C'est là que ma mémoire se met en route et que ce temps du Larzac devient le mien. Ah oui le téléphone! Je me souviens avoir utilisé mes connaissances récentes en téléphonie pour raccorder le câble entre Potensac et Saint Martin. Puis les images du jour de l'occupation du Cun par nos copains objecteurs: Laurette, Cyrille, Hervé, Christian et, là, sur la photo de famille, dans ma chemise bleue, je me retrouve. Et cette action où nous venons, jusque sous les canons, avec nos voitures pour stopper un entraînement en dehors du camp. C'était l'hiver et, dans la hâte du départ, je n'avais pas pris de coupe vent. J'en ai improvisé un, pour lutter contre le petit air frais, avec un sac de jute ! On me voit encore, ainsi accoutré. J'avais oublié. Les images de Tous au Larzac me redonnent la mémoire, 36 ans après.
Le film résonne d'anecdotes et de fou rire: la lutte sur le Larzac était joyeuse. D'autres images surgissent aussi dans ma tête : le procès des objecteurs de conscience à Millau la permanence et le bavardage toute la matinée avec les RG, la sirène des usines qui sonne, la lutte sans solution: ouvir pour les uns, fermer pour les autres, Et la solution suivre J. Paul en passant au milieu des jambes du chef gendarme pour ouvrir les deux autres portes et faire entrer le troupeau au milieu du tribunal évacuant alors le juge.Et aussi une manif à Millau où, à peine arrivé et assis, Pierre Burguière me tombait du ciel sur la tête, sans doute pour me dire bonjour, mais surtout expédié par les CRS.
Je retrouve le juge d'expropriation et me revient en tête son visage de vautour, fermé dans une colère froide: il repart au milieu d'un bataillon de gardes mobiles, repliant en carré, comme un damier noir sur le jaune du chaume, et cette ultime espièglerie des paysans qui, au milieu du champ, tiraient un trait avec la charrue, comme pour dire : "Ne reviens plus."
Je revis l'arrivée de la marche à Paris et l’embuscade dans laquelle nous nous sommes retrouvés: des autonomes qui surgissent de nulle part avec des barres de fer volées au passage dans un chantier et ceux qui les menaient, passant au milieu du cordon de CRS, sans être inquiétés.
La fin du film, je ne l'ai pas vécu sur le Larzac. Mais comme ils sont beaux ces résistants non-violents qui ont su se remettre en cause, ouvrir leur esprit et faire de leur vie un combat en toute Liberté, Egalité et Fraternité. Pour ma part, je sais combien ce point de départ dans la vie m'a façonné durablement, j'avais alors à peine dix huit ans.
Jean-Pierre Divet
Le Larzac, vous connaissez? Un plateau calcaire de l'Aveyron, oui mais... C'est pour un certain nombre d'entre nous, onze ans de lutte entre 1970 à 1981 pour refuser l'extension du camp militaire, installé en 1906 sur une superficie de 3000 hectares. L'agrandissement sera de 14000 hectares sur douze communes. Lever de boucliers des paysans, nés sur cette terre ou alternatifs dans la mouvance de 68. « Gardarem lou Larzac », chantait-on alors dans les rassemblements, les marches et les occupations de cette lutte qui dès le départ, se veut non-violente, locale et solidaire, ce qui n'est pas une mince affaire étant donné la diversité des opposants.
C'est eux (sauf Guy Tarlier décédé en 1992) qui témoignent dans le film de Christian Rouaud, avec humour et modestie. Christian Rouaud sait les faire parler entre les images d'archives de la lutte, les champs couverts de céréales vibrant dans le vent et le silence fort de l'émotion.
Comme l'écrit une de nos lectrices, « Bel exemple de rébellion non-violente. Tout ce monde, ruraux, ouvriers, non-violents, sachant vivre dans le respect (parfois étonnés, certes!) doit nous consolider dans nos idéaux de s'indigner, de résister jusqu'à désarmer l'autre par des alternatives à la violence. »