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04/07/2022

Les explorateurs des possibles ramènent une planète plus habitable

Reportage : Rémi Mer


Fin juin, le catamaran "Le Nomade des mers" est revenu à Concarneau, son port d'attache. À son bord : de jeunes ingénieurs revenant de six années passées à explorer les"low-tech" à travers le monde. Leur objectif : diffuser ces techniques locales et écologiques, "utiles, accessibles et durables". Indispensables surtout pour la planète. Rencontre.


De g.à d. : Guénolé Conrad, Corentin de Chatelperron et Caroline Pultz - © Low-Tech Lab
De g.à d. : Guénolé Conrad, Corentin de Chatelperron et Caroline Pultz - © Low-Tech Lab
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Certains jeunes rêvent de changer le monde, et c'est heureux. Il y a de quoi faire. D'autres, comme Corentin de Chatelperron et sa compagne Caroline, n'hésitent pas à renoncer à de belles carrières d'ingénieur ou de cadre pour "bifurquer" et développer des innovations low-tech. Leur objectif ? Réparer le monde et le rendre plus habitable et plus désirable. Rien que cela...

Pour Corentin, l'expérience a démarré au Bengladesh avec une expérience dans un chantier naval. Amateur de navigation et de technologie, le Breton, originaire de Muzillac, mène une expérience de radeau autonome dans le Golfe du Bengale. Très vite, l'idée lui vient de construire des bateaux à base de fibre de jute en lieu et place de la fibre de verre  Le projet aboutira en 2013..., quelques années avant le fameux tour du monde. Le "Nomade des mers" est déjà dans les tuyaux. Son ambition est d'en faire un véritable laboratoire flottant capable d'intégrer et de tester grandeur nature les multiples innovations, de façon à être autonome et faire la preuve de la faisabilité des innovations. 

C'est sans doute là que la formation d'ingénieur de l'Icam (Institut Catholique des Arts et Métiers de Nantes) s'est révélée très utile. Un sens aigu de la mécanique et une sacrée prédisposition à combiner des technologies accessibles ont fait le reste. Comme il aime à le rappeler, « ce sont les contraintes (et notamment celles des pays pauvres) qui incitent à faire preuve de créativité, d'innovation. » Sacrée leçon pour les pays dits développés ! Au final, Corentin et ses nombreux équipiers ont répertorié - et surtout documenté ! - à eux seuls plus de 150 low-tech en six ans. 25 d'entre elles ont d'ailleurs été testées à bord du catamaran de 14 m de long et 7,50 m de large. 

Lowtech, kesako ? 

Pour ses jeunes promoteurs, comme pour les organisateurs du festival consacré aux lowtech de Concarneau fin juin, la technologie lowtech répond à 3 critères. Elle doit d'abord être "utile" et satisfaire des besoins essentiels de la vie courante comme se nourrir, disposer d'eau, se déplacer, habiter, se chauffer, traiter les déchets... Second critère, l'innovation doit être accessible, tant au niveau du coût que de son autonomie de fonctionnement (fabrication et réparation incluses, voire recyclage en fin de vie). Enfin, la low tech doit être durable, et à ce titre, respecter les hommes comme la planète.

Six ans, 25 pays, 150 low-tech © Pierre Frechou.
Six ans, 25 pays, 150 low-tech © Pierre Frechou.

​Une sacrée expédition

« Nous sommes partis de Concarneau en 2016 pour un périple qui devait durer trois ans. En réalité,  il durera en fait six ans », annonce d'emblée Corentin, affectueusement appelé "Coco" par ses proches. Et ça lui va plutôt bien, car il sait susciter autour de lui enthousiasme et engagement. Six ans, cela peut paraître long, mais ce fut d'abord une sacrée aventure et des années pleines de belles rencontres. Avec une quinzaine de coéquipiers, Corentin a visité pas moins de 25 pays lors de ses escales, bien préparées en amont.  Au contact des populations locales et des innovateurs, locaux eux aussi. Chaque technologie low-tech repérée est diffusée d'abord localement, et les savoir faire mobilisés auprès des usagers du territoire concerné.

Les exemples de low-tech ne manquent pas : un prototype de désalinisation d'eau de mer au Maroc, un type de charbon durable au Sénégal à base de paille et de déchets, une maison bioclimatique au Mexique, une production d'insectes et un élevage de grillons en Thaïlande, des filtres à eau en céramique au Guatemala, un procédé de déshydratation de mangues destinées à être jetées au Mexique... Mais cela ne se fait pas si facilement : il faut savoir dépasser les écueils et accidents de parcours...

Au final, c'est bien devenu un véritable trésor d'imagination et d'innovations bien documentées pour être mises à disposition gratuitement (en open source, comme on dit) à travers de nombreux supports, sites, fiches et autres tutoriels. On est loin du dépôt de brevet, on entre ici dans le monde des "communs" et du partage pour le bien du plus grand nombre. Curieux mélange d'utopies et de réalisations très concrètes comme un four solaire, une unité de production de champignons comestibles ou la transformation de déchets plastiques en énergie par "simple" pyrolyse !

Jardin hydroponique © Rémi Mer
Jardin hydroponique © Rémi Mer

​Un concentré de low-tech à bord, un écosystème navigant

Pour Caroline Pultz, designer du projet et architecte d'intérieur de formation, l'idée est de « faire entrer à bord la nature et le vivant. » En complément des outils techniques omniprésents sur le catamaran comme les fours solaires, les pédaliers pour fournir de l'énergie et recharger de vieilles batteries d'ordinateurs, des petites éoliennes, des filtres à eau... Quelques exemples liés à l'autonomie alimentaire : un système d'hydroponie, très économe en eau, pour faire pousser des plantes comme des légumes (dont des légumes feuilles comme l'amarante ou le chou kale, mais aussi des tomates, des patates douces, des plantes aromatiques..). Le tout sur 4 à 5 m2, irrigués avec des systèmes de pompe et la gravité naturelle. Encore une idée venue tout droit du Cap Vert !

A côté, un bidon photobioréacteur sert à produire de la spiruline, à partir d'eau de mer, une micro-algue comestible et très riches en protéines. Et enfin des conserves lactofermentées et une production en continu de champignons, eux aussi parfaitement comestibles... De son côté, Corentin ne tarit pas d'éloges devant son élevage de larves de mouches soldats, nourris à partir des déchets organiques des occupants du bateau. Des larves qui font du compost en deux à trois semaines, quand il faut compter de  six mois à deux ans dans les systèmes classiques. 

« Pourquoi inventer une machine compliquée quand la nature fait cela depuis des millions d'années ? », s'exclame Corentin qui s'émerveille devant les potentialité de la nature à partir d'une graine, d'une plante... ou d'un œuf (il y a même eu des poules embarquées !). « Nous avons  quelques milliers de passagers à bord », déclare Caroline. Plantes, champignons et insectes compris, bien sûr !  Le bateau devient à lui tout seul  un véritable écosystème navigant, capable de gérer en autonomie les besoins en eau (réserve de 700 l), en énergie et en alimentation !

Clément Chabot et la tiny house : une autonomie totale - © Low-Tech Lab
Clément Chabot et la tiny house : une autonomie totale - © Low-Tech Lab

La tiny house 
 
Clément Chabot a pu ainsi tester pendant un an sa "tiny house", une maisonnette mobile de 15 m2 parfaitement habitable disposant de tout le confort, et autonome en eau et énergie. Avec des capteurs et des systèmes ingénieux et simples pour la lumière, la conservation d'aliments (un vrai garde-manger), la récupération d'eau pluviale, des systèmes de cuisson économes et même des toilettes sèches !

« Il faut des technologies simples, fiables et facilement réparables », précise Clément.  Il est lui aussi passé par l'Icam de Nantes et envisage de reprendre cette année des études de "design de la transition" à Brest. En attendant, l'idée du prototype de tiny house est actuellement reprise par un artisan de la région de Quimper.

Contribuer à la transition écologique -  © Low-Tech Lab
Contribuer à la transition écologique - © Low-Tech Lab

​Lowtech un projet de développement local

Le projet porté par les jeunes est bien de contribuer à leur niveau à la transition écologique, en offrant des solutions. Les grandes entreprises s'y intéressent de plus en plus, tout comme des organismes comme l'Ademe et les collectivités locales. D'ailleurs la région Bretagne et l'agglomération de Concarneau sont partenaires du projet. Un soutien de poids et un encouragement fort à poursuivre leur travail d'exploration des possibles.

Explore, c'est d'ailleurs le nom du projet de low-tech de Concarneau, en passe de devenir un des hauts lieux de la low-tech. Avec des parrains comme le navigateur Roland Jourdain, fondateur de sa propre entreprise hébergée au Low-tech Lab pour substituer de la fibre de lin à la fibre de carbone. Entre navigateurs, on se comprend. Toujours des matériaux renouvelables, biosourcés...

L'association Low-tech Lab, basée à Concarneau, a initié un Tour de France des low-tech. En parallèle, une enquête a été menée auprès d'organismes et d'entreprises locales pour étudier et favoriser l'intégration de low-tech dans les habitats, les bâtiments et les process industriels. Plus d'une vingtaine ont répondu à l'appel à projets. 

​Lowtech une autre vision du monde

Au-delà des centaines d'exemples, la low-tech est avant tout une vision du monde, une démarche pour répondre aux besoins des populations concernées à partir des ressources locales. Toutes les innovations sont passées au crible de l'intérêt économique, de l'impact environnemental et du bien-être des habitants, notamment à travers l'ergonomie des outils et des process innovants. Mais la démarche est désormais nationale et même plus.

Les jeunes sont à la manette de projets communautaires européens associant toujours des étudiants et des communautés territoriales. L'ensemble va renforcer le site collaboratif, type Wikipedia, avec un annuaire d'entreprises (plus de 800 déjà répertoriées) et un agenda des manifestations et événements de promotion des low-tech. Mais rien n'arrête Corentin et sa bande, car ces jeunes aiment les défis. Le prochain projet, appelé Biosphère 2, permettra de tester dans une capsule des conditions de survie en zone aride, au large du Mexique.

Dans tous les cas, il ne s'agit en rien d'un retour en arrière, mais de construire un monde plus habitable et surtout plus économe en ressources. La preuve : la dynamique low-tech permet d'accroître l'autonomie globale, des individus comme des entreprises. Elle encourage la relocalisation et une redistribution des activités sur un territoire. C'est dire si les low tech ont un avenir tout tracé. Merci les jeunes !  

Rémi Mer 

Les explorateurs des possibles ramènent une planète plus habitable
Pour en savoir plus

Initiatives, pays... toutes informations sur le site du Low-Tech Lab

Deux livres :

Ma biosphère. Vivre autonome grâce aux low-tech. - Par Corentin de Chatelperron, Editions Arthaud 2021,  288 pages. 19,90 € (E-book : 13,99 €).

Nomade des mers. Les escales de l'innovation. - Arte Editions 2018, 256 pages, 29,90 €. Vidéo en VOD : 19,99 €.

Le retour à Concarneau - © Low-Tech Lab
Le retour à Concarneau - © Low-Tech Lab




1.Posté par Paula Fourdeux le 08/07/2022 08:04
Grâce à cet article, lu de bon matin, me voici de bonne humeur pour la journée. Écriture allègre, jeunes qu'on imagine heureux dans leur engagement et surtout des techniques reproductibles inventées de longue date sans détruire la planète, tout au contraire. De l'espoir en main et en joie! Merci à Histoires (pas si) ordinaires, merci à Rémi Mer!

2.Posté par ROUAUX Marie-Annick le 09/07/2022 08:02
Grand merci pour cet article! Les mots manqueraient presque à la lecture :
Magnifique car cela fait rêver d'un autre monde possible
Extra -Ordinaire mais réel
Joie en effet à la lecture de cette créativité ,ingéniosité ,générosité!

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