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20/02/2025

Noémie Robert parle de la mort et ça nous rend bougrement vivants !

Texte et photos : Tugdual Ruellan


Après avoir officié quelque temps comme célébrante de cérémonies funéraires civiles, Noémie Robert, installée à Redon, intervient aujourd’hui en France pour animer ateliers et « cafés mortels ». Une certitude : les morts nous appartiennent ! Il faut collectivement nous réapproprier ce temps de la séparation d’un être cher et mettre des mots sur la mort pour continuer à vivre.


Noémie : "Le cadre juridique offre une grande liberté : laissons donc place à notre imaginaire pour rêver un autre type de funérailles".
Noémie : "Le cadre juridique offre une grande liberté : laissons donc place à notre imaginaire pour rêver un autre type de funérailles".
« Depuis que j'ai intégré la mort dans ma vie, je ne me suis jamais sentie aussi vivante ! » Noémie Robert, 30 ans, respire la vie à pleins poumons et aime à le rappeler à ceux qui en douteraient. Parler de la mort fait désormais partie de sa vie et elle n’est jamais seule lorsqu’elle propose d’échanger sur le sujet.

La mort a quitté nos environnements familiers

Petit retour historique. Avant la loi marquant la séparation de l’Eglise et de l’Etat, c’est l’Eglise qui a la charge d’organiser les funérailles. En 1904, les communes reçoivent la charge d’organiser les funérailles par la création du « service extérieur des pompes funèbres » (le service intérieur concerne le culte), cette décision prépare la loi future de séparation de l’Eglise et de l’Etat. Tant bien que mal, elles doivent alors assurer la logistique, les démarches administratives, le transport du corps du défunt jusqu’au cimetière… Mais, à ce moment de la déprise du religieux, aucune alternative civique ni laïque n’est proposée pour un « service intérieur civil des funérailles ». La cérémonie se trouve donc privée de sa dimension symbolique.
 
Progressivement, la mort quitte nos environnements familiers. Comme on ne naît plus à la maison, on ne meurt plus chez soi. C’en est fini de la préparation du mort à la maison, de la veillée mortuaire, où l’on s’échange souvenirs et confidences, tant dans la pièce où se trouve le défunt que… dans la cuisine. C’en est fini du traditionnel banquet funéraire qui réunissait la famille après l’office. Les pompes funèbres s’emparent du marché dans une dynamique concurrentielle et commerciale. Elles prennent d’abord en charge la mission administrative et logistique qui leur a été confiée sans forcément assurer le rite. Aujourd’hui, certaines pallient le manque d’accompagnement et proposent des catalogues de services plus ou moins pertinents comme un choix optionnel de musiques, de textes ou de photos pour accompagner la cérémonie…
 
« Traditions et savoir-faire autour de la mort, tous ces gestes autour du corps du défunt, ont peu à peu disparu et ne sont plus transmis, confie Noémie Robert. La famille se retrouve donc dépendante de professionnels du funéraire à qui l’on n’a jamais confié officiellement la dimension symbolique. Sauf que la mort demeure un rite de passage. »

Noémie facilite les échanges et informe sur les droits des citoyens.
Noémie facilite les échanges et informe sur les droits des citoyens.

Changer le regard sur la mort grâce à une approche solidaire

Noémie grandit au Sel-de-Bretagne, petite commune rurale au sud de Rennes. Très tôt, elle baigne dans cette culture de solidarité et de partage, de respect de la tradition, de la transmission orale, l’héritage d’Eugène Aulnette, artiste et sculpteur emblématique du territoire. Après des études sur les métiers du livre, elle poursuit dans le secteur de l’économie sociale et solidaire. Au bout d’un an passé en Irlande, elle s’installe à Bordeaux et passe un master en ESS. Le conte la passionne. En 2017, elle participe à la création d’un collectif de jeunes conteurs, « Les gens des merveilles ».
 
« Tout s’est enchaîné. On a souhaité explorer les traditions, les récits et les contes autour de la mort. Très vite, ce travail nous a renvoyé à nos propres réflexions sur le sujet. Nous rencontrons alors des personnes intéressées pour créer une coopérative funéraire et animer des cafés mortels. Ensemble, nous imaginons une intervention mêlant contes et échanges avec les citoyens. Le geste poétique dans le deuil a une puissance décuplée. »

Remettre la mort au cœur de la cité et de la vie citoyenne

Syprès voit le jour, coopérative funéraire de Bordeaux, pour « changer le regard sur la mort grâce à une approche solidaire, écologique et sensible ». La mort, bien sûr, est présente dans la vie de Noémie qui a perdu son père alors qu’elle n’avait que six ans. Mais jamais, la jeune femme ne s’était jusqu’alors questionnée sur le sujet. Avec une quinzaine de jeunes artistes, elle est invitée en 2018, par Edileuza Gallet, une des cofondatrices de la coopérative, à participer aux travaux du Lab de l’innovation sociale de Bordeaux pour imaginer d’autres manières d’organiser des cérémonies civiles et d’accompagner ceux qui restent.

Avec Hervé, un autre conteur de son collectif, elle rejoint ce groupe constitué d’artistes, de professionnels des pompes funèbres, d’intervenants en ehpad et autres citoyens. Les chiffres sont troublants : on ne compte qu’à peine 5 % de pratiquants, toutes religions confondues, alors que 70 % des cérémonies, organisées à l’occasion d’obsèques, sont religieuses… A cette même époque plusieurs démarches voient le jour en France, comme la coopérative funéraire de Nantes en 2016 et celle de Rennes en 2020, sur le modèle des coopératives funéraires québécoises, avec cette idée de remettre la mort au cœur de la cité et de la vie citoyenne.

A Bordeaux, Noémie découvre le métier de célébrant de funérailles civiles qui a vu le jour en Suisse. La démarche a été initiée une dizaine d’années au préalable par Jeltje Gordon-Lennox, auteure et psychothérapeute suisse, spécialisée en psychotraumatologie, formée comme célébrante au Canada. L’association des célébrants et officiants de suisse romane voit le jour et propose des formations certifiantes de célébrant et célébrante funéraires. Avec le soutien de la Fondation de France, Noémie s’inscrit à cette formation et, forte de sa formation de conteuse, apprend à assurer le rite de passage.
 
« J’ai été formée en Suisse par Sandra Widmer Joly, elle-même alors célébrante depuis une dizaine d’années et formée initialement par Jelte Gordon Lennox. »

Café mortel, parler de la mort entre vivants

Noémie découvre et anime des « cafés mortels », une appellation de l’anthropologue Bernard Crettaz. Le café mortel est un espace convivial pour lever le tabou sur la mort. Ensemble, entre vivants, on parle de la mort. Comme un espace d’intimité dans un cadre collectif avec des gens qui ne se connaissent pas. Même si l’on ne parle pas, on peut aussi écouter sans répondre. Et on peut passer du coq à l’âne, sans transition, avec des paroles en désaccord, sans conseil, sans jugement, sans validation, au-delà de certitudes, de représentations, de constructions religieuses !
 
« Aucune visée thérapeutique ! Le café mortel n’est pas non plus un espace de débat animé par des experts. C’est un échange de paroles et de témoignages. Comment la mort nous touche-t-elle, à la fois au travers d’expériences que nous avons vécues comme des questionnements qui nous traversent ? »
 
Pour Noémie, l’idée est de créer du commun autour de la mort, peut être aussi lever du secret, des tabous difficiles à évoquer dans la sphère familiale. Le premier café mortel organisé à Neuchâtel en 2004 rassemble quelque deux cents personnes ! Soixante-dix personnes répondent à l'invitation de Noémie lors du premier café mortel qu’elle anime à Figeac. On y évoque la place de nos cimetières, l’organisation d’un rite funéraire civil, l’écologie autour des funérailles, la transmission et l’héritage… Le sujet amène des questionnements multiples. Noémie facilite les échanges et, forte d’une compétence de conseillère funéraire, informe sur les droits des citoyens.
 
« Il s’agit juste d’accueillir ensemble la parole qui se libère et découvrir que notre rapport à la mort est multiple. Le cadre juridique offre une grande liberté : laissons donc place à notre imaginaire pour rêver un autre type de funérailles. Le café mortel permet de faire exister cette pluralité de récits autour de la mort pour que chacun trouve un élément de réponse pour faire son chemin. »

"Ce que je cultive, c’est l’art du lien"

En 2020, Noémie quitte Bordeaux et s’installe ensuite dans le Lot.  En lien étroit avec des élus de petites communes, elle officie quelques cérémonies funéraires. Un an plus tard, elle revient en Bretagne et s’installe à Redon. En plus d’un temps partiel au Pôle de l’économie sociale et solidaire de Guichen, elle anime aujourd’hui une cinquantaine de cafés mortels et des ateliers « La valise du grand départ » dans toute la France. Elle accompagne aussi des collectifs pour disséminer l’initiative, cessant pour l’instant d’intervenir comme célébrante.
 
« La mort permet de rencontrer des gens particulièrement vivants. Ce que je cultive, c’est l’art du lien. Comment prendre soin de nos relations durant ces moments douloureux, comment faire société à ce moment crucial de notre existence ? Parler de ce qui nous a touché chez un être décédé, c’est extrêmement vivifiant. Les êtres disparus nous composent aussi. Nous pouvons continuer à faire vivre en nous cette partie de l’autre disparu. »
 
Noémie Robert - L'empreinte de L'être - Cafés Mortels

Pour aller plus loin…

  • Noémie Robert anime un café mortel le jeudi 20 avril au café associatif "Le Pisse-Mémé" à La Roche-Bernard et un atelier « La valise du grand départ », le 28 avril à Redon - inscriptions : 07 56 91 98 45
  • Relire sur Histoires ordinaires, « Face au marché des obsèques, ils ont créé une coopérative funéraire  » (juin 2020, Tugdual Ruellan)
  • A Janzé (Ille-et-Vilaine), Sandrine Fleury, designer graphique, propose un dispositif scénographique pour transformer une salle communale en espace chaleureux et pensé pour organiser des cérémonies funéraires civiles.
  • A Rennes, le chœur mortel a vu le jour en septembre 2024 à l’occasion du premier festival de la Mort, « Un espace de chant collectif pour faire battre notre chœur commun autour de la mort », Coopérative funéraire de Rennes » Chœur mortel
  • LIRE : Delphine Horvilleur, « Vivre avec nos morts », Editions Grasset, 2021.



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