2019 03 21 A Rome, Pina la combattante, citoyenne du monde entier.mp3 (16.09 Mo)
La Piazza Venezia est gorgée d'un soleil déjà estival. Les touristes posent pour la photo devant le "gâteau de la mariée" ou "la machine à écrire", comme ces moqueurs de romains surnomment l'énorme monument en marbre blanc dédié à Victor-Emmanuel II, premier souverain de l'Italie unifiée en 1861. Pina Rozzo arrive et nous entraine de suite à l'arrière du "gâteau" : « C'est tout un quartier médiéval qui a été détruit pour le construire. Il prolonge le forum romain pour montrer la puissance de l'Italie du nouveau roi... » Cela l'insupporte, cette domination.
A la chorale multiethnique, des chansons de tous pays
Elle, ce serait plutôt « O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao », le célèbre chant des partisans italiens opposés au fascisme pendant la Seconde guerre mondiale. « Quest'è il fiore del partigiano Morto per la libertà. C'est la fleur du partisan Mort pour la liberté. » Alors que nous quittons le "gâteau", elle le fredonne, le sourire aux lèvres. « Je fais partie de la chorale multiethnique Romolo Balzani », dit-elle fièrement. Ils sont trente venus de tous les coins du monde. Ensemble, ils ont appris "Fute, fute" de Tagore avec Sushmita Sultana du Bengladesh, des chansons roumaines avec Roxana Ene et sa mère Sorina, des chansons en dialecte de la Sardaigne et des Pouilles, "Le déserteur" avec des Français.
« Quand quelqu'un arrive dans le groupe, on lui demande de nous apprendre une chanson dans la langue de son pays. Pour nous, c'est sa voix, ses yeux, son histoire, sa vie et chaque fois que nous la chantons, nous pensons à lui. Certains sont rentrés chez eux, d'autres sont toujours avec nous et d'autres ont pris des chemins différents, mais chaque fois que nous chantons, nous sommes toujours ensemble. »
« Quand quelqu'un arrive dans le groupe, on lui demande de nous apprendre une chanson dans la langue de son pays. Pour nous, c'est sa voix, ses yeux, son histoire, sa vie et chaque fois que nous la chantons, nous pensons à lui. Certains sont rentrés chez eux, d'autres sont toujours avec nous et d'autres ont pris des chemins différents, mais chaque fois que nous chantons, nous sommes toujours ensemble. »
« Notre patrie, c'est le monde entier »
Pina Rozzo est très fière de l'origine de la chorale. Elle fait suite à la création du chœur multiethnique d'enfants " Se ... sta voce". Alors que les politiciens de droite et de gauche se déclarent inquiets pour "l’italianité" de l’école, des enseignants d'une école primaire de Casilino décident d'utiliser la diversité comme levier pédagogique. Attilio di Sanza et Susanna Serpe proposent aux élèves venant de différentes cultures d'apprendre les uns aux autres les chants de leur pays afin de lier les cœurs en liant les voix. Enseignants, parents et amis de l'école décident de former à leur tour une chorale multiethnique, avec des chansons en plusieurs langues, très rythmées et faciles à reprendre par le public.
Ils chantent là où on les invite : dans les écoles, dans les quartiers populaires, dans les manifestations pour les droits... « Demain, par exemple, nous allons chanter place Vittorio, près de la gare de Termini. Nous sommes invités par une association de parents très active dans ce quartier pauvre. Ils font une fête multiculturelle contre le racisme, contre notre gouvernement qui ferme les portes du pays, contre toutes les politiques excluantes. » Leurs chansons parlent du travail, des luttes pour la liberté, des migrations, des traditions, d'amour. Elles sont reprises en chœur avec force et énergie par le public à un « moment où, en Italie, c'est difficile d'accepter la culture de l'autre et la diversité, il est important de faire de la musique un lien social. Notre patrie, c'est le monde entier. La terre appartient à ceux qui la travaillent. »
Ils chantent là où on les invite : dans les écoles, dans les quartiers populaires, dans les manifestations pour les droits... « Demain, par exemple, nous allons chanter place Vittorio, près de la gare de Termini. Nous sommes invités par une association de parents très active dans ce quartier pauvre. Ils font une fête multiculturelle contre le racisme, contre notre gouvernement qui ferme les portes du pays, contre toutes les politiques excluantes. » Leurs chansons parlent du travail, des luttes pour la liberté, des migrations, des traditions, d'amour. Elles sont reprises en chœur avec force et énergie par le public à un « moment où, en Italie, c'est difficile d'accepter la culture de l'autre et la diversité, il est important de faire de la musique un lien social. Notre patrie, c'est le monde entier. La terre appartient à ceux qui la travaillent. »
« On leur disait : "Vous, les communistes, vous mangez les enfants !" »
Parfois, son fils de 26 ans s'inquiète de son militantisme. Elle le rassure : « Le jour où je ne pourrais plus chanter dans la rue, je changerai de pays. » Mais elle sait que ce n'est pas vrai : c'est sur le terrain de la lutte qu'elle sera. Son engagement est profondément enraciné dans la terre où elle est née. Elle en connaît l'origine : les valeurs fortes de ses parents, des petits agriculteurs. Ils ont ouvert la première section du Parti communiste italien dans la campagne où ils vivaient : « Je me rappelle de ma mère fabriquant la colle pour les affiches. Tous les deux ont beaucoup lutté pour la défense des salariés agricoles. » Soudain, comme une réminiscence, elle part dans un grand éclat de rire : « C'était l'époque où on leur disait : "Vous, les communistes, vous mangez les enfants !" »
Son père meurt alors qu'elle n'a que 9 ans. Il a encouragé sa femme à vendre la terre et à aller s'installer à Rome dans le quartier prolétaire de Pigneto. « J'étais une de ces petites filles jouant dans la rue, comme on le voit dans les films de Pasolini. » Le cinéaste, alors qu'il prépare son film Accattone, décrit ainsi le quartier où fleurissent les affiches du PCI : “ Via Fanfulla da Lodi, in mezzo al Pigneto, con le casupole basse, i muretti screpolati, era di una granulosa grandiosità, nella sua estrema piccolezza; una povera, umile, sconosciuta stradetta, perduta sotto il sole, in una Roma che non era Roma”. « La via Fanfulla da Lodi, au centre de Pigneto, avec ses maisons basses, ses murs fissurés, était d’une grandeur granuleuse, dans son extrême petitesse; une route pauvre, humble, inconnue, perdue sous le soleil, dans une Rome qui n’était pas Rome. »
Pina Rozzo se rappelle l'arrivée des premiers migrants que les habitants du quartier voyaient d'un très mauvais œil mais sa mère « avait toujours la porte ouverte pour leur offrir à boire et à manger. » Elle se souvient de l'action du Parti pour la conquête des droits jusque dans les années 1970-1980 : « L'éducation populaire était une priorité. » Elle a vu les militants quitter le terrain et se rapprocher des autres partis tout en faisant des concessions : « Ils ont perdu leur capacité d'être présents sur la quartier, de travailler et d'agir avec les travailleurs. Ils ont perdu leur identité. Quand la gauche est allée au pouvoir, elle n'a pas fait une vraie politique sociale, elle s'est laissé emportée par le libéralisme. Elle n'a pas réussi à créer un nouveau modèle. »
Son père meurt alors qu'elle n'a que 9 ans. Il a encouragé sa femme à vendre la terre et à aller s'installer à Rome dans le quartier prolétaire de Pigneto. « J'étais une de ces petites filles jouant dans la rue, comme on le voit dans les films de Pasolini. » Le cinéaste, alors qu'il prépare son film Accattone, décrit ainsi le quartier où fleurissent les affiches du PCI : “ Via Fanfulla da Lodi, in mezzo al Pigneto, con le casupole basse, i muretti screpolati, era di una granulosa grandiosità, nella sua estrema piccolezza; una povera, umile, sconosciuta stradetta, perduta sotto il sole, in una Roma che non era Roma”. « La via Fanfulla da Lodi, au centre de Pigneto, avec ses maisons basses, ses murs fissurés, était d’une grandeur granuleuse, dans son extrême petitesse; une route pauvre, humble, inconnue, perdue sous le soleil, dans une Rome qui n’était pas Rome. »
Pina Rozzo se rappelle l'arrivée des premiers migrants que les habitants du quartier voyaient d'un très mauvais œil mais sa mère « avait toujours la porte ouverte pour leur offrir à boire et à manger. » Elle se souvient de l'action du Parti pour la conquête des droits jusque dans les années 1970-1980 : « L'éducation populaire était une priorité. » Elle a vu les militants quitter le terrain et se rapprocher des autres partis tout en faisant des concessions : « Ils ont perdu leur capacité d'être présents sur la quartier, de travailler et d'agir avec les travailleurs. Ils ont perdu leur identité. Quand la gauche est allée au pouvoir, elle n'a pas fait une vraie politique sociale, elle s'est laissé emportée par le libéralisme. Elle n'a pas réussi à créer un nouveau modèle. »
Retrouver ses valeurs
Aujourd'hui, dit-elle, il n'y a pas de représentation politique qui porte ses valeurs et ses idées. « Je ne m'y retrouve pas, même dans les partis de gauche. Heureusement, il y a beaucoup de gens, dans les associations, qui résistent. Ils trouvent des solutions sur le territoire où ils militent. Tout comme il y a ces élus locaux qui font des choses bien comme l'ex-maire de Riace » (voir notre article). Pina Rozzo, c'est en tant que professionnelle de la coopérative Speha Fresia qu'elle trouve matière à vivre ses valeurs. Les dix salarié.e.s de la coop animent un service d'insertion au travail qui accompagnent les travailleurs et travailleuses les plus fragiles.
Dans cette vulnérabilité, Pina Rozzo sait reconnaître la personne et ses richesses. Elle s'est formée pour cela : elle écoute, prend en compte et valide tous ces savoirs bâtis sur l'expérience sociale et professionnelle. Aux gens cassés par la vie, elle renvoie une image positive et, dans cette nouvelle dynamique, propose des unités de formation pour permettre à la personne d'aller plus loin.
L'équipe s'est entouré d'un réseau d'associations où s'engagent des avocats, des médecins, des traducteurs, des enseignants, des psychologues. L'un de leurs objectifs est de créer des liens entre des secteurs d'intervention différents, afin de trouver des solutions particulières aux problèmes spécifiques de chacun. « Habituellement, c'est la personne démunie qui doit faire les démarches dans des lieux multiples, c'est à elle de faire les liens. Or, ces personnes en général ont peur parce qu'elles ne connaissent pas les processus et les procédures. » Ces experts sont aussi une force pour accompagner les personnes dans la reconnaissance de leurs droits.
Dans cette vulnérabilité, Pina Rozzo sait reconnaître la personne et ses richesses. Elle s'est formée pour cela : elle écoute, prend en compte et valide tous ces savoirs bâtis sur l'expérience sociale et professionnelle. Aux gens cassés par la vie, elle renvoie une image positive et, dans cette nouvelle dynamique, propose des unités de formation pour permettre à la personne d'aller plus loin.
L'équipe s'est entouré d'un réseau d'associations où s'engagent des avocats, des médecins, des traducteurs, des enseignants, des psychologues. L'un de leurs objectifs est de créer des liens entre des secteurs d'intervention différents, afin de trouver des solutions particulières aux problèmes spécifiques de chacun. « Habituellement, c'est la personne démunie qui doit faire les démarches dans des lieux multiples, c'est à elle de faire les liens. Or, ces personnes en général ont peur parce qu'elles ne connaissent pas les processus et les procédures. » Ces experts sont aussi une force pour accompagner les personnes dans la reconnaissance de leurs droits.
Respecter les projets des migrants
L'équipe va chercher les personnes dans la rue si c'est nécessaire. C'est le cas des migrants par exemple. L'objectif prioritaire, dit Pina Rozzo, « c'est d'écouter et d'accompagner le projet migratoire de la personne. Si par exemple, elle veut aller en Allemagne parce qu'elle a de la famille, nous faisons en sorte de trouver les moyens pour que le projet aboutisse. » L'équipe met en place des actions collectives et individualisées avec des traducteurs et les professionnel.le.s des associations du réseau afin d'apporter l'accompagnement nécessaire à des personnes qui ont subi des traumatismes physiques ou psychiques.
« Dans notre coopérative, nous avons des médiateurs interculturels d'une dizaine de nationalités différentes. Ils interviennent dans les maternités, à l'école, dans les lieux de travail. Cette compréhension interculturelle est importante, nous n'avons pas les mêmes codes. Cela nous permet de mieux comprendre ce que nous faisons, de prendre de la distance et d'augmenter nos connaissances sur l'humain. »
« Dans notre coopérative, nous avons des médiateurs interculturels d'une dizaine de nationalités différentes. Ils interviennent dans les maternités, à l'école, dans les lieux de travail. Cette compréhension interculturelle est importante, nous n'avons pas les mêmes codes. Cela nous permet de mieux comprendre ce que nous faisons, de prendre de la distance et d'augmenter nos connaissances sur l'humain. »
Une femme debout
Pina Rozzo est sur tous les fronts. En ce moment, elle travaille avec les syndicats et des associations sur un projet relatif au caporalato, l'exploitation quasi esclavagiste que subissent les migrants dans le sud du pays. Recrutés de façon illégale, ils sont soumis à des conditions de travail impossibles pour quelques euros. Elle est en pleine rédaction pour répondre à l'appel du ministère qui veut lutter contre l'emprise des caporali, gestionnaires de main-d'œuvre pour le compte des propriétaires, payés en partie par ceux-ci mais aussi par les ouvriers et ouvrières qu'ils recrutent avec des salaires inférieurs à ceux du tarif réglementaire et sans couverture sociale. Elle se rassure, Pina Rozzo : elle a une amie qui a fait le même travail dans les Pouilles et qui va l'aider. Il faut le savoir : les caporali sont souvent liés à des organisations criminelles.
C'est une femme debout, Pina Rozzo. Elle ne se dit pas militante féministe. Participer avec sa coopérative au projet européen ENGAGE qui vise à soutenir le rôle des femmes migrantes en tant que leaders d'intégration et leader de communauté et soutenir les projets de la Maison des Femmes de Rome, c'est normal : « Je n'ai jamais eu un engagement fort dans la lutte des femmes. Cela fait partie de moi dans ce que je fais en terme de justice sociale, économique, culturelle. »
Elle a toujours été sur le front des luttes, ses valeurs chevillées au corps. « Maman, lui dit son fils, tu es unique parce que tu vis ce que tu penses. »
Marie-Anne Divet
C'est une femme debout, Pina Rozzo. Elle ne se dit pas militante féministe. Participer avec sa coopérative au projet européen ENGAGE qui vise à soutenir le rôle des femmes migrantes en tant que leaders d'intégration et leader de communauté et soutenir les projets de la Maison des Femmes de Rome, c'est normal : « Je n'ai jamais eu un engagement fort dans la lutte des femmes. Cela fait partie de moi dans ce que je fais en terme de justice sociale, économique, culturelle. »
Elle a toujours été sur le front des luttes, ses valeurs chevillées au corps. « Maman, lui dit son fils, tu es unique parce que tu vis ce que tu penses. »
Marie-Anne Divet