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19/06/2024

Ex-enfants placées, elles racontent leur histoire et leur combat

Texte et photos : Marion Bastit


Créer un réseau d’entraide entre actuels et anciens enfants placés, et faire entendre leur voix pour faire bouger les politiques. C’est l’objectif de l’association REPAIRS!49, née en 2021 en Maine-et-Loire. Elle propose aux jeunes de se retrouver une fois par mois autour d’un repas pour échanger autour de leurs difficultés. Rencontre avec Françoise, Sade et Anaïs, trois militantes de cette association.


De g. à d. : Françoise, Anaïs et Sade
De g. à d. : Françoise, Anaïs et Sade
françoise.mp3 FRANÇOISE.mp3  (12.64 Mo)

Dans un petit salon à l’étage d’un bar de la Doutre, à Angers, ce jeudi soir, une demi-douzaine d’adultes discutent autour d’un verre et de planches à partager. Leur point commun : tous sont d’anciens enfants placés, réunis pour le dîner mensuel de l’association REPAIRS!49.
 
Françoise : « Être séparée de mes frère et sœur, ça a été d’une violence extrême »

Françoise, 55 ans, fait partie de ses fondateurs. Elle a été placée à l’âge de 13 ans, après l’assassinat de sa mère, sous ses yeux, par son « géniteur », comme elle l’appelle désormais. A l’époque, sa fratrie est éparpillée. « On nous a distribués à nos trois oncles maternels », raconte-t-elle.

Françoise part à Nantes, sa petite sœur de 10 ans à Cannes, tandis que son grand frère, 15 ans, reste à Angers. « La séparation avec eux, c’est quelque chose qui m’a déchirée en deux une seconde fois, se souvient-elle, la voix chargée d’émotion. On n’aurait jamais dû être séparés de la sorte ! Ça a été d’une violence extrême, et le lien entre nous a mis du temps à se reconstruire. »

D’autant que le placement chez son oncle et sa tante se passe mal. « Je ne les connaissais pas tant que ça, je les voyais deux fois par an. Je suis rentrée dans un monde que je ne connaissais pas, avec des codes familiaux que je n’avais pas, chez des gens que je connaissais peu. » Et la greffe ne prend pas.

« Aujourd’hui, j’ai une famille, elle est juste parfaite »
« Aujourd’hui, j’ai une famille, elle est juste parfaite »

« J’ai grandi en me sentant moche et bête »

« On arrive dans une famille qui a déjà une histoire, qui nous échappe en tant qu’enfant. Ils avaient des a priori sur moi. Je ne me suis pas sentie respectée comme j’étais, je ne me suis pas sentie aimée. J’ai grandi en me sentant moche, bête et conne. Il a fallu du temps avant que je comprenne que je n’étais pas si conne, que j’avais peut-être du potentiel, que je pouvais valoir quelque chose. »

Au bout de deux ans et demi, soutenue par son frère, Françoise fait un signalement aux services sociaux. « Ce n’était juste plus possible. Et ils m’ont laissé passer deux ou trois mois de plus chez mon oncle, jusqu’à la fin de l’année scolaire. Vous imaginez l’ambiance ?! »

Bien qu’elle ait une place en foyer, une amie de la famille insiste pour la prendre chez elle à Angers. « Dès qu’elle a eu de l’autorité sur moi, elle a changé de visage. Elle voulait tout contrôler. » Françoise est alors au lycée. « Je barrais les jours jusqu’à ma majorité, raconte-t-elle. Le jour de mes 18 ans, à 6 h du matin, je suis partie. »

Elle se retrouve livrée à elle même. « Je n’avais même pas de carte Vitale, car j’étais sur celle de mon père. La première chose que je voulais, c’était louer un studio, mais je ne savais même pas remplir un dossier. » Hors de question pour elle de voir une assistante sociale : elle a perdu confiance. « Personne n’avait jamais été là pour moi quand j’en avais eu besoin. »

Après avoir vécu quelques mois chez une copine, Françoise trouve un appartement et va faire une demande d’aide au logement à la Caf (Caisse d’allocations familiales). 37 ans plus tard, elle se souvient encore de ce dialogue de sourds : « Il nous faut la fiche d’imposition de vos parents. - Je n’ai pas de parents (son père est alors en prison, NDLR). - Comment vous faites pour vivre alors ? - J’ai un peu d’argent de côté. - Ben vous n’avez pas besoin d’allocation alors ! »

« Devenir mère m’a sauvée »

Très vite, elle rencontre celui qui deviendra son premier mari. « J’ai grandi en pensant que je mourrais à 20 ans, et en fait à 20 ans je suis devenue maman. C’est mon fils qui m’a sauvée ! J’avais tellement peur de le perdre que je le réveillais pour vérifier qu’il n’était pas mort. J’avais peur qu’on me l’enlève tellement j’étais heureuse ! »

Après une psychothérapie, Françoise aura deux autres enfants. « Je pense que c’était pour me donner une seconde chance d’aimer et d’être aimée en retour, inconditionnellement, analyse-t-elle aujourd’hui. Je voulais me donner la chance de faire mieux que survivre : vivre. »

Mais Françoise est victime de violences conjugales qu’elle mettra du temps à déceler. « Ma mère s’est fait fracasser, j’ai grandi avec ça, donc je ne savais pas qu’on ne pouvait pas se laisser frapper, pousser. Je n’avais pas réussi à sauver ma mère, je pensais que je pourrais sauver mon mari… et puis je tenais à ma famille. »

François quitte son mari une première fois, revient, repart. Elle mettra six ans à obtenir le divorce. « Je pensais que je ne me remarierais jamais, et quelques mois plus tard je me mariais avec mon actuel compagnon. Il a adopté mes enfants. Aujourd’hui, j’ai une famille. Ce n’est peut-être pas celle que je pensais avoir à 20 ans, mais elle est juste parfaite. »
Sade : « Quand on est en foyer, on est dépossédé de tout pouvoir, on ne décide plus de rien »

sade.mp3 Sade.mp3  (13.45 Mo)

Une famille, c’est ce qu’a fini par trouver Sade, 39 ans, elle aussi fondatrice de REPAIRS!49. Mais avant cela, elle a passé ses neuf premières années à être ballottée entre foyers, familles d’accueil, retours chez sa mère, quand elle n’est pas confiée à sa grand-mère ou à sa tante. Le tout avec l’un de ses petits frères mais pas l’autre, le plus jeune, « un déchirement » pour elle.

« On se voyait une fois de temps en temps, surtout lors des vacances, et à chaque fois j’avais l’impression qu’il fallait qu’on se re-rencontre, qu’on comble les morceaux manquants de notre histoire avec ce qu’on avait vécu chacun de notre côté. En tant qu’aînée, je me sentais coupable, et je ne comprenais pas pourquoi notre fratrie ne ressemblait pas à ce qu’on nous montrait comme modèle. »

Plus le temps passe, plus les services sociaux peinent à trouver une famille d’accueil pour Sade et son frère. « C’est une sorte de marché où les familles cherchent l’enfant idéal. Donc placer deux enfants, ce n’est pas facile ; deux enfants noirs, encore moins ; et quand ils grandissent, c’est encore moins facile, car ils ont déjà une histoire, des carences, des difficultés, leur propre tempérament… Ils sont moins malléables. »

« La force de mon implication a obligé le reste du monde à reconnaître que j’existais »
« La force de mon implication a obligé le reste du monde à reconnaître que j’existais »

« J’ai rencontré ceux qui sont devenus mes parents »

Mais la chance sourit enfin : Sade quitte son foyer de banlieue parisienne pour un petit village de Sologne, où elle est placée dans une famille avec son frère. « C’est là que j’ai rencontré ceux qui sont devenus mes parents. Ça a été un choc culturel. Déjà, j’avais une chambre à moi, le délire ! Dans ma tête d’enfant, ça ne pouvait pas être réel, ça ne pouvait pas durer. »

« Les premiers mois n’ont pas été simples, raconte Sade. Il a fallu apprendre à se connaître. On avait vécu des carences et des traumas, et ça se voyait dans le quotidien. Mais mes parents (c’est ainsi qu’elle désigne aujourd’hui sa famille d’accueil, NDLR) ont joué le jeu de ce qu’on attend d’un parent lambda, c’est-à-dire prendre un enfant avec ses bons et ses mauvais côtés. »

« Ils avaient ce truc que je n’avais pas connu avant, c’était la communication. Déjà, ils ne nous mettaient pas de raclée. Et s’ils se mettaient en colère, une fois que c’était retombé, ils revenaient vers nous pour qu’on en parle. Ce n’est pas en foyer qu’on nous apprend ça ! Quand un éducateur est avec 25 gamins, il ne peut pas en prendre un à part pour lui parler. »

« Ils ont essayé de m’apprendre à être une enfant »

Elle découvre la vie de famille. « Quand on est placé en foyer, on est dépossédé de tout pouvoir. On ne décide de rien, ni à quelle heure on mange, ni à quelle heure on se couche. Ça en devient presque effrayant quand on se retrouve tout seul et qu’on doit reprendre du pouvoir sur son quotidien. Quand on se retrouve dans une famille, on réapprend tout ça. »

Surtout, Sade réapprend à faire confiance à des adultes. « Ils ont essayé de m’apprendre à être une enfant, à retrouver ma naïveté, mon insouciance, à me préoccuper de moi avant les autres, parce que  depuis très jeune, j’avais l’habitude de m’occuper de mes frères, de ma mère. »

« A l’adolescence, j’ai compris que je ne pouvais pas forcer ma mère à s’en sortir si elle ne le voulait pas, et j’ai décidé d’arrêter les frais. » Sade coupe les ponts avec sa mère, mais garde le lien avec son plus jeune frère, resté vivre chez elle. Elle va le voir dès qu’elle le peut et le soutient autant que possible.

De son côté, Sade a le sentiment de s’être trouvé une nouvelle famille. « J’ai rencontré des gens incroyables, qui sont devenus mes parents, et je suis devenue la sœur de leurs enfants, la tante de leurs petits-enfants, la nièce de leurs frères et sœurs… J’ai pu construire des liens avec des gens qui sont petit à petit devenus ma famille. C’est très précieux. »

« Un petit ange sur mon épaule »

A sa majorité, Sade décroche « le Graal » : un Contrat jeune majeur (CJM). Ce dispositif fournit un suivi éducatif, social et psychologique, ainsi qu’une aide financière, aux ex-enfants placés jusqu’à leurs 21 ans maximum. Cela lui permet de quitter la maison pour se lancer dans des études. Trouver un studio, faire une demande de bourse, ouvrir un contrat d’électricité… sa « mère de cœur » l’accompagne dans ses démarches.

Sade est consciente de sa chance : « J’ai traversé ces épreuves en ayant ce petit ange sur mon épaule. Il y en a qui n’ont même pas ça ! Elle m’a montré comment faire ses comptes, se servir d’un chéquier… Quand j’ai emménagé, c’est elle qui m’a dit : "Il faut que tu t’achètes un balai, et des boîtes en métal pour mettre tes restes !" », se souvient-elle en riant.

Après un DUT (Diplôme universitaire de technologie) Carrières sociales à Tours, Sade travaille dans un foyer pour femmes victimes de violences, puis dans un CHRS (Centre d’hébergement et de réinsertion sociale) qui accueille des hommes ayant vécu à la rue pendant des années. « Dès qu’il y a un public difficile, c’est pour moi ! » résume-t-elle.

« J’ai compris que j’avais le droit d’exister »

Face à un chef avec lequel elle est en désaccord, Sade, qui n’a pas sa langue dans sa poche, se rebelle. « Si tu n’es pas contente, tu n’as qu’à le faire, le job de cheffe ! » lui lance-t-il. Elle le prend au mot, retourne à la fac et après un master, elle devient cadre dans l’associatif. « On m’a proposé un poste avant même l’obtention de mon diplôme, s’étonne-t-elle encore. C’était la première fois qu’on venait me chercher ! »

A 27 ans, Sade a le sentiment d’avoir enfin conquis sa légitimité. « La force de mon implication a obligé le reste du monde à reconnaître que j’existais, que j’avais le droit d’être là autant que les autres. Construire ma vie personnelle et professionnelle, faire mes propres choix, ça m’a permis de comprendre que j’avais le droit d’exister et que je n’avais pas à attendre qu’on me donne le droit d’être en vie. »
Anaïs : « On m’a laissée chez mes parents alors que je vivais toujours des violences »

anais.mp3 ANAIS.mp3  (7.9 Mo)

Travailler dans le social, c’est aussi le choix d’Anaïs, 23 ans, qui a rejoint REPAIRS!49 en septembre 2023, après avoir rallié Angers pour poursuivre ses études. Originaire de Loire-Atlantique, la jeune femme a connu une autre facette de la protection de l’enfance : le placement à domicile, avec son lot de dysfonctionnements.

Le premier signalement remonte à ses 13 ans. Victime de « maltraitance physique et psychologique » de la part de ses parents, Anaïs se confie à des amis, qui en parlent à l’assistante sociale de leur collège. « Elle n’a pas pris ça très au sérieux, juge Anaïs. L’ASE (Aide sociale à l’enfance) a mis neuf mois à réagir ! s’indigne-t-elle. Neuf mois pendant lesquels c’est moi qui ai pris toute la violence de mes parents, car c’est moi qui les avais dénoncés. »

Au bout de neuf mois, les services sociaux décident de mettre en place un suivi à domicile par un éducateur. « J’ai dû le voir trois fois en tout, donc je ne pouvais pas lui faire confiance. En plus, à chaque fois il m’emmenait manger à l’extérieur, pas dans un lieu confidentiel, donc je ne disais rien, alors que je vivais encore de la violence. »

« Je ne voulais plus entendre parler de la protection de l’enfance »
« Je ne voulais plus entendre parler de la protection de l’enfance »

« Mes parents étaient dans le déni des violences »

Le suivi à domicile s’arrête, sans qu’Anaïs en soit prévenue. Elle le découvrira lors d’un deuxième signalement, à son entrée au lycée. « Comme j’étais en hôtellerie-restauration, on avait des visites médicales, et quand le médecin m’a vue, il a tout de suite prévenu l’assistante sociale. Je me suis enfin sentie reconnue ! »

Ce nouveau signalement donne lieu à une nouvelle enquête. « Ils ont mis six mois pour agir, c’était super long ! » Une nouvelle fois, c’est un suivi à domicile qui est mis en place. « Chez mes parents, ça n’a pas fonctionné puisqu’ils étaient dans le déni des violences, et que le juge des enfants confirmait ce déni, déplore Anaïs. Et ça a duré jusqu’à mes 18 ans. »

« Personne ne m’a informée sur mes droits »

A sa majorité, elle se voit proposer un Contrat jeune majeur, qu’elle refuse, faute d’avoir eu le temps d’y réfléchir. « Comme je suis née en janvier, j’aurais dû quitter ma famille pour aller en foyer alors que j’étais en pleine année scolaire ! Je me suis toujours accrochée à mes études, c’était le seul moyen de m’en sortir. »

Une fois son bac en poche, Anaïs entame une formation de travailleuse sociale. Là encore, elle manque d’information sur ses droits. « Pendant deux ans, j’ai eu 300 euros de bourse par mois alors que j’avais droit au maximum, en tant qu’ancienne enfant placée. Je l’ai découvert en cours, comme s’il fallait devenir travailleuse sociale pour le savoir ! »

« Pendant trois ans, je ne voulais plus entendre parler de la protection de l’enfance, mais avec mes études, ce n’était pas facile… J’ai fait exprès de rater l’entretien pour éviter d’avoir à faire un stage dans ce domaine. Mais en troisième année, on a vu beaucoup de documentaires qui ont fait écho à mon vécu, c’était difficile. »

« J’ai eu la chance de rencontrer les bonnes personnes »

« L’an dernier, j’ai fait une dépression et je suis enfin tombée sur un bon médecin, qui m’a envoyée voir un psy. »  A 22 ans, c’est une première. « J’ai découvert que je souffrais d’un trouble psychique, qui est la conséquence des traumatismes que j’ai vécus et qui n’ont pas été traités. »
 
Suivie depuis plus d’un an, Anaïs se sent mieux. « Je crois que je m’en suis sortie parce que j’ai un fort tempérament, et que j’ai eu la chance de rencontrer les bonnes personnes, comme ce médecin. J’avais complètement perdu confiance dans le médical, donc j’avais plein de rendez-vous en retard. Ça faisait six ans que je n’avais pas vu de dentiste ! »

Marion Bastit

repairs.mp3 REPAIRS.mp3  (13.12 Mo)

REPAIRS!49 : l'entraide entre les enfants placés d’hier et d’aujourd’hui
 
Si leurs histoires diffèrent, Françoise, Sade et Anaïs partagent un même vécu, celui d’avoir manqué de repères. C’est pour combler ce manque que l’association REPAIRS!49 est née, à l’automne 2021, sous l’impulsion du département de Maine-et-Loire, qui gère la protection de l’enfance.

Créée par une douzaine d’anciens enfants placés, elle se donne deux missions. La première, c’est l’entraide, sur le principe de ce qu’on appelle la pair-aidance. « On est là pour aider, écouter et orienter les gens », résume Françoise, qui se rappelle son isolement. « A 18 ans, si j’avais eu des pairs pour m’aider dans le quotidien, je ne me serais pas fait avoir avec l’aide au logement ! »

« On n’est pas des professionnels, insiste Sade. Notre seule expertise, c’est de partager une expérience de vie qui parle aux gens qui toquent à notre porte. Ils savent qu’ils vont avoir de l’écoute et du respect de la part de gens qui ont vécu des choses similaires. » « On se reconnaît, et la confiance vient rapidement, constate Françoise. Certaines défenses tombent. »

Au-delà d’une oreille bienveillante, l’association peut apporter une aide financière ou prendre en charge, en cas d’urgence, quelques nuitées d’hôtel ou de location meublée, voire aider à payer une dette de loyer. « Comme le ferait un pote qui a de l’argent et pas toi quand tu es en galère », résume Sade. Une aide bienvenue, alors qu’un sans-abri sur quatre en France est un ancien enfant placé.

Un espace d’échange et d’entraide

Chaque mois, l’association invite les jeunes placés de plus de 16 ans à se retrouver autour d’un repas, lors d’une soirée baptisée « Les Pieds dans le Plat ». L’occasion de parler des problèmes qu’ils rencontrent. Mais REPAIRS!49 sent une certaine réticence de la part des professionnels. « J’envoie l’invitation à une trentaine de structures encadrant des jeunes placés, et parfois aucun jeune ne vient, donc je me demande s’ils transmettent l’information », confie Françoise.

Il faut dire que l’association n’hésite pas à mettre les pieds dans le plat, justement, dans le cadre de sa deuxième mission : le plaidoyer. Forts de leur propre expérience et des témoignages qu’ils recueillent, les bénévoles sont bien au fait des dysfonctionnements de la protection de l’enfance, qu’ils entendent dénoncer pour faire bouger les lignes.

Françoise réclame ainsi qu’une vraie enquête soit faite avant de confier un enfant à un membre de sa famille. « C’est sûr que ça coûte moins cher, mais il faut connaître l’histoire familiale des personnes, car le placement chez un proche peut générer de nouvelles violences et faire encore plus de dégâts », témoigne-t-elle. Elle milite également pour un suivi régulier de ces placements en famille.

« Quand un enfant est placé, l’État doit s’assurer de sa sécurité, insiste Sade. Ce n’est pas en lui faisant voir un juge aux affaires familiales tous les deux ans que l’État se préoccupe de comment va l’enfant. Quand je suis retournée chez ma mère biologique avec mon frère, c’est l’école qui s’est rendu compte qu’on ne venait pas tous les jours et qu’on ne mangeait pas tous les jours. »

« Je serai en colère toute ma vie »

Les trois femmes questionnent la volonté de maintenir coûte que coûte le lien avec les parents biologiques, même en cas de maltraitance. « En France, même quand tes parents sont défaillants, on veut absolument que tu restes avec ! » s’énerve Sade. « Il ne devrait pas y avoir de placement à domicile quand les parents refusent d’évoluer », martèle Anaïs.

Parmi les autres enjeux, l’association réclame un véritable suivi médical et psychologique des enfants placés. « Il y a de vraies carences, qui ont un impact sur notre santé à l’âge adulte », souligne Sade. « On perd 20 ans d’espérance de vie quand on a subi des violences dans l’enfance », assure Françoise.

Quant au suivi psychologique, toutes trois ont dû payer de leur poche, une fois adultes, des années de thérapie pour se remettre des traumatismes vécus dans leur enfance et leur adolescence. D’autant que certains traumas sont liés à leur placement. « Les premières agressions sexuelles dont je me souvienne, c’était en foyer », s’indigne Sade.

« Je serai en colère toute ma vie », confie-t-elle, une colère partagée par Anaïs et Françoise. Cette dernière fulmine : « A sa sortie de prison, mon géniteur a eu droit à un logement, le RSA (Revenu de solidarité active), une aide à la réinsertion et un suivi psychologique, alors que moi qui n’avais rien à me reprocher, à 18 ans, je n’ai rien eu de tout ça ! »

La protection de l’enfance, un enjeu politique

Le plus important pour elles, à travers cette association, c’est de faire entendre la voix des enfants placés, qui sont les premiers concernés. « Ça permet d’en parler sans misérabilisme, et de construire quelque chose qui n’existe pas encore en France, c’est la politisation autour du placement des mineurs », conclut Sade.

C’est aussi l’objectif du Comité de vigilance des enfants placés, créé pour « veiller à la qualité des travaux » de la commission d’enquête parlementaire sur les défaillances de l’Aide sociale à l’enfance en France, qui planchait sur le sujet depuis mi-mai 2024. Pour Sade, il n’y a pas trente-six solutions : « L’État doit mettre la main à la poche, pour créer plus de postes et permettre aux professionnels de se former régulièrement. »

Mais les travaux de la commission d’enquête ont été stoppés net par la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin 2024. Son avenir dépendra des résultats des élections législatives. L’un des fondateurs du Comité de vigilance, Lyes Louffok, y est d’ailleurs candidat pour le Nouveau front populaire dans la 1ère circonscription du Val-de-Marne.

M.B.
Pour aller plus loin
Une dizaine d'associations Repairs! existent en France notamment dans les départements d'Ille-et-Vilaine (Repairs!35) et de Loire-Atlantique (Repairs!44).

A écouter le podcast "Enfants placés : jusque-là tout va mal" de l'émission de France Culture "Les Pieds sur terre" avec deux témoignages qui font écho à ceux de ce reportage à Angers.



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