Envoyer à un ami
Version imprimable
Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
24/07/2014

Le hip hop multiculturel de Jaffa résiste à la guerre


Il fait chaud à Tel Aviv en cette fin mai 2014. On est au lendemain de Yom Haatzmaout, le jour anniversaire de la création de l'État d'Israël. Les feux d'artifices se sont tus mais la ville est encore blanche et azur, baignée par les drapeaux qui flottent à toutes les fenêtres. Un moment difficile pour Neta, un des membres juifs de System Ali, le collectif hip hop multiculturel qu'Histoires Ordinaires avait rencontré en mars 2011. Quand le nationalisme est à la fête, les voix divergentes couvrent difficilement le bruit du clairon. Pourtant le temps reste à l'optimisme. Neta résume.


Notre reportage de mars 2011 : System Ali, les rappeurs juifs et arabes de Jaffa

Pour accompagner la lecture :
system_ali.mp3 System Ali.mp3  (4.61 Mo)

Au centre, à l'accordéon, Neta. (Photo Dudy Dayan)
Au centre, à l'accordéon, Neta. (Photo Dudy Dayan)


Alors comment va System Ali ? 
 
Il y a eu beaucoup de changement, mais le noyau dur est resté le même. Quelques personnes nous ont rejoints. Musicalement, on a évolué, mais on a surtout bénéficié de l'aide de professionnels extraordinaires. Pour notre album (à télécharger ici), on a travaillé avec le producteur Amit Carmeli. Le son lui-même n'est pas radicalement différent mais comme on se connaît tous mieux, ça marche mieux. C'est surtout important pour les paroles. On écrit de plus en plus ensemble, on passe beaucoup de temps à se rassurer les uns les autres – on parle encore tous des langues différentes. 
 
Vous ne remettez pas en cause le multilinguisme du groupe ? 
 
Non, surtout pas ! On continue à apprendre la langue de l'autre. Et c'est en surmontant ces différences que l'on crée notre son et notre identité. On travaille en ce moment avec un jeune groupe d'Israéliens d'origine éthiopienne, BTY. Comme beaucoup de musiciens de System Ali, ils ont grandi dans des institutions – l'école, les centres de jeunes – où leur langue d'origine, l'amharique (une des langues principales d'Ethiopie, NDLR) était formellement interdite. Aujourd'hui, ils réclament cette identité : ils rampent en amharique, ils utilisent certains mots amhariques quand ils rampent en hébreu, ça rend la langue plus riche.
 
Le groupe vit toujours à Jaffa ? 
 
Malheureusement, il est devenu de plus en plus difficile de vivre à Jaffa. Ce n'est pas seulement à cause de la gentrification de la ville et du changement de population que cela entraîne, c'est aussi parce que Jaffa dépend directement de Tel Aviv et que la municipalité s'est montrée carrément hostile à certaines de nos activités et projets. Nous ne sommes pas seulement un groupe de musique : System Ali représente beaucoup d'autres choses, et notamment une idée alternative de ce que pourrait être la société israélienne. Une société plus diverse, ouverte aux cultures de tous les gens qui habitent ici, et qui reconnaît vraiment l'histoire du lieu, y compris les projets alternatifs proposés avant la création de l'État d'Israël en 1948 par des midrashim (les Juifs originaires du Moyen-Orient, NDLR).  
 
Aujourd'hui, on déménage à Bat Yam. C'est une ville pauvre, créée par des mizrachim de Jaffa au début du 19ᵉ siècle. Elle a accueilli beaucoup d'immigrés russes, éthiopiens, et de plus en plus d'Arabes israéliens poussés hors de Jaffa. C'est une chance, cela représente le futur même si cette cohabitation peut être aussi violente.  
 
Quand tu dis que System Ali « déménage » à  Bat Yam, c'est symbolique ? 
 
Oui, d'un certain côté. Le combat qu'on menait à Jaffa, il est à Bat Yam maintenant. Mais on déménage aussi de façon plus pratique. Depuis quelque temps, on a envie d'utiliser l'expérience de System Ali pour aider les communautés dans lesquelles on vit. On a toujours eu envie de créer un centre communautaire et musical. On a reçu des fonds de Pais, la loterie nationale. Elle a un programme qui cherche à développer la musique dans les périphéries. Maintenant, on a  le soutien de la municipalité de Bat Yam, qui va aussi nous fournir des locaux, y compris des endroits où vivre. Cela va nous permettre d'ouvrir Beit System Ali, la Maison System Ali.  
 
Quels sont les objectifs de cette Maison ? 
 
Ce sera d'abord une structure focalisée sur la musique, avec des espaces de répétitions et de concerts, un studio d'enregistrement, des cours pour apprendre l'écriture de la musique et des textes ainsi que la pratique instrumentale. On va mettre en place des formations pour adultes, surtout dans la gestion d'activités sociales et culturelles, et d'autres actions qui faciliteront la vie communautaire. Notre but principal est de reproduire l'expérience que nous avons eue avec System Ali dans l'ensemble de la communauté, pour Bat Yam, mais aussi pour Jaffa et même le sud de Tel Aviv.
 
On veut aussi intervenir dans d'autres villes mixtes, faire venir des jeunes musiciens à Beit System Ali pour que des connections se fassent, et organiser des stages dans des villes comme Be'er Sheva, Haïfa ou Rahat. Les membres de System Ali seront tous plus ou moins associés à la structure, il y aura aussi d'autres intervenants, comme Shai Tsabari, un musicien d'origine yéménite incroyable qui habite à Bat Yam. On espère que ça deviendra un point de rencontre pour différentes associations, un lieu de débat. Que ça devienne notre maison, quoi ! 
 
Le groupe va donc s'élargir ?
 
En quelque sorte, mais on veut sanctuariser System Ali en tant que groupe musical. C'est devenu trop important pour nous. 
 
Les autres groupes qui sortiront de Beit System Ali ne suivront pas forcément notre modèle. Par exemple, je ne pense pas qu'on encouragera les groupes multiculturels tout le temps. On a constaté que les systèmes de pouvoirs et de hiérarchie ont tendance à se reproduire dans ces groupes, surtout parce que l'hébreu est souvent la langue de communication. On se laisse une flexibilité totale de faire les choses au cas par cas.     
 
Quels sont vos challenges aujourd'hui ?
  
Pour la Maison, on en est encore vraiment au début. Il y a tellement de choses à faire ! Créer des vrais cursus, trouver des fonds supplémentaires, détecter d'autres bons partenaires institutionnels…  Mais on a enfin les moyens de mettre nos forces collectives à l'œuvre et nos idées à l'épreuve. Ça fait sept ans qu'on a un rêve qui ressemble un peu à celui-ci, et on le voit enfin en train de se réaliser. Ça nous donne beaucoup d'énergie.
 
Et pour le groupe ? 
 
On voudrait trouver des opportunités de jouer plus, et plus loin. Cette année, on a pas mal tourné dans des villes mixtes, où on pouvait vraiment rassembler tous les segments de la population. Nous avons aussi fait un gros concert pour le 1er mai dans le centre de HaNoar Ha'Oved VeHaLomed (Jeunes Travailleurs et Etudiants, un mouvement de jeunesse juif créé au début des années 1930, très marqué à gauche, même s'il est aujourd'hui devenu plus modéré, NDLR), devant plus de 4 000 personnes. C'était un moment fort : cela a nécessité une grande confiance entre nous, on prend toujours le risque de se faire récupérer par l'Israël bien-pensant qui veut faire croire que tout le monde cohabite en paix dans le pays et que les problèmes, sociaux, politiques, religieux, ne sont le fait que d'extrémistes et pas du système lui-même. 
 
Pour la même raison, on nous a déjà proposé, par l'intermédiaire des centres culturels juifs associés au gouvernement d'Israël, d'aller jouer à l'étranger. On veut se produire ailleurs un jour, mais en trouvant des producteurs intéressants, qui respectent nos convictions et nos conditions. Le vrai challenge, il est là : faire connaître System Ali sans perdre notre âme.
 
Propos recueillis par Nicolas Rouger-Divet
 






1.Posté par Marie Lucas le 18/07/2014 15:46
Bonjour, Merci beaucoup pour l''article "Le hip hop multiculturel de Jaffa
résiste à la guerre". En lien, il se trouve que je vais allez voir ce lundi à
st louis de l''île de la réunion , le film "Dancing in Jaffa" qui semble super
dans la même lignée de paix.
Merci
Bonne continuation
Marie Lucas

Nouveau commentaire :


L'enquête des lecteurs


"Les gens qui ne sont rien"
Dans ce voyage, un reporter fait partager le meilleur de ses rencontres. Femmes et hommes  de  toutes contrées, des cités de l’Ouest de la France aux villes et villages d’Afghanistan, d’Algérie, du Sahel, du Rwanda, de l’Inde ou du Brésil, qui déploient un courage et une ingéniosité infinis pour faire face à la misère, aux guerres et aux injustices d’un monde impitoyable. 280 pages. 15 €.

Et neuf autres ouvrages disponibles