20211007 La crise sanitaire à fait de Stéphanie une travailleuse essentielle.mp3 (10.27 Mo)
Texte et photos : Tugdual Ruellan
16 mars 2020. La France est quasiment à l’arrêt ce lundi. Les commerces ont baissé leur rideau, les rues des villes sont désertes. Quasiment toutes les entreprises ont cessé le travail. Chacun se confine comme il peut, suspendu à son poste de radio ou de télévision, en quête d’une information fiable quant à cette crise qui surgit de nulle part et ne laisse personne indifférent. L’entreprise adaptée Servicea à Rennes mobilise ses troupes :
16 mars 2020. La France est quasiment à l’arrêt ce lundi. Les commerces ont baissé leur rideau, les rues des villes sont désertes. Quasiment toutes les entreprises ont cessé le travail. Chacun se confine comme il peut, suspendu à son poste de radio ou de télévision, en quête d’une information fiable quant à cette crise qui surgit de nulle part et ne laisse personne indifférent. L’entreprise adaptée Servicea à Rennes mobilise ses troupes :
« On se sentait très seuls, confie le directeur, Erwan Pitois, confrontés à une situation très grave. Nous étions cependant décidés à nous comporter comme des entreprises responsables. Notre priorité était bien de protéger tous les salariés qui devaient l’être, de respecter celles et ceux qui ne souhaitaient pas travailler vu les circonstances et de recenser tous ceux qui donnaient l’accord pour continuer à travailler. À tout moment, une personne pouvait refuser de travailler. »
D’emblée, Stéphanie répond présente
Salariée de Servicea, Stéphanie Defeux, 41 ans, fait partie de celles et ceux qui d’emblée, répondent présents :
Voilà plus de dix ans que Stéphanie travaille dans cette entreprise adaptée. Reconnue travailleuse handicapée, cette maman de jumeaux, âgés aujourd’hui de six ans, a cumulé les emplois d’agent de nettoyage et d’aide à domicile durant plusieurs années, jusqu’à sa rencontre avec Erwan Pitois. Elle est aujourd’hui agent d’entretien à Rennes, et dans les communes alentours, pour la SNCF, les gares et les bureaux, mais aussi pour plusieurs entreprises clientes. Elle est devenue « cheffe d’équipe « œuvrante » :
« On s’est réunis pour savoir qui était prêt à faire des désinfections. Pour moi, il n’y avait pas de problèmes, j’étais partante. Ça me plaît les défis et les challenges ! On s’est organisé et on a continué nos missions. On était tellement dans l’action que l’on n’a même pas eu le temps d’avoir peur. C’est vrai qu’il y avait de quoi être inquiet en écoutant les informations le soir à la télé. Mais rien ne nous arrêtait, il y avait un super esprit d’équipe. On prenait soin de bien respecter tous les gestes-barrières et d’éviter tout contact. On a dit aux entreprises : "On est à vos côtés et on y sera jusqu’au bout !" »
Voilà plus de dix ans que Stéphanie travaille dans cette entreprise adaptée. Reconnue travailleuse handicapée, cette maman de jumeaux, âgés aujourd’hui de six ans, a cumulé les emplois d’agent de nettoyage et d’aide à domicile durant plusieurs années, jusqu’à sa rencontre avec Erwan Pitois. Elle est aujourd’hui agent d’entretien à Rennes, et dans les communes alentours, pour la SNCF, les gares et les bureaux, mais aussi pour plusieurs entreprises clientes. Elle est devenue « cheffe d’équipe « œuvrante » :
« Cela veut dire que j’organise les équipes, je fais en sorte que chacun soit bien à son poste. À moi de veiller au bon fonctionnement des équipes et d’assurer les commandes de produits d’entretien. Servicea m’a vraiment donné ma chance pour évoluer et j’ai pu ainsi continuer à me former et obtenir des qualifications. Au fil du temps, la confiance en moi a grandi et je suis montée en grade. Je suis vraiment bien ici et je n’ai pas du tout envie de travailler ailleurs. C’est souvent des personnes blessées de la vie qui travaillent là et on se sent bien en équipe, on se fait confiance. »
Stéphanie : "On a beau avoir un handicap, on vaut autant qu’une personne valide… Si ce n’est pas plus !"
Il y avait les soignants "mais nous aussi, dans l'ombre"
Quand la crise sanitaire surgit, les équipes tiennent bon, dominant leur peur. Média et dirigeants déversent alors des flots d’incertitudes, des informations souvent imprécises, parfois contradictoires. Chaque jour, les équipes sont présentes à Rennes au Technicentre de la SNCF, organe technique de haute importance, spécialisé dans la maintenance des systèmes de freinage de trains, qui emploie 450 salariés. Elles interviennent aussi pour l’entretien du poste d‘aiguillage, élément primordial pour la circulation des trains, notamment ceux transportant les malades au cœur de la crise sanitaire. Et dans les gares et services techniques de Saint-Brieuc, Lamballe, Lorient.
« Il fallait réagir très vite, explique Stéphanie, trouver du liquide désinfectant, des masques de protection, mettre en place des poubelles pour récupérer les masques usagés… C’était action, réaction ! Ce qui était vexant, c’était de n’entendre parler que des médecins et des soignants qui étaient mis à l’honneur et applaudis tous les soirs. C’est vrai qu’ils étaient au front et qu’ils ont fait un super et magnifique boulot. Mais il y avait nous aussi, dans l’ombre. Mais on ne parlait pas de nous… Pourtant, chaque jour, on faisait tout pour que tout le monde puisse continuer à travailler et rester en poste. Nous aussi, on était au front, dans l’inconnue totale, à désinfecter tous les points de contact chaque jour. »
« Modestement, conclut Stéphanie, on a fait notre part pour que l’économie continue de fonctionner, pour que les trains de la SNCF continuent de rouler… Heureusement, les agents de la SNCF ont reconnu notre travail et nous ont remerciés pour notre réactivité. Le retour à la normale est difficile. C’était tellement intense ce que nous avons vécu. On a beau avoir un handicap, on vaut autant qu’une personne valide… Si ce n’est pas plus parce qu’il faut sans cesse se donner à fond et prouver que l’on est important. Cette fois, on a eu le sentiment que nous étions devenus des travailleurs essentiels. »
La collaboration exemplaire de quatre entreprises adaptées
La SNCF propose alors de confier l’entretien d’une grande partie de ses locaux, tertiaires et techniques à des entreprises du secteur adapté. Erwan Pitois décide de relever le défi et réunit plusieurs entreprises adaptées de Bretagne au sein d’une structure innovante dénommée GMEA, « Groupement momentané d’entreprises adaptées ».
Erwan Pitois, directeur de l'entreprise adaptée à Rennes, Servicéa.
Au-delà de la concurrence, la coopération
Quatre entreprises bretonnes répondent à l’appel : Sevel Services (450 salariés), Esatco (1200 salariés), Émeraude ID (80 salariés), Sicomen (120 salariés). Pendant 18 mois, un groupe de travail d’une vingtaine de personnes planche pour concevoir un modèle économique, financier et juridique jusqu’alors inédit. Une convention est établie, régissant les règles de fonctionnement entre les cinq entreprises adaptées, opposable à un donneur d’ordres comme la SNCF avec une organisation mandataire et cotraitante :
« Au-delà de nos différences et de nos divergences, nous sommes parvenus à mettre en commun nos potentialités, poursuit Erwan Pitois. Ce marché nous obligeait à ne plus être concurrents mais coopérants. Nous offrions ainsi à notre client SNCF, la force, non pas d’une seule entreprise, qui à un moment donné peut se trouver en fragilité, mais celle de cinq entreprises, en situation de coopération. »La réponse séduit la SNCF et le marché est finalement attribué au GMEA en juin 2017 pour l’entretien de 180.000 m² de locaux tertiaires et techniques des équipements SNCF d’Ille-et-Vilaine, des Côtes d’Armor et du Morbihan. Cinq ans après, le marché est toujours en cours.
« Les entreprises adaptées ont su évoluer tant dans les domaines techniques que réglementaires, démontrant leur réactivité et leur capacité d’innovation, confie Safaa Slaoui, chargée de la coordination. La SNCF a reconnu la qualité des prestations réalisées, estimant qu’elles ont atteint un niveau nettement supérieur à celui des entreprises classiques. »
Safaa Slaoui, chargée de la coordination du Groupement momentané des entreprises adaptées.
Les travailleurs en situation de handicap ont fait front
En pleine crise sanitaire, les cinq entreprises adaptées, constituant le GMEA Bretagne, et leurs salariés volontaires, poursuivent leurs missions d’entretien auprès de la SNCF. Et ce, dès le premier jour de l’annonce du confinement par le Gouvernement. Trois défis les animent alors : assurer la sécurité et la santé de leurs salariés, apporter une réponse aux attentes de la SNCF en s’adaptant à la situation, assurer, a minima, un équilibre financier et économique des entreprises.
Au fil des jours, le métier se transforme, passant de la « propreté » à la « santé et à la sécurité au travail ». On se mobilise, on cherche des solutions, on trouve des protections, on devient finalement ressource pour les entreprises clientes, on assure les missions de manière responsable, chacun mobilisant ses contacts et ses réseaux, ses astuces et ses bons plans. Ce sont d’abord les cadres et les directeurs qui enfilent les combinaisons de protection pour tester les prestations.
De l'expérience bouleversante de la crise sanitaire, tous les acteurs s’en trouvent aujourd’hui renforcés et unis.
Au fil des jours, le métier se transforme, passant de la « propreté » à la « santé et à la sécurité au travail ». On se mobilise, on cherche des solutions, on trouve des protections, on devient finalement ressource pour les entreprises clientes, on assure les missions de manière responsable, chacun mobilisant ses contacts et ses réseaux, ses astuces et ses bons plans. Ce sont d’abord les cadres et les directeurs qui enfilent les combinaisons de protection pour tester les prestations.
De l'expérience bouleversante de la crise sanitaire, tous les acteurs s’en trouvent aujourd’hui renforcés et unis.
« Les mots du Gouvernement nous ont rapidement fait réagir, se souvient Erwan Pitois. Pensant bien faire, le président de la République, dans un élan « charitable », évoquait le handicap comme une « fragilité ». À ce titre, face au virus, tous les salariés devaient fuir et ne pas retourner au travail ! Le handicap n’est-il pas ce que le contexte fait subir à la personne ? Si le contexte est aménagé, la personne ne subit plus et n’a alors que des compétences à exprimer. Et si compétence il y a, elle devait être maintenue et revue au regard de la sécurité que nous imposait cette situation inédite. Je voudrais simplement qu’après, juste après, dans un bilan qui soit fait, on n’oublie pas, vraiment pas, que des personnes en situation de handicap, dans le contexte que sont les entreprises adaptées, ont fait front, au moins aussi bien que toutes les entreprises en France pour pouvoir faire en sorte que tout continue. C’est sûr pendant, mais surtout et avant tout, après…
Pour mieux connaître la mission des entreprises adaptées, voir le site de leur Union nationale UNEA |