Parnian manifestant à Paris
Poing levé, sous une pluie battante, Parnian invective le régime des mollahs. Face à elle, un jeune homme grimé en ayatollah lui fait signe de se taire. Ici au moins, place du Trocadéro à Paris, pas d'exécution ni de torture ; le peuple a le droit de manifester, et les femmes d'exister. Elles sont une trentaine rassemblées sur le parvis des Droits de l'Homme. Sur les banderoles, les slogans sont sans équivoque : « Notre vote = renversement du régime des mollahs. » Au fond, elles n'ont qu'un rêve : pouvoir enfin retourner en Iran et vivre une liberté qu'elle réclame depuis tant d'années.
Plus de la moitié de sa vie
Plus de la moitié de sa vie
Parnian se bat depuis plus de 30 ans : « J'étais contre le régime intégriste en Iran. Je veux un Islam tolérant dans mon pays. Un Iran libre et démocratique. » C'est avec cet espoir que Parnian a rejoint les rangs de l'Organisation des Moudjahidine du Peuple Iranien (OMPI) dont le siège est situé à Auvers-sur-Oise en région parisienne.
Elle a aujourd'hui 59 ans. Elle a ainsi consacré plus de la moitié de sa vie à se battre pour les droits des femmes et des réfugiés. Aujourd'hui, elle est devenue un pilier des Moudjahidine du peuple. Elle s'est également engagée aux côtés de Myriam Radjavi, la présidente élue du Conseil National de la Résistance Iranienne qui rassemble les principales forces d'opposition à la république islamique hors des frontières iraniennes.
Parnian a rejoint le mouvement en 1981, une année noire pour les opposants au régime. Deux ans après la révolution, les bases du régime de l’ayatollah Khomeini sont encore instables, il veut s'affirmer à tout prix et ne tolère aucune résistance. Les Moudjahidine organisent l'opposition. Le 20 juin, ils appellent à un grand rassemblement qui attire un demi-million de personnes dans les rues de Téhéran. La réaction du Guide est immédiate.
Sur le parvis des Droits de l'Homme au Trocadéro
100 000 morts
Sa garde rapprochée tire sur la foule et arrête toute personne qui oserait s'opposer au nouveau régime. Une dictature est née. Dans les six mois qui suivent, près de 100 000 opposants sont assassinés et des dizaines de milliers torturés dans les cachots de la toute jeune république islamique. Khomeini interdit le mouvement et pourchasse ses membres sans pitié.
Parnian, alors étudiante à l'université et déjà militante aux côtés des Moudjahidines, n'a que 26 ans. Elle quitte son pays pour poursuivre ses études et combattre le régime. La France devient sa terre d'asile. Mais se battre en exil s'avère presque aussi compliqué que se battre à Téhéran. Les Moudjahidine du Peuple ont dû patienter pendant près de 30 ans pour devenir diplomatiquement « fréquentables ». Après le Royaume-Uni en 2008 et l'Union européenne en 2009, les Etats-Unis n'ont retiré qu'en septembre dernier le mouvement de leur liste noire des organisations terroristes.
Parnian a milité intensément pour que le mouvement ne s'essouffle pas. Elle a informé et surtout formé les jeunes. Dont Azadeh, près d'elle ici, au Trocadéro. Âgée de 34 ans, Azadeh symbolise cette nouvelle génération des militantes du mouvement. Elle lutte pour le départ des mollah : « Il faut continuer à se battre, dit-elle ; on combat un régime, on ne peut pas ne rien faire, on vit pour les autres, la résistance c'est pour eux. »
Azadeh, 34 ans et une enfance cachée à Téhéran
Azadeh et sa mère, pourchassées
Azadeh Alemi n'avait qu'un an lorsque sa mère a été emprisonnée et torturée dans les geôles du régime de Khomeini. Deux de ses oncles ont été exécutés, sans autre forme de procès. Les opposants sont déjà systématiquement écartés. Nous sommes en 1980. Les femmes perdent peu à peu leurs droits fondamentaux, la liberté de parole et la liberté de la presse sont réduites à néant. Khomeini devient peu à peu l'objet d'un culte de la personnalité.
Azadeh est alors élevée par ses grand-parents. Elle grandit à Téhéran, cachée. Elle a déjà 9 ans quand sa mère sort de prison. Celle-ci décide de fuir son pays avec sa fille et parcourt plus de 1 500 kilomètres à cheval. Après un mois de voyage, dans le froid et la neige, elles atteignent Ankara. Puis, elles prennent la direction du camp d'Achraf, cette fois, en voiture.
Le camp est une terre d'accueil pour ces Iraniens dont la République islamique ne veut plus. Au fil des années, il s'est modernisé, possède son propre hôpital, des écoles, et fonctionne comme une petite ville. Sa mère décide de s’y installer, Azadeh n’y reste que peu de temps. Elle grandira en France, auprès de son père. Aujourd'hui, cela fait 16 ans qu’elles ne se sont pas revues, tout en se battant pour la même cause.
À 34 ans, Azadeh a repris des études de droit. Elle se dit chanceuse de pouvoir continuer à étudier. Elle a fondé une famille, ses trois fils grandissent à ses côtés en région parisienne. A l'abri.
Chez les mannifestants du Trocadéro, des rêves de retour
« C'est Rouzbeh, il chante bien, non ? »
L' Iran, les deux fils de Parnian, Rouzbeh et Moussa, ne le connaissent pas pas non plus. Ils ne sont pourtant qu'à quelques dizaines de kilomètres de sa frontière. Ils ont aujourd'hui 29 et 32 ans et sont en Irak, après des années d'exil en Allemagne. Ils ont choisi de continuer la lutte en mémoire de leur père, éliminé par le régime iranien il y a 20 ans maintenant.
Ils vivent depuis 2009 dans le camp Liberty, à Bagdad. Un camp de transit qui était sensé faciliter le retour des moudjahidines dans leur pays. En théorie seulement. Le gouvernement iranien leur laisse la porte fermée, et le premier ministre irakien, Nouri Al Maliki, proche de l’ayatollah Khamenei, souhaite les faire quitter le territoire au plus vite.
Plus de 3 000 personnes vivent dans cette ancienne base militaire américaine transformée en camp de réfugiés. Depuis quelques mois, la situation sanitaire s'est détériorée et les blessés peinent à recevoir les soins nécessaires. Les autorités irakiennes bloquent toujours l'acheminement de matériel médical et de médicaments.
La communication avec le camp Liberty est difficile et Parnian n'a pas eu de nouvelles de ses enfants depuis plusieurs mois. Lorsqu'elle évoque ses fils, son regard se perd dans le vide... Elle est inquiète. Mais une lueur apparaît dans ses yeux lorsqu'elle prend son téléphone pour regarder une vidéo de son fils aîné. On le voit chanter en s'accompagnant au piano lors d'une réception à l'OMPI. « C'est Rouzbeh, me dit-elle, il chante bien, non ? »
Azadeh, elle rêve tous les jours de pouvoir emmener ses enfants en Iran. Le pays des est toujours présent dans les discussions. Son aîné, qui a 9 ans, lui a demandé récemment : « Mais maman, quand on ira en Iran, comment on fera, ils ne parlent pas pareil que nous ? » Elle lui a promis qu'elle lui apprendrait le farsi, la langue des Iraniens.
Stéphane Huonnic