« "Salut Maurice !"…
C'est le voisin, il vient nous apporter des courgettes. » Au village de Kersuet, sur la route de Camaret, il y a souvent, comme ça, des échanges entre voisins, surtout depuis que Jean et Monique Kermarrec ont lancé une fête, en 2002, en revenant au pays de Monique. « On se connaît tous mais on n'est pas toujours les uns chez les autres », précise Jean Kermarrec. Bien sûr : on est dans le Finistère...
C'est le voisin, il vient nous apporter des courgettes. » Au village de Kersuet, sur la route de Camaret, il y a souvent, comme ça, des échanges entre voisins, surtout depuis que Jean et Monique Kermarrec ont lancé une fête, en 2002, en revenant au pays de Monique. « On se connaît tous mais on n'est pas toujours les uns chez les autres », précise Jean Kermarrec. Bien sûr : on est dans le Finistère...
La solidarité de voisinage, c'est chez lui, une vieille histoire. Elle a commencée dès sa naissance, en 1947, entre les baraques du Bouguen, dans Brest détruite par la guerre. « L'entraide, on trouvait ça normal. P'tit Louis Aminot, notre voisin, a souvent dit à ma mère : "t'es ma mère de lait". Quand notre voisin espagnol est mort, tous les enfants ont été accueillis à la maison. »
En rupture avec l'école
Le petit Jean a grandi jusqu'à 11 ans au milieu de cette grande histoire humaine de Brest, entre son père, le « Monsieur au chapeau », petit fonctionnaire aux hypothèques, et sa mère, vendeuse revenue à la maison élever ses cinq enfants. Puis la famille a déménagé et le malheur est arrivé. La mort du père a alors déstabilisé l'adolescent de 13 ans, il est parti un peu de travers, s'est arrêté en seconde, a dû se bâtir lui-même sa vie. Une vie qu'il a cimentée par de multiples rencontres.
A 17 ans, devançant l'appel, il s'engage dans la Marine pour voyager. Il fait le service au carré des sous-officiers : « On voyait plein de monde, j'ai élargi mon périmètre ! » Il découvre la cuisine et un barman qui l'invite à Paris à sa sortie. Va pour Paris, gratte-papier aux urgences d'un hôpital, à 19 ans. Il y perd ses illusions, revient à Brest, se branche sur la voile et fait une nouvelle rencontre, déterminante : Yvonnick Guillou, le directeur du centre des Glénans, prof détaché, militant de l'éducation populaire.
Confiance totale, dans l'esprit des fondateurs des Glénans, Hélène et Philippe Viannay. Jean Kermarrec, 20 ans, est improvisé chef cuistot ! Il doit nourrir jusqu'à cent stagiaires. Sa sœur, en CAP cuisine, l'aide. Un stagiaire, restaurateur à Laval, l'épaule. Par la suite, il reprend son sac, passe un hiver au Sahara, se lance dans le bateau charter et finit par tomber sur un curieux client, encore un personnage qui lui fait drôlement confiance.
« Là, j'ai approché l'argent »
C'était le patron du GEC, le Groupe européen de cellulose, liquidé au début des années 80. « Il m'a demandé d'aller sentir discrètement le climat dans ses usines. » Jean Kermarrec se fait embaucher, constate d'ailleurs que le climat est assez bon. Il circule en train, dort en Foyer des Jeunes Travailleurs quand le patron lui offre avion, hôtels, voitures. Rideau : « Là, j'ai approché l'argent.»
Avec un tel sens des relations, Jean Kermarrec aurait pu avoir une vie tout autre. Cheminer avec Catherine et Maxime Le Forestier, rencontrés sur la plage de Porz Milin. Partir cuistot en tour du monde avec Eric Tabarly. « J'ai refusé leurs propositions, j'étais un peu rebelle, j'y repense de temps en temps... »
En fait, le refus de ce tour du monde ne relève pas du hasard. « C'est là que je me suis rendu compte que j'avais des envies sociales. » Envie, à 28 ans, de rendre une part de ce qu'il a reçu. Il retourne voir les Glénans avec un projet : amener dans la rade de Brest des bateaux inutilisés par le centre de novembre à mars afin de les proposer aux Brestois. « Très bonne idée », dit Yvonnick Guillou. Une association support est trouvée : la FSGT, la Fédération Sportive et Gymnique du Travail.
Deux bateaux arrivent. Des jeunes des quartiers apprennent à naviguer. Puis d'autres sports s'ajoutent. Jean Kermarrec est à la manœuvre et ça va durer dix-huit ans, jusqu'à ce que la direction de la FSGT, proche du PC et de la CGT, licencie à l'amiable un esprit trop libre.
Deux bateaux arrivent. Des jeunes des quartiers apprennent à naviguer. Puis d'autres sports s'ajoutent. Jean Kermarrec est à la manœuvre et ça va durer dix-huit ans, jusqu'à ce que la direction de la FSGT, proche du PC et de la CGT, licencie à l'amiable un esprit trop libre.
Permettre aux jeunes de se révéler
Il rebondit comme coordinateur des animations de quartier puis coordinateur Jeunesse sur la ville. Malgré des difficultés croissantes, les jeunes n'ont jamais perdu sa confiance. « Rien ne me fait plus plaisir qu'un jeune que j'ai eu vienne me dire bonjour. Il y a un tel potentiel , c'est dommage de ne pas leur permettre de se révéler. » Son obsession : leur donner des repères. « C'est peut-être idiot ce que je vais dire… mais, moi, je n'ai jamais fumé. Je me souviens d'un lieu où le H était à disposition, je me suis dit "ma mère n'aimerait pas". Voilà, un truc qui te retient. C'est ça qui se perd le plus. »
« Y'a rien qui m'exaspère le plus que les gens qui se foutent des autres », analyse Jean Kermarrec en regardant sa vie. Il a aimé dirigé aussi les quelque 2 000 bénévoles du grand rendez-vous brestois de la voile, en 2004, 2008 et 2012. Il a accompagné, la retraite venue, les auto-entrepreneurs soutenus par l'ADIE, l'association de micro-crédit. Il est assesseur près du tribunal pour enfants. Et il est devenu « greeter », guide bénévole.
Partager la vraie vie de Brest
Jean Kermarrec aime bien raconter aux autres, aux touristes ou aux Brestois eux-mêmes, sa vision de la ville. « Je lutte contre l'image négative de Brest. C'est peut-être une ville moche mais ce n'est pas une ville vide. Elle est pleine, de vie sociale, culturelle : ses bibliothèques, ses bistrots, ses spectacles, sa gouaille, c'est ça le potentiel. D'ailleurs, des gens viennent à Brest à reculons et ne veulent plus partir ! »
Ce sont les Brestois qui ont reconstruit leur ville et les fondations sont là-bas, au Bouguen, dans la solidarité du peuple des baraques. « Je suis des baraques et j'aime bien parler de la reconstruction », avoue Jean Kermarrec en achevant son histoire qu'il trouve bien « ordinaire ». Et il s'en accommode, faisant sienne cette phrase de Jean-Pierre Abraham, l'écrivain un temps gardien du phare d'Ar Men : « Il est plus important de réussir sa vie que de réussir dans la vie . » Foi d'un sans diplôme.
Michel Rouger
Michel Rouger