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Port-de-Paix (Photo G.O.P. creative commons)
Jean-François Ménard nous reçoit chez lui, dans un hameau des bords de Vilaine, près de Rennes, dans une ambiance de « fête des rois » 2013 : la plus jeune de ses petites filles, vient de lui offrir la couronne royale. Mais son esprit et son cœur sont tout autant ici que là-bas, en Haïti. En témoigne la parution de ses livres successifs de poèmes… C’est bien pourquoi son ami écrivain peut dire fort justement : « C’est cette intégration qui fait que le poème parle à tout humain, sensibilise, émeut et renvoie le lecteur à son propre devoir de "retour sur parole". »
Il a vécu à Haïti, une première fois de de 23 à 25 ans (1971 - 1973) en tant que coopérant animateur et enseignant, seul jeune français dans un coin perdu du nord-ouest de l’île à Port-de-paix, le paradis des flibustiers. Il s’est proposé pour former avec Jean-Marie Vincent, prêtre assassiné en 1994, des jeunes qui sont devenus par la suite des leaders ruraux.
Avec femme et enfants à Fonds-des-Nègres
C’est de cette époque que datent ses premiers écrits utilisant ce créole que « Jef », découvre avec bonheur. C’est Serge Gilles, responsable Cimade, puis René Depestre – très grand écrivain haïtien - qui vont l’inviter à les publier. Celui-ci dira « que ses poèmes aident les Haïtiens à résister à leurs malheurs ! »
De retour en Bretagne, Jean-François Ménard est enseignant puis directeur d’un collège en Ille-et-Vilaine. Mais lui et son épouse Marie-Claire mûrissent le projet de vivre, avec leurs trois jeunes enfants, une expérience familiale de solidarité dans un pays étranger. Ce sera en Haïti, au village de Fonds-des-Nègres, dans un projet d’ATD Quart Monde, de 1985 à 1987.
De retour en Bretagne, Jean-François Ménard est enseignant puis directeur d’un collège en Ille-et-Vilaine. Mais lui et son épouse Marie-Claire mûrissent le projet de vivre, avec leurs trois jeunes enfants, une expérience familiale de solidarité dans un pays étranger. Ce sera en Haïti, au village de Fonds-des-Nègres, dans un projet d’ATD Quart Monde, de 1985 à 1987.
C’est dans le contexte historico-politique très déstabilisant des émergences d’appétits et d’illusions après le départ forcé du Président Duvalier fils, qu’il prend la direction d’une école et de plusieurs centres d’alphabétisation. Rapidement, il se rend compte que l’essentiel est de s’investir dans la formation des maîtres : une centaine d’entre eux, sur toute cette zone, bénéficieront ainsi de ses compétences de pédagogue.
« Nous avons une balle pour vous »
Sa plus grande fierté sera de partager en famille les conditions de vie des gens et d’être attentif à leurs besoins, pour « les encourager dans leurs initiatives et éventuellement leur donner un petit coup de pouce non pour faire à leur place mais pour les inciter à réaliser ce qui semble utile pour eux » (plantation de 3000 arbres fruitiers, création de groupes d’alphabétisation, incitations à envoyer les enfants à l’école ou à améliorer leurs conditions d’hygiène et de santé…).
« Le Président sait ce que vous dites et nous avons une balle pour vous » : c'est le message sans ambiguïté qu’il reçoit un jour d’un comité local de sauvegarde du mouvement duvaliériste ! Mais la population apporte un soutien aussi solidaire que protecteur ; il peut donc poursuivre de longs mois son travail, malgré les galères, tout en se passionnant pour l’écriture sans ambitionner d’en faire son métier. Il avoue que s’il avait été seul, il serait resté et y demeurerait peut-être encore. Il aurait ainsi pu partager les terribles épreuves de janvier 2010 de ce peuple auquel il est si fortement attaché.
Avec Marie-Claire, « Grimelle chérie »
Marie-Claire avait quelques appréhensions à se jeter dans une telle aventure… sans grandes réserves pécuniaires et avec les trois enfants en âge scolaire : « La misère ultraprésente me rendait continuellement mal à l’aise face à son impuissance ! » Seuls français dans ce village isolé, ils n’avaient donc personne avec qui pouvoir échanger.
Passé ce rude moment de déprime, elle se lança comme écrivain public tout en balbutiant le créole avec la cuisinière du presbytère, puis participa à l’animation d’ateliers « ménagers » pour les femmes. À voir les noms qu'on lui a donnés, son intégration a été réussie : au début, ce fut « Mme Jean-François », puis « Maman Priscilla » - du prénom de leur fille – puis par son propre prénom « Marie-Claire » avant cet affectueux surnom « Grimelle chérie » en référence au teint mat de son visage.
Une leçon d'accueil et d'ouverture
Marie Claire garde très fortement le souvenir de cette dureté de la vie mais elle conserve surtout « l’extraordinaire impression d’avoir reçu mille fois plus qu’elle n’a donné en matière d’ouverture, d’accueil, de tolérance, de façon d’appréhender simplement la réalité, de prendre le bonheur avec ce qui arrive, de vivre quoi ! » Elle parle longuement du respect et de la dignité que ces gens devenus amis leur ont appris : « Etre propre et bien mis même si l’on a peu pour être digne et agréable, incite à la relation. »
Ils y sont retournés ensemble depuis et les retrouvailles se sont passées avec beaucoup d’émotion. Quant aux trois enfants, « ils en restent profondément marqués quant à l’ouverture d’esprit, à l’acceptation des autres tels qu’ils sont et peut être aussi à leurs choix dans leur exercice professionnel et l’éducation des enfants. »
Retour en Bretagne
De retour dans leur pays rennais natal et convaincus que l’on peut être utile partout, ils se sont engagés l’un et l’autre dans la vie associative et même municipale. Pendant que son épouse reprenait l’enseignement, lui a travaillé au Fongecif, mais là encore en passant d’une simple gestion, au conseil-accompagnement pour aider les personnes désirant rebondir professionnellement, à construire un projet motivant.
De là, il a collaboré, dans le cadre de l’Agefiph, à l’ouverture aux jeunes handicapés bretons de nombreux centres d’apprentissage et autres lieux d’éducation scolaire et/ou professionnelle moyennant une formation appropriée des maîtres : expérience qui s’est diffusée dans d’autres régions.
Un vrai « booster »
Modestement Jean-François Ménard dit que « ce sont les circonstances – celles d’être au bon endroit à trois ou quatre moments privilégiés de l’existence - qui ont fait (son) parcours, enrichi des partenaires rencontrés. » Il oublie de parler de cette énergie de booster (accélérateur) qu’il transmet en donnant confiance aux personnes qui le croisent en dépit parfois d’institutions et de circonstances qui pousseraient plus à douter et à attendre.
L'entretien s'achève. Jean François Ménard dit qu’il a trois « tickets » d’immortalité : ses enfants, les arbres qu’il a plantés et ses lignes d’écriture. D'autres, sans doute, ne manqueront pas d’ajouter fort justement le quatrième ticket que représentent tous ces gens qu’il a aidés à se révéler à eux-mêmes et à avancer sur leur propre chemin.
Jacques Bruneau
À lire de Jean-François Ménard
(Tous ses ouvrages sont publiés chez L’Harmattan)
- Vient de paraître (2012) :
Des voix dans les arbres
Des voix dans les arbres
- Ouvrages précédents :
Haïti Blues (1985)
Calebasse d’étoiles (1989)
De l’autre bord de l’eau (1994)
D’écume au vent la vie (1996)
Le soleil sur l’ardoise (1999)
Léger goût d’orange sûre (2000)
Brumes en lumière (2002)
Par ailleurs, de sa plume, le livre repris de la thèse de Renald Clérismé sur les esclaves haïtiens : Main d’œuvre haïtienne, capital dominicain