Féfet (tirage de Marcel Cloitre)
Il était une fois... Non, ce conte-là, il faut le commencer par la fin, par aujourd'hui. Yffic Dornic, 75 ans, s'est assis devant son ordinateur, dans l'ancien entrepôt du quai de la Douane où il trimballait jadis des sacs d'engrais et où il côtoie maintenant les artistes du Fourneau, le Centre des Arts de la Rue. Il a ouvert son blog Portde.info et il a cliqué sur Féfet. Ça explique tout.
« Un jour, Féfet a vu que je n'avais pas d'argent sur moi »
« Un jour, Féfet a vu que je n'avais pas d'argent sur moi »
Podcast : la folie du citoyen Iffic (1.51 Mo)
« Mon père aimait deux soeurs »
Comme Fefet, comme tant d'autres, Yffic a jeté l'ancre sur le port du bout du monde quand sa vie faisait naufrage. Le champion de la mémoire raconte volontiers sa propre histoire. Tout bébé, la galère a commencé. « Mon père aimait deux sœurs, il s'est marié avec l'une et a aimé physiquement l'autre. » Mère célibataire, fille-mère comme on disait à l'époque, chez des bourgeois de Quimper, vous voyez le tableau ?
Le petit Yves est donc né à Nantes, le 27 octobre 1936 et a vécu une enfance nomade, embaluchonnée. Nantes, Rennes, Laval, Segré... : « J'ai vécu dans vingt-deux endroits pendant la guerre ». D'autant que les très bretons parents se sont retrouvés embringués dans d'épineuses aventures autonomistes.
La guerre finie, la mère, travailleuse, excellente couturière, donne à son gamin une « éducation très catholique » À l'école, il est « très bon en théorie mais mauvais en pratique ». Alors, il part bosser. Renvoyé à 19 ans pour activisme syndical à la CGT, il entre dans l'affichage, à Rennes, par son père toujours présent pour un coup de main.
Le petit Yves est donc né à Nantes, le 27 octobre 1936 et a vécu une enfance nomade, embaluchonnée. Nantes, Rennes, Laval, Segré... : « J'ai vécu dans vingt-deux endroits pendant la guerre ». D'autant que les très bretons parents se sont retrouvés embringués dans d'épineuses aventures autonomistes.
La guerre finie, la mère, travailleuse, excellente couturière, donne à son gamin une « éducation très catholique » À l'école, il est « très bon en théorie mais mauvais en pratique ». Alors, il part bosser. Renvoyé à 19 ans pour activisme syndical à la CGT, il entre dans l'affichage, à Rennes, par son père toujours présent pour un coup de main.
Pinder, la gloire de l'afficheur
Après la guerre d'Algérie qu'il a vécue « sans tirer un coup de fusil », en tirant seulement... six mois supplémentaires, il embauche chez l'afficheur Giraudy, toujours grâce à son père. Puis chez Dauphin. Il est coté. À plusieurs reprises, une voiture le suit et l'accoste : « Je vous embauche ». Arrive comme ça, un jour, une 404 de couleur crème : Pinder. « Ils prenaient les meilleurs. »
Le cirque Pinder, la gloire de l'afficheur ! Durant trois ans, Yves Dornic colle du rêve à travers toute la France. Manque une chose : l'amour. « On n'avait pas le droit de fréquenter. » Pour sa belle, il repart donc chez Dauphin, à Rouen. Mais elle se languit aussi de son pays natal. Va pour Landerneau. L'ouvrier s'installe à son compte : « Ça c'est mal passé ; je suis un mauvais gestionnaire, elle est partie. » L'amour, l'amour...
Après sept-huit mois de boulots-galère, Yves Dornic, le moral par terre, s'en va voir le curé. « Il m'a dit : "Tu ne viendras plus me voir, je le sais, mais va sur les quais à Brest, va faire docker, tu gagneras ta croûte." » En 1972, à 36 ans, l'enfant de 36, sans le savoir, entame une nouvelle vie.
Le cirque Pinder, la gloire de l'afficheur ! Durant trois ans, Yves Dornic colle du rêve à travers toute la France. Manque une chose : l'amour. « On n'avait pas le droit de fréquenter. » Pour sa belle, il repart donc chez Dauphin, à Rouen. Mais elle se languit aussi de son pays natal. Va pour Landerneau. L'ouvrier s'installe à son compte : « Ça c'est mal passé ; je suis un mauvais gestionnaire, elle est partie. » L'amour, l'amour...
Après sept-huit mois de boulots-galère, Yves Dornic, le moral par terre, s'en va voir le curé. « Il m'a dit : "Tu ne viendras plus me voir, je le sais, mais va sur les quais à Brest, va faire docker, tu gagneras ta croûte." » En 1972, à 36 ans, l'enfant de 36, sans le savoir, entame une nouvelle vie.
Un docker chez les artistes
Elle commence durement, comme la première. Il débarque sur le port « dans un état lamentable », « habite dans sa voiture », découvre « la mafia, les pros, les copains, les trafics ». Lui gardera toujours sa carte O. Occasionel à vie. Mais il y a Féfet et d'autres ; un chef docker le fait travailler, au port et chez lui, à son chenil, lui offrant en outre le gite et le couvert. Vingt-quatre ans plus tard, en 1996, au départ en retraite, « c'est la CGT qui a payé : on était 500 ! »
C'est que le bonhomme au chapeau s'est imposé sur le port. Chez les dockers et à côté, notamment chez les artistes de Grains de Folie puis du Fourneau. Pour eux, le docker a souvent soulevé et porté. Et surtout l'ancien afficheur a collé : « C'est un métier, mon métier. » Devenu Yffik, il a même été désigné gardien du Centre, tout en gardant sa caravane : « Ça me rappelait Pinder, la plus belle période de ma vie ! »
C'est que le bonhomme au chapeau s'est imposé sur le port. Chez les dockers et à côté, notamment chez les artistes de Grains de Folie puis du Fourneau. Pour eux, le docker a souvent soulevé et porté. Et surtout l'ancien afficheur a collé : « C'est un métier, mon métier. » Devenu Yffik, il a même été désigné gardien du Centre, tout en gardant sa caravane : « Ça me rappelait Pinder, la plus belle période de ma vie ! »
Maire du port et branché
Il y a dix ans maintenant, le docker-afficheur-gardien rencontre au Fourneau, un autre Yffic, Yffic Cloarec, champion du net. « J'ai envie de te mettre à écrire des mails», lui dit-il. À partir de ce jour-là, Yffic Dornic a « appris la science du mail ». « J'écrivais et j'avais la réponse tout de suite ! » Après, on l'a branché sur les moteurs de recherche, il a tapé « Le port, Brest » et « il est tombé plein de choses ! Je croyais connaitre le port, je ne connaissais rien. »
Modeste Yffic ! Tu parles qu'il le connaît le port, depuis longtemps. Il a toujours été au courant de tout, surtout des changements à venir concoctés en mairie. « Je disais souvent aux gens "il va se passer ça" », tant et si bien qu'un jour une voix a lancé : « V'là le maire ! » De là, il y a eu une élection « avec plus de votants que d'inscrits ». Un plébiscite. Yffic Dornic maire du Port De ! Mais c'est vrai qu'il lui fallait aller plus loin, jusque dans les entrailles, dans la mémoire.
Modeste Yffic ! Tu parles qu'il le connaît le port, depuis longtemps. Il a toujours été au courant de tout, surtout des changements à venir concoctés en mairie. « Je disais souvent aux gens "il va se passer ça" », tant et si bien qu'un jour une voix a lancé : « V'là le maire ! » De là, il y a eu une élection « avec plus de votants que d'inscrits ». Un plébiscite. Yffic Dornic maire du Port De ! Mais c'est vrai qu'il lui fallait aller plus loin, jusque dans les entrailles, dans la mémoire.
«J'ai souvent dit : "On me redira Monsieur".»
Quand les blogs sont arrivés, c'était pour lui. Blog + mails : le « fou de la pêche », depuis cinq ans, chalute loin, profond. « Je fouille par Google, je téléphone, plein de gens m'envoient des mails ; je leur dis : "Voulez-vous que je vous interviewe pour que la mémoire ne soit pas perdue ? " J'ai eu deux refus sur à peu près 500. » Yffic Dornic ne cesse de remonter à la surface des faits, des photos, des plans, des vies, des joies, des peines...: « Au début, en 2006, je pensais faire 20 pages, j'en ai 120. »
Il a trente dossiers toujours ouverts dont l'explosion du cargo Ocean Liberty qui fit 30 morts et 1000 blessés graves sur le port et dans la ville en 1947. « Six heures par jour », il est devant l'écran, tapant d'un doigt d'une frappe ouvrière mais taillant ses photos au millimètre et ciselant ses textes : « J'aime ça ; quand j'étais môme, j'avais 19/20 en rédaction ; à 12 ans, j'ai été premier du Maine-et-Loire à un concours ; depuis, j'ai été en débandade, comme un clochard mais j'ai souvent dit aux gars : "On me redira Monsieur".»
Il a trente dossiers toujours ouverts dont l'explosion du cargo Ocean Liberty qui fit 30 morts et 1000 blessés graves sur le port et dans la ville en 1947. « Six heures par jour », il est devant l'écran, tapant d'un doigt d'une frappe ouvrière mais taillant ses photos au millimètre et ciselant ses textes : « J'aime ça ; quand j'étais môme, j'avais 19/20 en rédaction ; à 12 ans, j'ai été premier du Maine-et-Loire à un concours ; depuis, j'ai été en débandade, comme un clochard mais j'ai souvent dit aux gars : "On me redira Monsieur".»
Des interviewes sans fard
Yffic Dornic travaille sur son blog et aussi pour Wiki-Brest et d'autres. C'est une référence dans la vie brestoise. N'hésitez pas à rejoindre son carnet d'adresses déjà considérable. Et à répondre à ses questions. Sans fard. Il vous y aidera. Le pêcheur de mémoire Yffic Dornic a sa technique : « Je ne prépare pas les gens aux questions ; s'ils se préparent, ils ne disent plus pareil ; et quand j'interroge, je suis assez incisif... »
Incisif mais avec l'épaisseur humaine de celui qui s'est bien coltiné la vie. « Un jour, quelqu'un est venu et m'a dit : "Mon père ne sait pas trop écrire mais il a bien connu le port et il a envie de raconter, tu veux bien l'interviewer ? " Il est venu. Il a commencé : "Je n'ai rien à dire..." Au bout d'une heure et demie, il parlait toujours : "Je voudrais encore dire..." »
Il y aurait encore tant à raconter aussi sur Monsieur Yffic Dornic. Cliquez plutôt tout de suite, ici, sur son blog...
Michel Rouger
Incisif mais avec l'épaisseur humaine de celui qui s'est bien coltiné la vie. « Un jour, quelqu'un est venu et m'a dit : "Mon père ne sait pas trop écrire mais il a bien connu le port et il a envie de raconter, tu veux bien l'interviewer ? " Il est venu. Il a commencé : "Je n'ai rien à dire..." Au bout d'une heure et demie, il parlait toujours : "Je voudrais encore dire..." »
Il y aurait encore tant à raconter aussi sur Monsieur Yffic Dornic. Cliquez plutôt tout de suite, ici, sur son blog...
Michel Rouger