Jeanine Gautier.mp3 (17.42 Mo)
Le rendez-vous a eu lieu au Mans. À mi-chemin entre Paris et la Bretagne. Claire est encore toute tremblante des violences de la veille. Elle n’en peut plus des gifles et des coups que lui donne son compagnon depuis des mois. C’était pourtant l’amour fou de sa vie, le caïd qui l’a fait craquer alors qu’elle était en foyer. Mais tout a chaviré. « Pendant quatre ans, j’ai attendu, j’ai espéré… » Alors, ce soir-là, avec sa petite fille, elle a décidé de partir. Loin. De tout quitter. C’est sa grand-mère qui vient la chercher. Elle n’a pas hésité une seconde à faire la route depuis Redon. « J’étais complètement paniquée, poursuit Claire, regardant sans cesse derrière si on n’était pas suivi ! J’en ai encore le cœur qui bat la chamade rien que d’y repenser… »
Claire va retrouver un peu de sérénité dans la campagne bretonne mais réalise qu’elle doit vite trouver une solution pour devenir autonome. Grâce à une assistante sociale, elle rencontre les femmes de l’équipe Saint-Vincent de Redon, qui accompagnent, comme elle, des femmes battues, en détresse. Et en 2009, elle s’installe avec sa fille, dans la petite maison qu’elles ont aménagée à Redon : « J’étais bien, se souvient Claire. C’était pas grand-chose mais j’avais les clés et je me sentais chez moi. Quand on n’a rien et qu’on a ça… c’est déjà beaucoup. »
Claire va retrouver un peu de sérénité dans la campagne bretonne mais réalise qu’elle doit vite trouver une solution pour devenir autonome. Grâce à une assistante sociale, elle rencontre les femmes de l’équipe Saint-Vincent de Redon, qui accompagnent, comme elle, des femmes battues, en détresse. Et en 2009, elle s’installe avec sa fille, dans la petite maison qu’elles ont aménagée à Redon : « J’étais bien, se souvient Claire. C’était pas grand-chose mais j’avais les clés et je me sentais chez moi. Quand on n’a rien et qu’on a ça… c’est déjà beaucoup. »
« Je ne pouvais pas rester sans ne rien faire »
Faire sortir de la précarité et de la solitude des femmes à qui la vie n'a pas toujours souri, c’est l’obsession de ces militantes qui, au sein de l’équipe Saint-Vincent, ont décidé d’agir. Jeanine Gautier, âgée aujourd’hui de 89 ans, originaire de Fégréac en Loire-Atlantique, est l’une d’entre elles. Présidente de l’équipe Saint-Vincent de Redon de 1985 à 1995, elle a passé sa vie à s’engager bénévolement dans des actions sociales et de solidarité.
Marquée par l’éducation des sœurs Bernadettes de Saint-Gildas-des-Bois et le pensionnat qu’elle rejoint juste après la guerre, elle participe à l’Action catholique générale féminine, assumant des responsabilités au niveau régional et national, siège au centre communal d’action sociale avant de s’engager dans la vie municipale et au Secours catholique.
« Je n’ai pas hésité à rejoindre l’équipe Saint-Vincent, confie-t-elle. J’étais effondrée de découvrir la vie de ces femmes, rejetées par leur conjoint, souvent entre 30 et 40 ans, bousculées par les soucis, le manque d'argent et l'isolement. Des mères célibataires, des femmes victimes de violences conjugales, des étrangères qui ne parlaient pas français, des femmes dans la détresse du chômage, qui n’avaient pas pu faire d’études… Je ne pouvais pas rester sans ne rien faire. »
Marquée par l’éducation des sœurs Bernadettes de Saint-Gildas-des-Bois et le pensionnat qu’elle rejoint juste après la guerre, elle participe à l’Action catholique générale féminine, assumant des responsabilités au niveau régional et national, siège au centre communal d’action sociale avant de s’engager dans la vie municipale et au Secours catholique.
« Je n’ai pas hésité à rejoindre l’équipe Saint-Vincent, confie-t-elle. J’étais effondrée de découvrir la vie de ces femmes, rejetées par leur conjoint, souvent entre 30 et 40 ans, bousculées par les soucis, le manque d'argent et l'isolement. Des mères célibataires, des femmes victimes de violences conjugales, des étrangères qui ne parlaient pas français, des femmes dans la détresse du chômage, qui n’avaient pas pu faire d’études… Je ne pouvais pas rester sans ne rien faire. »
Jeanine Gautier, présidente de l'équipe Saint-Vincent de Redon de 1985 à 1995 avec Thérèse Lahaye, présidente de 2008 à 2011.
Connectée au mouvement national
Très vite, Jeanine intègre la fédération nationale des équipes Saint-Vincent, présidée alors par Mauricette Acquaviva, mère du ministre Jean-Louis Borloo, et ne va pas tarder à bousculer l’organisation, estimant qu’il faut passer de l’assistanat à l’accompagnement : « Il y avait dans le mouvement, beaucoup de femmes issues de la noblesse et de la bourgeoisie et je me suis dit en arrivant : ma pauvre Jeanine… qu’est-ce que tu viens faire là ! Mais ça se comprend car, qui à l’époque, avait du temps à consacrer à la lutte contre la pauvreté, qui savait conduire une réunion, écrire un compte-rendu, solliciter des partenaires, mener une équipe ? Que les gens aisés ! »
L’action, des équipes se limite à l’époque aux visites à domicile, écoute, témoignage d’amitié pour rompre la solitude, avec de temps en temps, un colis pour faire face à l’urgence alimentaire. Insuffisant pour Jeanine ! « On n’aide pas l’autre sans lui confier une responsabilité… je n’avais pas l’habitude de fonctionner ainsi ! Il fallait que les femmes soient responsabilisées et s‘engagent mutuellement. »
L’action, des équipes se limite à l’époque aux visites à domicile, écoute, témoignage d’amitié pour rompre la solitude, avec de temps en temps, un colis pour faire face à l’urgence alimentaire. Insuffisant pour Jeanine ! « On n’aide pas l’autre sans lui confier une responsabilité… je n’avais pas l’habitude de fonctionner ainsi ! Il fallait que les femmes soient responsabilisées et s‘engagent mutuellement. »
« Sans toit, on ne sait pas où aller ! »
Jeanine se met en quête d’une maison pour accueillir les femmes en détresse, « Sans toit, on ne sait pas où aller ! » En 1990, la ville de Redon met à disposition de l’équipe une petite maison, rue de Galerne. Les conjoints viennent prêter main-forte pour la rendre accueillante avec le soutien de la fédération nationale qui participe au financement des travaux de rénovation. Cuisine à l’entrée, une grande pièce pour se réunir et une chambre. La nouvelle fait le tour des services sociaux et les demandes commencent à affluer.
Il faut dire que le bassin de Redon a été frappé de plein fouet par la crise économique. Une à une les usines ont fermé leurs portes, le chômage de longue durée est entré dans les foyers : « Il fallait trouver des solutions et tout le monde était démuni », se souvient Jeanine. La nouvelle présidente propose alors que les membres de l’équipe se partagent les responsabilités. « Nous étions au cœur des problèmes, on vivait avec ! On a dû être les premiers à mener ces actions dans le pays de Redon. On devait répondre à l’urgence, lancer des actions, innover, tenter, expérimenter et ensuite, passer le relais à d’autres associations. »
Il faut dire que le bassin de Redon a été frappé de plein fouet par la crise économique. Une à une les usines ont fermé leurs portes, le chômage de longue durée est entré dans les foyers : « Il fallait trouver des solutions et tout le monde était démuni », se souvient Jeanine. La nouvelle présidente propose alors que les membres de l’équipe se partagent les responsabilités. « Nous étions au cœur des problèmes, on vivait avec ! On a dû être les premiers à mener ces actions dans le pays de Redon. On devait répondre à l’urgence, lancer des actions, innover, tenter, expérimenter et ensuite, passer le relais à d’autres associations. »
Une coopérative alimentaire
La première action lancée est une coopérative alimentaire. L’initiative a vu le jour dans l’Est de la France : « Le but est de porter une première assistance – nourriture, écoute, mise en sécurité – mais surtout un accompagnement éducatif. Nous proposions à ces femmes, un contrat d’engagement moral : elles s’engageaient ainsi à venir un mardi sur deux à la Maison Saint-Vincent pour suivre les cours de cuisine dispensés par la conseillère en économie sociale et familiale.
En effet, peu d’entre elles savaient cuisiner ou prenaient le temps de préparer un repas équilibré… Avec ces cours, elles découvraient le plaisir de préparer une recette, de partager un bon plat à faible coût et équilibré d’un point de vue nutritionnel. Elles apprenaient aussi à gérer un budget. C’étaient des moments de rencontre privilégiés avec d’autres femmes, une occasion de sortir de chez elles pour partager un moment de convivialité. »
L’équipe collecte des aliments de première nécessité que les femmes en difficulté achètent à un prix très modique : « L’important était d’apporter de la dignité. Nous ne voulions pas qu’elles aient l’impression de venir quémander… ni nous, de faire "charité" !
En effet, peu d’entre elles savaient cuisiner ou prenaient le temps de préparer un repas équilibré… Avec ces cours, elles découvraient le plaisir de préparer une recette, de partager un bon plat à faible coût et équilibré d’un point de vue nutritionnel. Elles apprenaient aussi à gérer un budget. C’étaient des moments de rencontre privilégiés avec d’autres femmes, une occasion de sortir de chez elles pour partager un moment de convivialité. »
L’équipe collecte des aliments de première nécessité que les femmes en difficulté achètent à un prix très modique : « L’important était d’apporter de la dignité. Nous ne voulions pas qu’elles aient l’impression de venir quémander… ni nous, de faire "charité" !
Pas de question, pas de jugement
Parfois, le téléphone sonne au beau milieu de la nuit. Gendarmes et services sociaux sont désemparés : « À l’époque, il n’existait guère de solution pour accueillir une femme battue, mise à la porte de son domicile par le conjoint violent. Alors, on s’est organisé entre nous. Je me souviens d’une femme en détresse qui a débarqué avec quatre enfants ! Et de ce mari qui est resté planté juste à côté de la maison, pendant de longues heures. On n’en menait pas large ! »
Pas de question, pas de jugement. Les femmes sont accueillies comme elles sont. Il faut cette réciprocité pour enclencher confiance et accompagnement. Avec le temps, la parole se libère : « Elles nous confiaient beaucoup de choses, en toute liberté, qu’elles n’avaient sans doute jamais confiées à personne… Nous écoutions, en compassion. Elles étaient sorties des griffes et de l’emprise du mari violent. C’était un acte de courage. »
Au début, l’accueil est limité à trois jours et trois nuits, le temps de trouver une autre solution. Mais la limite est toujours dépassée faute de solution durable. « Le plus dur, se souvient Jeanine, était de savoir qu’elles étaient retournées quelques jours après avec le mari violent. Elles ne s’imaginaient pas pouvoir exister pour elles-mêmes. Et les coups reprenaient de plus belle… »
Pas de question, pas de jugement. Les femmes sont accueillies comme elles sont. Il faut cette réciprocité pour enclencher confiance et accompagnement. Avec le temps, la parole se libère : « Elles nous confiaient beaucoup de choses, en toute liberté, qu’elles n’avaient sans doute jamais confiées à personne… Nous écoutions, en compassion. Elles étaient sorties des griffes et de l’emprise du mari violent. C’était un acte de courage. »
Au début, l’accueil est limité à trois jours et trois nuits, le temps de trouver une autre solution. Mais la limite est toujours dépassée faute de solution durable. « Le plus dur, se souvient Jeanine, était de savoir qu’elles étaient retournées quelques jours après avec le mari violent. Elles ne s’imaginaient pas pouvoir exister pour elles-mêmes. Et les coups reprenaient de plus belle… »
Solidarité et éducation populaire
Les innovations sociales s’enchaînent au sein de l’équipe Saint-Vincent, dans un esprit d’éducation populaire. Jusqu’en 2018, la coopérative alimentaire vient en aide à quelque huit-cents personnes. Puis l’équipe propose des cours d’alphabétisation, des micro-crédits, des activités éducatives, des sorties et découvertes, des actions de solidarité et d’entraide. « J’étais vraiment touchée par l’engagement de l’équipe Saint-Vincent sur la longueur, sans jamais faillir, atteste Josette Marty, alors directrice du Centre départemental d’action sociale. Il y avait une loyauté chez ces femmes qui jamais n’a fait défaut. C’était une démarche éducative qui obligeait à anticiper, c’était réellement de l’éducation après des siècles d’assistanat. C’était très courageux et novateur à l’époque. »
Des femmes pour des femmes
Des femmes pour des femmes, au-delà de leurs différences culturelles. Au XVIe siècle, Saint-Vincent-de-Paul l’avait déjà imaginé : « Les hommes et les femmes ensemble ne s’accordent point en matière d’administration ; ceux-là se la veulent arroger entièrement et celles-ci ne le peuvent supporter. » Alors c’est décidé : seules des femmes interviendront dans les équipes pour proposer leur aide et leur accompagnement aux femmes en détresse.
« Cela a été pour moi une grande joie de vivre cette expérience au sein de l’équipe, en faisant en sorte que tout le monde trouve sa place et soit reconnu, confie Roseline Riaud, présidente de 2014 à 2019. Plus je suis en responsabilité, plus je me sens proche de ces personnes. » Derrière l’engagement de ces femmes de l’équipe, il y a leur militance et surtout, leur foi : « On n’en faisait pas étalage, sourit Jeanine, et c’était la bonne volonté des personnes qui primait. Les femmes accompagnées savaient que nous étions chrétiennes mais elles étaient accueillies totalement libres, sans aucune obligation ni référence à la religion. Le sujet de la violence faite aux femmes était tabou et peu connu. On découvrait que la violence touche tous les milieux sociaux. »
Après plus de 170 ans de présence et d’action, l’équipe Saint-Vincent de Redon est contrainte de mettre un terme à ses activités et de dissoudre l’association. « Les équipières ont toujours été là à côté de moi mais en me laissant libre face à mes choix et à mes démarches, témoigne Claire, avec le recul. Elles m’ont apporté de la gentillesse, de la compassion, de la confiance. Il y avait toujours un sourire, une parole réconfortante, un soutien, toujours du positif qui aide à tenir, qui donne de l’énergie. Sans elles, je ne serai pas là. Aujourd’hui, je m’émerveille de chaque jour que je vis, du soleil du matin, du rouge-gorge dans le jardin. L’équipe Saint-Vincent… une espèce de boule d’amour ! »
Texte et photos : Tugdual Ruellan.
« Cela a été pour moi une grande joie de vivre cette expérience au sein de l’équipe, en faisant en sorte que tout le monde trouve sa place et soit reconnu, confie Roseline Riaud, présidente de 2014 à 2019. Plus je suis en responsabilité, plus je me sens proche de ces personnes. » Derrière l’engagement de ces femmes de l’équipe, il y a leur militance et surtout, leur foi : « On n’en faisait pas étalage, sourit Jeanine, et c’était la bonne volonté des personnes qui primait. Les femmes accompagnées savaient que nous étions chrétiennes mais elles étaient accueillies totalement libres, sans aucune obligation ni référence à la religion. Le sujet de la violence faite aux femmes était tabou et peu connu. On découvrait que la violence touche tous les milieux sociaux. »
Après plus de 170 ans de présence et d’action, l’équipe Saint-Vincent de Redon est contrainte de mettre un terme à ses activités et de dissoudre l’association. « Les équipières ont toujours été là à côté de moi mais en me laissant libre face à mes choix et à mes démarches, témoigne Claire, avec le recul. Elles m’ont apporté de la gentillesse, de la compassion, de la confiance. Il y avait toujours un sourire, une parole réconfortante, un soutien, toujours du positif qui aide à tenir, qui donne de l’énergie. Sans elles, je ne serai pas là. Aujourd’hui, je m’émerveille de chaque jour que je vis, du soleil du matin, du rouge-gorge dans le jardin. L’équipe Saint-Vincent… une espèce de boule d’amour ! »
Texte et photos : Tugdual Ruellan.
VIENT DE PARAÎTRE : "JE ME SOUVIENS DE CETTE FEMME"
Ce livre est une invitation à poursuivre l’œuvre en considérant que la transmission est un devoir. L’équipe Saint-Vincent de Redon nous transmet une histoire singulière. Composée de femmes aux fortes convictions qui ont uni leurs efforts sur le territoire singulier du pays de Redon, elles ont su expérimenter de nouvelles réponses aux souffrances sociales apparues dans les années 1980, en particulier au profit des femmes en grande détresse, quels que soient leur pays d’origine ou leur classe sociale. Cette histoire intéresse tout le monde. Elle est présentée surtout sous forme de témoignages d’expériences vécues. Il faut prendre le temps de les lire pour en découvrir la profonde richesse.
« Je me souviens de cette femme / Histoire de l’équipe Saint-Vincent de Redon, de la charité à l’accompagnement social dans la dignité » - Mai 2019.
Responsable de la publication : Roseline Riaud, présidente / rédaction : Émile Lahaye et Tugdual Ruellan / mise en page et impression : Allaire Offset. Prix : 8 €. Tél. 02 99 71 10 53 - st.conwoion@gmail.com
Présentation du livre le mardi 11 juin à 20h15, Ciné Manivel, Redon avec projection du film Monsieur Vincent, réalisé par Maurice Cloche sorti en 1947, dialogues de Jean Anouilh.