Laurence Noëlle nous reçoit chez elle, détendue. Son regard est intense. Sa parole aussi.
D’entrée de jeu, elle évoque son ouvrage, dont le message n’est pas toujours reçu comme elle le souhaite : « Les médias n’en ont vraiment retenu que l’équivalent d’un chapitre : celui sur la prostitution. Ce n’est pas cela que j’ai voulu transmettre. J’ai écrit pour dire que l’on pouvait s’en sortir. Apprendre à vivre avec ses hontes. Transformer le manque d’amour et les blessures de notre vie en passant du " à cause de " au " grâce à ". En fait, dans mon livre, je parle de la vie et de l’amour. »
Elle affirme aussi sa conviction profonde : chacun possède des ressources pour panser ses blessures d’indignité, se remettre debout. « Chaque humain porte en lui les petites graines de ce que certains nomment " la grâce ". Encore faut-il accepter de laisser germer ces graines… »
C’est ce qu’elle a fait. Dans sa quête de sens et de réparation, elle est même allée chercher de quoi nourrir ses propres graines et les faire grandir. Elle se sert « de sa boue et de son fumier pour y faire pousser des fleurs. »
De l’ombre à la lumière
Laurence se raconte avec sincérité. Son discours est emprunt de gravité mais aussi émaillé de rires. Elle évoque, sans détours, les belles choses comme les plus laides. Lorsqu’elle est bébé, ses parents choisissent d’installer sa chambre dans la salle de bain familiale. Elle y passe toute son enfance, sans intimité et contrainte de subir celle des autres. Son beau-père, pédophile, l’y abuse.
À partir de 14 ans elle multiplie les fugues et commence à se droguer et à boire. Elle cherche à être aimée. Elle se réfugie chez des amis, ce sont des proxénètes. A 17 ans à peine, elle se retrouve sur le trottoir. Pour tenir, elle prend des drogues de plus en plus dures. À 18 ans, elle sort de la prostitution, grâce à sa chienne : elle refuse qu’on la lui enlève et pour la première fois, elle dit non. Elle avait gardé une carte du mouvement du Nid , elle appelle.
C’était il y a 28 ans.
Tout ne devient pourtant pas soudain « tout rose ». La culpabilité, les hontes, la grande solitude intérieure, le mépris et le dégoût de soi sont tenaces. Profondément inscrits dans la chair et dans l’esprit. Il faut aussi se sortir des conduites addictives, censées « aider à tenir le coup », avec leur cortège de souffrances morales et physiques.
La rage de vivre
Alors, avec la rage de vivre, de retrouver sa dignité, pas à pas, elle apprend à apprivoiser sa vie, à se laisser apprivoiser par elle, à en lire les signes, « les clins d’œil ». Pour avancer. Pour sortir de l’ombre et aller vers la lumière.
La route a été longue et douloureuse mais, aujourd’hui, Laurence a rendu publique son histoire qui « met le doigt sur des choses qu’il est plus convenable de taire » et elle a trouvé sa voie.
Elle a fondé une famille qu’elle aime et qui l’aime… Son grand garçon de 22 ans a suivi de près le travail d’écriture de son livre.
Titulaire d’un master spécialisé en sophrologie caycédienne et d’un diplôme d’état de formation professionnelle d’adultes, elle est conférencière et formatrice en relations humaines, prévention des violences et lutte contre le trafic sexuel.
Reconnue par les institutions, elle intervient en milieu carcéral et en direction des prédélinquants. C’est ainsi également qu’elle a été auditionnée deux fois à l'Assemblée nationale, dans le cadre du projet de loi sur le système prostitueur.
Un parcours semé d’embûches
De succès en échecs et d’échecs en succès, ça n'a pas été facile.
Pas toujours simple de sublimer ses hontes et le mépris de soi. Les blessures du passé ressurgissent, parfois : « Il y a sans cesse le regard des autres et les doutes intérieurs, c’est comme des bulles qui remonteraient d’un fond de vieille marmite » dit-elle en s’accompagnant de gestes, pour illustrer ses propos.
De s’y retrouver face aux injonctions paradoxales de notre société : « On prône le bonheur, mais le bonheur est toujours suspect ! On dit l’importance de l’amour de soi mais on entend souvent " mais pour qui ils se prennent ceux-là " ! On dit que la prostitution est horrible mais qu’il faut des prostituées ! »
De composer avec la dualité, partout présente dans nos vies : « Après des moments de bonheur, je passe encore parfois à des moments de dépression. On est toujours confronté à cette dualité entre haut et bas, plein et vide, lumière et noirceur. Pourtant, dans la philosophie orientale, ce sont des catégories complémentaires… »
Un chemin de résilience singulier
Pas toujours simple de ne pas céder aux tentations de facilité, de se tracer un chemin professionnel, de se faire de « belles » relations sociales…
Pourtant, après chaque nouvelle chute, face à chaque nouvelle difficulté, Laurence n’a de cesse de se relever. Pour se construire. Pour finir par se trouver.
Elle est allée chercher dans ce que la vie lui offrait.
Elle a puisé dans les livres, ceux qui parlent de la vie et de la réalisation de soi. Elle a ainsi « rencontré » d’Asembourg, Cyrulnik, Kubler-Ross, etc. : « Curieusement, j’ai toujours trouvé le bon livre au bon moment. Scott Peck a eu un rôle de déclencheur : avec lui, j’ai appris à vivre avec la vie. »
Elle a exploré les outils du développement personnel, la spiritualité : psychanalyse, sophrologie, méditation, Bouddhisme tibétain…
Elle est allée vers les associations : le Nid, toujours fidèle, les Alcooliques Anonymes.
Elle a expérimenté mille choses et travaillé dur pour se réaliser dans un métier qu’elle aime.
Elle a accepté les belles rencontres et ainsi croisé la route de son mari : « Il m’a toujours soutenue, ne m’a jamais jugée malgré les difficultés. Depuis le livre et les auditions à l’assemblée, il est en veille sur ce qui est dit ou écrit de moi, parfois des choses très dures. Moi, je n’y arrive pas. »
Ecouter la vie et oser
Aujourd’hui, elle dit : « Je souhaite que vous écriviez qu’il m’a fallu 28 ans pour en arriver là. Pour me relever de mes 18 premières années d’existence. »
Mais elle est exigeante et sait qu’elle n’en a pas encore fini : « Il faut apprendre à vivre avec ses hontes pour rebondir et avancer sur le chemin de la libération. Il faut oser agir. Je ne crois pas au hasard : si l’on veut se réaliser, il faut écouter les signes que la vie nous fait et ça, ça peut durer jusqu’à notre fin. »
Alors, elle persiste et va chercher de l’enseignement dans tous les « clins d’œil » que lui fait la vie : « Il faut que tout ce qui nous arrive prenne sens. Notre petit garçon est atteint d'autisme, le syndrome d'Asperger. Ça n’est pas toujours facile, mais de cela aussi je tire des enseignements, pour cheminer encore. »
Maintenant qu’elle est dans la lumière, Laurence veut continuer à dire. Elle songe à l’écriture d’un prochain livre. Elle apparaitra bientôt sur la chaîne LCP dans un documentaire d’Hubert Dubois sur les survivantes de la prostitution.
Et puis, il y a aussi de ces moments de grâce ! À l’aube des fêtes de fin d’année, Laurence est lumineuse, elle adore Noël : « C’est le solstice d’hiver et c’est la lumière qui revient ».
Dominique Crestin
POUR ALLER PLUS LOIN
Laurence Noëlle présente son livre (vidéo)
Commission spéciale prostitution à l'Assemblée nationale (vidéo)
Attention : cette vidéo dure 1h20, mais il est possible de n’y consulter que certains passages, comme l’audition des personnes sorties de la prostitution dont Laurence Noëlle fait partie, en cliquant sur les onglets à droite. Cette vidéo ne pourra être visionnée que jusqu’au 29 janvier
Extrait de « L’imposture » , film canadien d’Eve Lamont : « La tendance actuelle à faire de la prostitution un métier « comme un autre » est démentie par des femmes prostituées. Avec lucidité et courage, elles dévoilent la face cachée de ce prétendu « travail du sexe » qui ne relève pas d’un choix éclairé procurant richesse, plaisir et liberté. »
Documentaire intégral : « Grace : l'enfer du trottoir », film de Hubert Dubois, raconte l'histoire d'une jeune nigériane de 18 ans. A visage caché, elle témoigne de l'enfer qu'elle connaît depuis deux ans.