Pour entrer dans le Tourne-Méninges, faire le silence en soi, s'asseoir discrètement entre René et Jérôme, en face de Nathalie et Sébastien, sans rien dire, sans bouger, écouter...
La porte des Glycines ne s'est pas refermée. Comme dans le poème de Prévert, la cage des oiseaux chanteurs que sont René, Gérard, Dany et leurs ami(e)s s'est ouverte sur le monde.
« J'ai toujours la haute idée qu'apprendre des choses cela donne une liberté à la personne. C'est grave que certaines ne puissent pas l'avoir. Cela fait partie des besoins comme manger ou dormir. On en est encore à se dire que les adultes handicapés, il faut les soigner. On ne comprend pas qu'ils ont des compétences et qu'il suffit parfois d'un petit coup de pouce. On est là pour les accompagner et non pour faire à leur place. Ils ont à prendre leur destin en main. »
Doriane marque une longue pause puis poursuit : « Moi, ce que j'aime ce sont les étincelles dans les yeux quand quelqu'un a compris et qu'il en redemande. C'est tout simple. Il y a un lien qui se crée. J'ai besoin d'eux aussi, c'est une manière d'exister de se dire qu'on apporte quelque chose à quelqu'un et que l'autre te donne. C'est un partage, un échange... C'est une aventure que d'aller voir ailleurs un autre monde que celui qui m'entoure. C'est un choix, c'est un challenge personnel parce que je me découvre en faisant. Je cherche, j'essaie de comprendre pourquoi j'aime cela. C'est bizarre. »
« J'ai toujours la haute idée qu'apprendre des choses cela donne une liberté à la personne. C'est grave que certaines ne puissent pas l'avoir. Cela fait partie des besoins comme manger ou dormir. On en est encore à se dire que les adultes handicapés, il faut les soigner. On ne comprend pas qu'ils ont des compétences et qu'il suffit parfois d'un petit coup de pouce. On est là pour les accompagner et non pour faire à leur place. Ils ont à prendre leur destin en main. »
Doriane marque une longue pause puis poursuit : « Moi, ce que j'aime ce sont les étincelles dans les yeux quand quelqu'un a compris et qu'il en redemande. C'est tout simple. Il y a un lien qui se crée. J'ai besoin d'eux aussi, c'est une manière d'exister de se dire qu'on apporte quelque chose à quelqu'un et que l'autre te donne. C'est un partage, un échange... C'est une aventure que d'aller voir ailleurs un autre monde que celui qui m'entoure. C'est un choix, c'est un challenge personnel parce que je me découvre en faisant. Je cherche, j'essaie de comprendre pourquoi j'aime cela. C'est bizarre. »
« À 5 ans, j'avais l'imagination d'être instit »
L'envie d'apprendre, la petite Ch'ti de Béthune, elle est presque née avec. « Pour moi, l'école, cela a été important très tôt. Je savais que c'était un enjeu. Mes parents n'avaient pas fait d'études. Ils se sont faits tout seuls. »
Son père, orphelin, est policier mais « pas un vrai policier, il était moniteur de sport et maître-nageur. Avant d'aller au travail, il emmenait les jeunes sur la plage pour faire du jogging. Il disait que les vacances c'était pour tout le monde et qu'il ne fallait laisser personne sur le côté. C'était le leitmotiv de la famille. »
Elle l'adopte très vite : à 16 ans, élève-maître de l'Ecole Normale, elle passe le BAFA et crée avec Bernard, son futur mari, une bibliothèque à la MJC de Béthune pour les jeunes de la ZUP qui passaient dans le lieu sans y rester. « Moi aussi, je séchais les cours. J'allais à la bibliothèque lire " Libres enfants de Summerhill" et les livres de Fernand Oury. »
20 ans. Son premier poste : Sangatte en IME avec un groupe de 15 élèves de 13/14 ans. Puis une classe pour des enfants primo arrivants, puis, pendant treize ans, une classe double. Elle poursuit ses recherches pédagogiques, invitant les parents à venir faire du jardinage, du pain et bien d'autres activités avec les enfants, entraînant tout ce petit monde dans la correspondance scolaire ou les classes vertes à une époque où cela ne se pratique guère. « J'étais un peu électron libre, avoue-t-elle, j'ai stagné dans la carrière. Mais, ajoute-t-elle en riant, cela n'empêchait pas le conseiller pédagogique ou l'inspecteur de venir chercher du matériel dans la classe. Cela les intéressait, ça ne me gênait pas de partager. Si cela marchait chez moi, cela pouvait marcher ailleurs. »
Dans les années 2000, Doriane arrête d'enseigner mais pas de travailler. « J'avais une colère contre l'Education Nationale qui n'avait pas pris en charge la difficulté d'un de mes enfants alors que c'était très facile à surmonter. J'avais aussi une grande frustration : cela faisait des années que je faisais des tas de projets, tout en gardant l'insatisfaction de ne pas avoir donné un maximum à ceux qui étaient en difficulté parce qu'il y avait trop d'élèves et que, malgré les projets, je n'étais pas certaine d'avoir pu faire le maximum. »
Son père, orphelin, est policier mais « pas un vrai policier, il était moniteur de sport et maître-nageur. Avant d'aller au travail, il emmenait les jeunes sur la plage pour faire du jogging. Il disait que les vacances c'était pour tout le monde et qu'il ne fallait laisser personne sur le côté. C'était le leitmotiv de la famille. »
Elle l'adopte très vite : à 16 ans, élève-maître de l'Ecole Normale, elle passe le BAFA et crée avec Bernard, son futur mari, une bibliothèque à la MJC de Béthune pour les jeunes de la ZUP qui passaient dans le lieu sans y rester. « Moi aussi, je séchais les cours. J'allais à la bibliothèque lire " Libres enfants de Summerhill" et les livres de Fernand Oury. »
20 ans. Son premier poste : Sangatte en IME avec un groupe de 15 élèves de 13/14 ans. Puis une classe pour des enfants primo arrivants, puis, pendant treize ans, une classe double. Elle poursuit ses recherches pédagogiques, invitant les parents à venir faire du jardinage, du pain et bien d'autres activités avec les enfants, entraînant tout ce petit monde dans la correspondance scolaire ou les classes vertes à une époque où cela ne se pratique guère. « J'étais un peu électron libre, avoue-t-elle, j'ai stagné dans la carrière. Mais, ajoute-t-elle en riant, cela n'empêchait pas le conseiller pédagogique ou l'inspecteur de venir chercher du matériel dans la classe. Cela les intéressait, ça ne me gênait pas de partager. Si cela marchait chez moi, cela pouvait marcher ailleurs. »
Dans les années 2000, Doriane arrête d'enseigner mais pas de travailler. « J'avais une colère contre l'Education Nationale qui n'avait pas pris en charge la difficulté d'un de mes enfants alors que c'était très facile à surmonter. J'avais aussi une grande frustration : cela faisait des années que je faisais des tas de projets, tout en gardant l'insatisfaction de ne pas avoir donné un maximum à ceux qui étaient en difficulté parce qu'il y avait trop d'élèves et que, malgré les projets, je n'étais pas certaine d'avoir pu faire le maximum. »
Patience et longueur de temps...
Elle décide alors de ne travailler que pour ceux et celles qui ont lâché prise et que l'école a laissé sur le côté : les enfants placés, les petits malades, les jeunes sortant de prison. Elle est auprès d'eux, en face à face, partant de ce qu'ils sont et de ce qu'ils savent.
Un travail qui demande temps et patience : « Je me souviens d'un jeune. Il me dit : "Je te paie un kilo de cerises s'il n'y a pas de clash pendant deux heures". Je n'ai pas eu de cerises mais c'est lui qui m'a bluffée : alors qu'il n'avait jamais été au collège, il avait des stratégies mathématiques et était capable de calculer des pourcentages... à sa manière. Ce qui m'intéresse, c'est de décortiquer leur façon de faire, partir de ce qu'ils savent pour qu'ils acquièrent des stratégies. »
Même en partant du baby foot ! Doriane se rappelle ce jeune dont tout le monde disait qu'il ne savait pas lire mais qu'il était fan de baby foot. Ils se sont d'abord retrouvés pour une partie. « Hors-la-loi, il inventait ses propres lois. Je lui ai proposé d'aller voir le réglement. Finalement, j'ai découvert qu'il savait lire ! Après, il a été le premier à coller le réglement et a exigé que chacun l'applique. On est parti de là pour la suite des aprentissages. Cela a été l'élément déclencheur. »
Cet espace et ce temps privilégiés, Doriane en fait une étape pour amener les jeunes à comprendre à quoi cela sert d'apprendre. « Ce qui se niche là-dessous, c'est un manque d'estime de soi. Quand on arrive à les reprendre là où ils sont, à leur montrer que leur stratégie a de la valeur, qu'il y a des choses qu'ils savent, l'estime de soi revient, c'est gagner pour avancer. »
Un travail qui demande temps et patience : « Je me souviens d'un jeune. Il me dit : "Je te paie un kilo de cerises s'il n'y a pas de clash pendant deux heures". Je n'ai pas eu de cerises mais c'est lui qui m'a bluffée : alors qu'il n'avait jamais été au collège, il avait des stratégies mathématiques et était capable de calculer des pourcentages... à sa manière. Ce qui m'intéresse, c'est de décortiquer leur façon de faire, partir de ce qu'ils savent pour qu'ils acquièrent des stratégies. »
Même en partant du baby foot ! Doriane se rappelle ce jeune dont tout le monde disait qu'il ne savait pas lire mais qu'il était fan de baby foot. Ils se sont d'abord retrouvés pour une partie. « Hors-la-loi, il inventait ses propres lois. Je lui ai proposé d'aller voir le réglement. Finalement, j'ai découvert qu'il savait lire ! Après, il a été le premier à coller le réglement et a exigé que chacun l'applique. On est parti de là pour la suite des aprentissages. Cela a été l'élément déclencheur. »
Cet espace et ce temps privilégiés, Doriane en fait une étape pour amener les jeunes à comprendre à quoi cela sert d'apprendre. « Ce qui se niche là-dessous, c'est un manque d'estime de soi. Quand on arrive à les reprendre là où ils sont, à leur montrer que leur stratégie a de la valeur, qu'il y a des choses qu'ils savent, l'estime de soi revient, c'est gagner pour avancer. »
« Cela me nourrit »
A chaque rencontre, c'est un challenge, une prise de risque aussi. « J'y vais délibérément, j'y perds parfois quelques plumes mais quand il y a des réussites, c'est extraordinaire. »
Et le Tourne-Méninges ? Doriane aimerait que l'idée soit reprise, elle aimerait faire avec d'autres, elle aimerait que cela se propage.
Alors, Doriane, pourquoi ne pas créer une association, écrire un livre pour faire avancer ces initiatives ? « Je suis petite, je ne connais pas les rouages pour faire avancer. Dans les institutions où j'ai travaillé, je n'ai pas eu l'impression d'être écoutée. A la PJJ, par exemple, pour des questions financières, tout s'est arrêté du jour au lendemain. J'avoue que, pendant trois mois, j'ai eu du mal à remettre les choses en route et me dire "ce n'est rien, on fera autrement" ! Tout le réseau était monté, difficile de repartir de zéro ! »
Vous l'avez compris : Doriane ne court pas après le pouvoir car « après tout, ce que je fais, cela me nourrit, donc je ne voudrais pas le perdre. En parler, ce n'est pas toujours évident. Est-ce que s'installer à la marge, ce n'est pas là qu'il y a le plus d'innovation ? Je me sens bien dans ce que je fais. Je me suis cassée les dents quelque fois et c'est rude. Mais ceux qui t'ont fait te casser la figure, ils n'auront jamais connu ce que j'ai vécu. Ce que je vis au Tourne- Méninges, par exemple, cela me nourrit et c'est important. Cela marche pour eux aussi. Ils sortent avec le sourire. Je vois les progrès, l'équipe aussi. Je n'ai pas perdu mon temps et eux, ils ont un bagage en plus pour avancer. C'est bénéfique pour tout le monde. »
Marie-Anne Divet
Et le Tourne-Méninges ? Doriane aimerait que l'idée soit reprise, elle aimerait faire avec d'autres, elle aimerait que cela se propage.
Alors, Doriane, pourquoi ne pas créer une association, écrire un livre pour faire avancer ces initiatives ? « Je suis petite, je ne connais pas les rouages pour faire avancer. Dans les institutions où j'ai travaillé, je n'ai pas eu l'impression d'être écoutée. A la PJJ, par exemple, pour des questions financières, tout s'est arrêté du jour au lendemain. J'avoue que, pendant trois mois, j'ai eu du mal à remettre les choses en route et me dire "ce n'est rien, on fera autrement" ! Tout le réseau était monté, difficile de repartir de zéro ! »
Vous l'avez compris : Doriane ne court pas après le pouvoir car « après tout, ce que je fais, cela me nourrit, donc je ne voudrais pas le perdre. En parler, ce n'est pas toujours évident. Est-ce que s'installer à la marge, ce n'est pas là qu'il y a le plus d'innovation ? Je me sens bien dans ce que je fais. Je me suis cassée les dents quelque fois et c'est rude. Mais ceux qui t'ont fait te casser la figure, ils n'auront jamais connu ce que j'ai vécu. Ce que je vis au Tourne- Méninges, par exemple, cela me nourrit et c'est important. Cela marche pour eux aussi. Ils sortent avec le sourire. Je vois les progrès, l'équipe aussi. Je n'ai pas perdu mon temps et eux, ils ont un bagage en plus pour avancer. C'est bénéfique pour tout le monde. »
Marie-Anne Divet