Janine et Jean-Marie Burguière
20211104 Sur le Larzac avec Hervé Ott....mp3 (10.53 Mo)
« Ici, c’était une bergerie, dit Jean-Marie, il y avait deux rangées de bottes là bas, deux rangées de bottes là, et là aussi... »Les murs de ce qui est devenu la jolie salle de séjour de Janine et Jean-Marie Burguière semblent résonner encore, cinquante ans après, des débats, des éclats, des éclairs de génie des paysans en lutte réunis dans la bergerie de la ferme de l'Hôpital. Y reviennent aussi les angoisses, les colères, la nuit du 9 mars 1975 : la maison de la Blaquière soufflée par un plasticage, Auguste et Marie-Rose Guiraud et leurs enfants accueillis chez Janine et Jean-Marie. Violence d'Etat. Et la non-violence comme riposte.
« Je voudrais que l'on retienne que c’était la toute première lutte non violente, curieusement faite par des paysans. On aurait pris les fusils, on aurait tout perdu. »Comment, par qui, ont-ils bien pu être convaincus ? Marie Burguière n'oubliera jamais le 19 mars 1972, la venue chez les paysans du Larzac de leur grand voisin disciple de Gandhi :
« Sans Lanza del Vasto, ça aurait été différent. Il est venu jeûner à la Cavalerie ; les paysans, on allait l’écouter, on a jeûné avec lui, on était catholiques, ça a consolidé l’équipe. »Dès dix années de lutte héroïque, on ne retiendra donc ici que la non-violence restée au cœur du "Serment des 103" signé le 28 mars, durant le jeûne.
Le jeune théologien Hervé Ott : "C'est là qu'il faut que j'aille"
Depuis la victoire de 1981, la non-violence, sur le causse, s'est principalement nichée au hameau de Potensac dans une ancienne maison de paysan. Elle s'y trouve toujours. L'irréductible intellectuel militant Hervé Ott, 71 ans maintenant, n'a jamais rendu les armes, au contraire, il n'a cessé d'en fourbir depuis qu'il a débarqué au Larzac, à 25 ans, son diplôme de théologien tout juste en poche.
« J’ai connu Lanza del Vasto en 68. J’ai aimé son approche et sa lecture de la Bible. J’étais plutôt réticent à son syncrétisme hindou-biblique, j'étais dérangé aussi par le personnage très séducteur mais j’allais être confronté au service militaire, devoir me positionner, cela m’a aidé à choisir l’objection de conscience. Par la suite, j’ai vu un film où les paysans du Larzac parlaient de non violence, je suis fils de viticulteur, je me suis dit "des paysans qui parlent de non violence, c’est là qu’il faut que j’aille". »
En parallèle, les deux morts de Montredon
Bon choix : 46 ans plus tard, il est toujours là tant la lutte du Larzac puis ses lendemains ont répondu à ses questions, nourri sa réflexion, inspiré ses actions.
« Je crois que le Larzac a fait énormément pour montrer que ce type de résistance est très populaire et efficace. En parallèle, il y avait la lutte des viticulteurs de l’Aude. Un de ses leaders est venu il y a quelques années ici et a confié : "Pendant la lutte, on a dit aux paysans du Larzac "Allez-y, on peut venir vous donner un coup de main." Les paysans ont répondu "Jeannot, reste chez toi, on t’appellera si on a besoin." Aujourd’hui, je comprends qu’ils avaient raison de choisir la lutte non violente, parce que les deux morts qu’on a eu à Montredon le 4 mars 1976, cela nous a cassés pour vingt ans." Pour ce qui est de résister, le Larzac a été une formidable école... "»
Le foncier : après la lutte, une bataille de cinq ans
Une autre victoire des paysans du Larzac : la bataille du foncier
Pas seulement pour résister, pour construire aussi.
« Il y a quelque chose d’important dont on parle peu ou pas dans les livres consacrés à la non-violence sur le Larzac. On a tendance à la réduire à des manifs sympas. Or, je suis persuadé que les paysans ont découvert, par la voix de Lanza del Vasto et par lui de Gandhi, "le programme constructif", à savoir que tout ce qu’on revendique, on commence à le mettre en œuvre ici et maintenant.
Sur le Larzac, il y avait un conflit avec l’État. L’annexion des terres était une demande de l’État. La tâche des paysans était au contraire la reconquête de ces terres, y installer de nouveaux agriculteurs afin de dire "Vous voyez bien, il n’y a pas de place pour l’armée !" C'était le problème du foncier, avec une revendication ancienne : la création d’offices fonciers. Ce qui a conduit à la fondation de la Société civile des terres du Larzac.
Cela a été une bataille de cinq ans après la lutte. Les socialistes disaient : "Vous avez votre Larzac, arrêtez ! " Les paysans ont encore dû se battre. Mais aujourd’hui, les 6 300 hectares qui avaient été expropriés par l’État et que les propriétaires n’ont pas demandé à récupérer ont été confiés à la SCTL. Il y a une politique foncière, elle n’est pas parfaite, il y a des conflits, des intérêts comme partout mais cela va à rebours de tout ce qui se passe à l’extérieur. Il n’y a pas d’accumulation. »
"Nous n'avons pas su ou pu nous renouveler"
Le Cun, un grand centre de recherche et de formation devenu trop spartiate
Des batailles il y en a eu d'autres, multiformes, pour promouvoir la non-violence après la lutte. Pour Hervé Ott, la principale expérience a été celle du Cun, le centre de recherche, de formations et de confrontations (pacifiques...) élargies au travail, la santé, à tous les domaines. Une aventure commencée à son arrivée en 1975 lorsque les paysans ont occupé une ferme achetée par l'armée et y ont installé quatre objecteurs de conscience dont lui, resté l'animateur du centre durant un quart de siècle.
« Le Cun a été florissant dans les années 80. Nous innovions aussi sur les pratiques écologiques, sur la gestion de l'eau, l'énergie avec une éolienne, le chauffage au bois. Mais nous n'avons pas su ou pu nous renouveler. Notre accueil était spartiate, sous la tente. Je me rappelle d’un ami qui venait régulièrement. Au début des années 90, il me dit "Pendant la lutte, oui, je pouvais dormir dans la paille, c’était la lutte, aujourd’hui, j’ai besoin de plus de confort." D’un côté, il y avait des gens pour qui ce n’était pas assez spartiate mais ce n’était pas eux qui nous faisaient vivre – ils demandaient plutôt des réductions - et d’autres pour qui ce l’était trop. Des gens étaient déjà prêts à mettre des 1000 et des 100 pour du développement personnel. Un jour, on a même découvert un stage intitulé "Jeûne et adoration d’icônes" à 4 000 francs la semaine... »L'évolution de la demande a provoqué la faillite du centre, fermé en 2001. Hervé Ott a alors créé une autre structure devenue aujourd'hui l'ATCC Institut ("Approche et transformation constructives des conflits"), qui propose de la formation et de l'accompagnement pour positiver le conflit dans la vie réelle, concrète : professionnelle, familiale, associative, amicale...
La non-violelnce, "une transformation constructive des conflits"
Des initiatives non-violentes multiples face à la tentante violence révolutionnaire
Le jeune théologien objecteur de conscience débarqué sur le plateau du Larzac en 1975 est devenu un théoricien de la non-violence en même temps qu'un chercheur impénitent. De son expérience du Larzac, de ses analyses sur de nombreux terrains - la Nouvelle-Calédonie de Jean-Marie Tjibaou, la Pologne de Lech Wałęsa, l'Algérie du Hirak et tant d'autres -, il en est même venu à un doute aussi majeur que constructif :
« J’ai des interrogations sur le terme non-violence. La définir par son contraire, c’est problématique, surtout que "violence" est un mot attrape-tout. J’ai lancé un appel pour trouver un substitut mais il a fait plouf. Je suis obligé de parler de non-violence. Reste à se demander toujours : derrière la problématique de la violence, c'est comment on travaille avec le conflit ? Qu'est-ce qu'on en fait ? D'où ma proposition : "approche et transformation constructive des conflits". »Un débat pour l'éternité, aussi longtemps qu'il y aura des humains. En attendant, aujourd'hui, où en est-on ? Hervé Ott est partagé.
« Il y a plein d'initiatives partout. Le Larzac n’a aucun monopole, on a tendance à faire croire qu’on est les meilleurs mais ici aussi le collectif a beaucoup diminué et il y a des clivages entre les anciens et les jeunes qui disent "on n’est pas là pour célébrer la gloire du passé". Les initiatives sont beaucoup moins médiatisées parce qu’il n’y a pas lutte ou qu'elles sont très locales mais il y a plein d’endroits où les gens font des choses. En même temps, des intellectuels du désordre séduisent des jeunes, qui vivent une forme d'impuissance incroyable, en reprenant les théories de la violence révolutionnaire. »Les ZAD illustrent bien les deux formes de lutte qui d'ailleurs cohabitent régulièrement, notamment sur le climat ou les inégalités sociales. Les idées n'ont donc pas fini de germer chez le philosophe formateur militant non-violent de Potensac, sur ces terres du Larzac là-dessus à jamais fertiles.
Pour aller plus loin
- De la violence des Blacks Blocs à la non-violence d'Extinction Rebellion :
- Le Larzac aujourd'hui : un reportage en deux volets de Reporterre
- Autogestion et propriété collective, la vie paysanne foisonnante du Larzac
- Une présentation approfondie d'Extinction Rebellion sur France Culture
- "Le conflit comme opportunité"
- Les dix années de la lutte du Larzac
- L'affrontement sanglant de Montredon lors du conflit viticole de 1976