Anna, médecin de quartier populaire

Anna Jarno-Josse travaille dans le quartier de Villejean pour des populations très diverses. Une part importante (environ 50%) de ses patients bénéficie de la complémentaire santé solidaire (anciennement CMU). Ce sont des familles avec peu de ressources , parfois dans un logement insalubre et avec des problèmes de langues. Anna raconte :

« On voit des gens dignes  ils s'occupent  de toute leur famille, malgré très peu de ressources financières.  Avec la médiatrice santé on peut leur proposer de rencontrer des associations pour avoir des matériels de puériculture. Il n'est pas rare de voir des gens sous-équipés. Par exemple, une famille est arrivée de Saint Lô, elle a trouvé un logement. Ils n'avaient rien : pas de gazinière, à peine des matelas. C'était fin août, ils n'avaient aucun équipement pour la rentrée, pas de cartable ».

Anna fait quelques visites surtout pour les personnes âgées. « Ça m'arrive d'aller dans certaines familles, pour des personnes bloquées par des sciatiques, par exemple. On voit des habitats indignes. Ce n'est pas de la faute des gens qui y habitent. Déjà, les communs, les escaliers, c'est désagréable de les parcourir. Après une demande il faut deux ou trois ans pour pouvoir changer. »

Le choix d'un quartier populaire, d'un cabinet collectif : elle n'y est pas venue par hasard.
 Avant d'être étudiante, elle avait déjà  des engagements, pour le Téléthon, par exemple. « Avec des valeurs au fond de moi, tournées vers les autres, et pour  essayer d'aider. » En fac de médecine à Rennes, elle a effectué un remplacement de congé maternité à Villejean… dans le cabinet Asclepios où elle se trouve aujourd’hui. A la fin de son internat, elle a travaillé six mois  dans le quartier populaire de Kermoysan à Quimper : « Il  y  beaucoup de gens immigrés, ça me plaisait vraiment beaucoup. C'est exactement, ce que je voulais faire. »

Si tous ses patients ne relèvent pas de la CMU – elle voit par exemple aussi des universitaires -,  si tous n’habitent pas Villejean – quand on déménage, on a du mal à changer de médecin...-, le Dr Anna Jarno-Josse soigne surtout les familles populaires du quartier. Lequel, au demeurant, n’est pas un désert médical.

« On a une bonne dynamique depuis le réveil de l'association Avenir Santé Villejean-Beauregard (ASVB) en 2012 ». Elle cite les cabinets présents sur le quartier, treize médecins en cabinets collectifs, un  cabinet individuel (voir encadré) et de nombreux partenariats ou collaborations. « Malheureusement  on ne peut pas accueillir tout le quartier : il faudrait  être encore plus nombreux pour que l'on puisse accueillir plus de patients ».

Elle ne se voit pas exercer son métier toute seule. Ils sont quatre médecins dans leur maison médicale et rencontrent régulièrement d'autres professionnels médicaux au sein de l'association de santé du quartier.

 « On communique beaucoup entre nous. Ceux qui sont là mangent ensemble le midi. On travaille aussi régulièrement avec l'ASVB. On connaît les infirmiers, les kinés, les psychologues.... Il y a un travail en commun énorme. Au sein du cabinet, on se réunit tous les vendredi matins, ça a été initié par nos prédécesseurs, il y a 45 ans,  Ça crée une cohésion, une confiance. C'est assez unique pour des médecins libéraux, le fait de « perdre » une heure et demie de consultation, Pour certains c'est l'équivalent de cinq consultations, pour d'autres dix, toutes les semaines.  Depuis quelques mois, c'est remboursé dans le cadre de rémunérations via le pôle de santé."

Les principales maladies sont en relation avec le logement (moisissures), l'alimentation (diabète) et la sédentarité.

« En terme de santé on propose au sein de l'ASVB un panel d'activités à tous les âges... Aux jeunes parents, des informations pour les bébés et les enfants... L'éducation thérapeutique pour tous les adultes et les aidants pour le diabète et des maladies cardio-vasculaires. L 'atelier senior va proposer des ateliers « cuisine » autour de la dénutrition et de l'ostéoporose... On participe à une étude comme universitaires : on a un pôle recherche dans notre maison de santé. Il y a beaucoup de possibilités qui nous permettent de rencontrer des travailleurs sociaux autour d'un patient.

Anna fait aussi de l’information au sein du collège Rosa Parks.  

 «Avec les 5èmes on mène une grande action sur l'alimentation. Pour les 3èmes, c'est autour de la vie affective et sexuelle, les relations garçons-filles, les inégalités : ça s'étend aux problèmes des réseaux sociaux, au harcèlement,  à l'identité de genre, à l'orientation sexuelle... Il y a beaucoup d'homophobie, dans les cultures traditionnelles. »

On n'a pas Doctolib

« La fracture numérique touche beaucoup nos patients. On n'a pas Doctolib, c'est tout à fait volontaire,  et nos agendas sont archi remplis.  On tient vraiment à  garder nos secrétaires, Manuela et Marie-Cécile. Elles font de  l'accueil humain. Comme beaucoup de gens parlent une langue étrangère, c'est impensable de ne pas pouvoir les accueillir. Des patients viennent parfois sans rendez-vous, comme  avant hier une dame qui avait fait une chute dans la rue.. Les secrétaires, qui sont là jusqu'à 19h, peuvent aussi passer des appels pour nos patients, prendre des rendez-vous avec des spécialistes par exemple. »

Jean-François Bourblanc

Voir aussi ;
 Histoires ordinaires, en 2016, raconte un témoignage de transmission du cabinet Asclépios "Un jour, le médecin généraliste transmit enfin ses combats".

Le Mensuel de Rennes, dans l'édition de septembre 2022, publie un dossier « Allo docteur ? Médecine générale à Rennes » avec notamment un article "Quartiers prioritaires, voyage au bout de la ville", qui présente un point de vue différent.
 

« Pour les  médecins de l'Avenir Santé Villejean Beauregard (ASVB), l'activité a changé avec l'arrivée de Barbara, médiatrice en santé, en 2019, juste avant le début de la pandémie », estime Anna Jarno-Josse. Salariée,de l'ASVB  Barbara aide les gens à accéder aux droits en santé et aux soins,  aux complémentaires ,  à l'AME, (aide médicale de l’État), à faire le  lien avec la sécurité sociale, la CAF.... Tout en les mettant dans une posture d'autonomie : elle ne va pas tout faire à leur place. Ça va dépendre de leurs capacités, de leur équipement... Elle peut aussi accompagner des patients à des rendez-vous. Même si des mamans africaines, assez francophones, arrivent parfois à y aller seules.

« Barbara est au fond du fond de la misère tous les jours. Elle peut aussi accompagner les gens à s'inscrire à la bibliothèque. C'est du domaine de la prévention santé, surtout chez les tout petits. Je trouve  hyper important l'accès à la bibliothèque.

Avec les patients, je parle beaucoup  de sport, de culture, et d'alimentation. Je fais beaucoup de prévention dans mes consultations.. On peut vraiment faire participer la médiatrice à beaucoup d'activités dans le domaine de la prévention ».

14 médecins pour 16 000 habitants.   Sur le quartier de Villejean travaillent  90 professionnels de santé dont quatorze médecins généralistes. Quatre espaces collectifs de santé regroupent une part importante d'entre eux. Trois cabinets collectifs accueillent les patients sur le quartier L a Maison médicale Asclépios (on l'appelle le plus souvent cabinet Kennedy) 53, cours Kennedy, réunit quatre médecins  associés,  et emploie deux secrétaires. La Maison médicale Churchill, ( 6 avenue Winston Churchill) regroupe cinq médecins  généralistes, une rhumatologue, trois kinésithérapeutes et deux infirmières. La Maison de santé Armagnac  (1 rue d'Armagnac) réunit quatre médecins, trois infirmières et infirmier. Un médecin exerce aussi en cabinet individuel à Villejean (cours Kennedy). L'association Avenir Santé Villejean Beauregard  est située dans l'Espace Santé (7 rue de Normandie). L'ASVB gère la Maison de Santé Pluri-professionnelle Nord-Ouest qui regroupe 90 professionnels de santé, répartis sur 24 lieux différents dans les deux quartiers de Villejean et Beauregard. Le but premier de l’association est d’améliorer l’accès aux soins des patients.