier de mécanique pour l’entretien de matériel du Génie. Mon métier de prédilection ! »
En janvier 61, « après 28 mois, 8 jours et… 17 heures ! », il est libéré et entre aux ateliers d’usinage de l’entreprise Panhard-Levassor, à l’atelier de pignonerie de boîte de vitesses de la PL 17, de la 24, de la 3 CV ou encore, des éléments du moteur de la 2 CV Citroën. Il réintègre le PC, milite à la CGT et ne tarde pas à être élu délégué du personnel et membre du comité d’entreprise. Avec Nicole, il s’est installé dans le 10e arrondissement de Paris. Naissent leurs deux enfants : « On vit à l’étroit ! Les enfants doivent monter et démonter leurs lits tous les matins pour dresser la table. Mais c’est ainsi… ce n’est pas tout tout de suite ! »
Raymond ne se souvient plus très bien pourquoi il devient militant : « Peut-être le climat social de l’époque, les injustices partout et dans le monde du travail en particulier avec des semaines de 54 à 70 heures, parfois les 2 x 11, les conditions sanitaires et conditions de travail… » Siégeant au comité du parti, Raymond devient le correspondant du journal de l’entreprise, « Le Pan-Pan, un beau quatre pages ». Il crée aussi un journal syndical d’atelier relatant des faits de la vie des ateliers. Sur Goussainville, il est au comité de défense de l’Humanité et assure la vente de la presse du parti chaque dimanche : l’Humanité Dimanche, France Nouvelle, l’Avant-garde, le journal du Val d’O.
Dans l’entreprise, il anime la section MOI, Main-d’œuvre Immigrée, constituée majoritairement d’anciens républicains espagnols : « Cette époque est passionnante. Entre nous, les liens sont chaleureux, puissants et généreux. Ils ont tant à nous dire de ce que furent leurs combats pour la liberté tant convoitée. » Au sein de la section, il y a aussi les travailleurs algériens, déboussolés, pris entre les feux du MNA et de l’ALN qui veillent : « Ils restent effacés, se souvient Raymond, mais respectent nos combats. Nous avons des relations fraternelles et nous nous comprenons mutuellement. Bon nombre d’entre eux disparaissent lors des soulèvements et mouvements de répression de la police de Papon : 200 victimes jetées dans la Seine, les mains ligotées dans le dos... Ils restent dans ma mémoire comme Bilal, mon ami, que je pleure parfois même si je ne me souviens plus très bien de son visage. »
Les luttes, mai 68… la mutation à Rennes - La Janais
Tout au long de son engagement syndical, Raymond croise de grands dirigeants charismatiques comme Georges Marchais, Benoit Frachon de la « Céget », Edmond Maire de la CFDT… En 1965 l’usine Panhard est absorbée par Citroën et Raymond perd sa qualification professionnelle. Grâce à une formation, il devient agent de maîtrise. Mai 1968, les étudiants de la fac Jussieu sont dans la rue : « Ils viennent vers nous pensant pouvoir nous donner des notions sur les façons de combattre le grand capital ! Mais nous n’avions pas besoin d’eux. Nous occupions déjà nos usines aux premières heures du jour où tout se déclencha, la grève générale, dans la foulée de Simca-Poissy, du bateau de l’Ile Seguin pour Renault, après la SNCASO de Sud Aviation et de Nantes la veille. »
Une à une, les usines vont fermer. Les ouvriers subissent alors licenciements massifs et délocalisations programmées. En 1987, Raymond est muté à Rennes pour travailler à La Janais comme agent de maîtrise de niveau 2 puis cadre : « Au moins à la Janais, j’ai vu des voitures entières se fabriquer. Moi qui toute ma vie, n’en avais fait que des bouts ! » Le monde change : « Place à la création et à l’intelligence. Dégagez ! On n’a plus besoin de vous. Le patron c’est Auguste Génovèse. Avec lui on avance, on ne tourne pas autour du pot pour toujours regarder les sommets et ne jamais se retourner, semble-t-il dire à ses cadres avec lesquels les relations sont cordiales mais énergiques. » Avec sa femme, Raymond s’installe d’abord à Rennes puis à Guipry et enfin, dans une petite maison à Pipriac. En 1994, sonne l’heure de la retraite.
« Je me sens orphelin… »
« Aujourd’hui j’ai l’impression que seules les têtes pensantes semblent savoir où elles vont… et encore, ce n’est pas certain ! Plus de PC, je me sens orphelin. J’ai des copains mais ce ne sont plus vraiment des camarades au sens militant. En s’ultra-libéralisant, la société oublie qu’il existe toujours des prolos, des employés, des paysans, un monde du travail qui n’a plus que ses yeux pour pleurer. J’ai l’impression que nous, les militants, ne sommes plus que des distributeurs de flyer !
Il n’y a aucune chance, je crois, que la gauche ne forme jamais un front uni. Ce qui a été détruit l’a été durablement, irrémédiablement à cause des manipulations des membres du parti socialiste de l’ère mitterrandienne. Le parti communiste aussi a beaucoup évolué, intégrant surtout des intellectuels. Nous, nous sommes des gens du terrain. Pourtant, je crois qu’il faut continuer de se battre contre les grands monopoles, les holdings financières, ces patrons qui ne défendent que leurs propres intérêts et rien d’autre. La notion de possédant et de possédé reste plus que jamais d’actualité.
Pendant des générations, on s’est battu au nom de la lutte des classes. Serait-elle aujourd’hui un concept dépassé, une chose morte ? Non, cent fois non. L’avoir sortie du vocable est une trahison. » Nicole décède le 27 février 2013 : « Elle me laisse seul au milieu de rien. J’apprends à vivre sans elle mais c’est dur. J’essaie de faire en sorte que la maison soit aussi belle et bien tenue. Quand le temps le permet, l’envie, je vais me balader. J’ai la pleine campagne à portée de pied. Ça me permet de lui parler, de hurler pour me libérer. Je suis seul, désespérément, je perds les amis. Les vieux n’intéressent personne (sauf pour les impôts !) Je reste toujours engagé même si par moment, la politique ne me convient plus. Mais si tout le monde s’en va…»
Propos recueillis par Monique Pussat-Marsac et Tugdual Ruellan
Tout au long de son engagement syndical, Raymond croise de grands dirigeants charismatiques comme Georges Marchais, Benoit Frachon de la « Céget », Edmond Maire de la CFDT… En 1965 l’usine Panhard est absorbée par Citroën et Raymond perd sa qualification professionnelle. Grâce à une formation, il devient agent de maîtrise. Mai 1968, les étudiants de la fac Jussieu sont dans la rue : « Ils viennent vers nous pensant pouvoir nous donner des notions sur les façons de combattre le grand capital ! Mais nous n’avions pas besoin d’eux. Nous occupions déjà nos usines aux premières heures du jour où tout se déclencha, la grève générale, dans la foulée de Simca-Poissy, du bateau de l’Ile Seguin pour Renault, après la SNCASO de Sud Aviation et de Nantes la veille. »
Une à une, les usines vont fermer. Les ouvriers subissent alors licenciements massifs et délocalisations programmées. En 1987, Raymond est muté à Rennes pour travailler à La Janais comme agent de maîtrise de niveau 2 puis cadre : « Au moins à la Janais, j’ai vu des voitures entières se fabriquer. Moi qui toute ma vie, n’en avais fait que des bouts ! » Le monde change : « Place à la création et à l’intelligence. Dégagez ! On n’a plus besoin de vous. Le patron c’est Auguste Génovèse. Avec lui on avance, on ne tourne pas autour du pot pour toujours regarder les sommets et ne jamais se retourner, semble-t-il dire à ses cadres avec lesquels les relations sont cordiales mais énergiques. » Avec sa femme, Raymond s’installe d’abord à Rennes puis à Guipry et enfin, dans une petite maison à Pipriac. En 1994, sonne l’heure de la retraite.
« Je me sens orphelin… »
« Aujourd’hui j’ai l’impression que seules les têtes pensantes semblent savoir où elles vont… et encore, ce n’est pas certain ! Plus de PC, je me sens orphelin. J’ai des copains mais ce ne sont plus vraiment des camarades au sens militant. En s’ultra-libéralisant, la société oublie qu’il existe toujours des prolos, des employés, des paysans, un monde du travail qui n’a plus que ses yeux pour pleurer. J’ai l’impression que nous, les militants, ne sommes plus que des distributeurs de flyer !
Il n’y a aucune chance, je crois, que la gauche ne forme jamais un front uni. Ce qui a été détruit l’a été durablement, irrémédiablement à cause des manipulations des membres du parti socialiste de l’ère mitterrandienne. Le parti communiste aussi a beaucoup évolué, intégrant surtout des intellectuels. Nous, nous sommes des gens du terrain. Pourtant, je crois qu’il faut continuer de se battre contre les grands monopoles, les holdings financières, ces patrons qui ne défendent que leurs propres intérêts et rien d’autre. La notion de possédant et de possédé reste plus que jamais d’actualité.
Pendant des générations, on s’est battu au nom de la lutte des classes. Serait-elle aujourd’hui un concept dépassé, une chose morte ? Non, cent fois non. L’avoir sortie du vocable est une trahison. » Nicole décède le 27 février 2013 : « Elle me laisse seul au milieu de rien. J’apprends à vivre sans elle mais c’est dur. J’essaie de faire en sorte que la maison soit aussi belle et bien tenue. Quand le temps le permet, l’envie, je vais me balader. J’ai la pleine campagne à portée de pied. Ça me permet de lui parler, de hurler pour me libérer. Je suis seul, désespérément, je perds les amis. Les vieux n’intéressent personne (sauf pour les impôts !) Je reste toujours engagé même si par moment, la politique ne me convient plus. Mais si tout le monde s’en va…»
Propos recueillis par Monique Pussat-Marsac et Tugdual Ruellan