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01/05/2014

Changer le monde avec Chico Whitaker


En 2001, Francisco Whitaker Ferreira, dit Chico, cofonde le premier Forum social mondial à Porto Alegre, en réponse au Forum économique mondial. Cet Altermondialiste a reçu le prix Nobel alternatif pour le travail de toute une vie vouée à la justice sociale.


En tournée en Europe, il arrive d’Allemagne : des accords sont en voie de négociation avec le Brésil pour en finir avec le nucléaire. À Rennes, il doit donner une conférence sur les enjeux du mouvement altermondialiste. Ensuite, il file à Barcelone.

En ce mois d’avril, il nous reçoit au CRIDEV, blotti dans un large fauteuil.
 
Exilé en France avec sa famille durant la dictature militaire, il s’exprime en français avec un délicieux accent. Discours clair et limpide. Regard et sourires d’une éternelle jeunesse. Il raconte son engagement, livre ses convictions à grand renfort de gestes, parfois.

« Je suis activiste social »

Interrogé sur son choix de passer d‘architecte à sa position actuelle, il répond, taquin : « Je suis physicien  nucléaire ». En riant, il enchaîne : « Les professions sont un moyen de gagner sa vie, pas de faire des choses. Dans sa profession, on ne voit pas ce qui se passe… Je suis passé d’architecte à quantité de choses pour me consacrer à l’activité politique, pas au sens partisan mais à celui de l’éducation populaire. Au Brésil, il y a tellement à résoudre » Chico et sa femme doivent s’exiler, ils dérangent. A leur retour, ils s’investissent pleinement : « Maintenant, je dis que je suis spécialiste en idées générales, activiste social. »

A presque 83 ans, Chico Whitaker s’investit donc encore et toujours « à une époque où la logique de l’argent, la compétition permanente et la prédation de la nature ont pris le pouvoir ». Il travaille pour que la pyramide sociale s’inverse : base en haut, pointe en bas ; que les besoins du plus grand nombre prévalent sur les intérêts économiques ; qu’une plus large conscience collective sociale gagne le monde. Il ne baisse pas les bras. « Si je laisse tomber, je fais quoi ? Je vais chez moi mourir ? »

Le pire : l’omission devant l’inégalité

La genèse de son engagement : un prêtre breton,  Louis-Joseph Lebret,  a guidé les jeunes brésiliens des années cinquante dans cette voie. Il a créé le mouvement " Économie et humanisme ". Le D, pour Développement du Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement (CCFD), vient de lui . Ce prêtre a aussi inspiré l'encyclique  " Populorum progressio   " du pape Paul VI. Chico Whitaker se souvient : « Avec son livre Rajeunir l’examen des consciences, il a mis dans nos têtes d’étudiants que le pire des péchés est l’omission devant la misère et l’inégalité. Nous avons tous été convaincus, il y en a même un qui a été candidat à la présidence de la République ! J’ai eu un parcours plus modeste ! »

Ne pas fermer pas les yeux et découvrir

Il décrit son cheminement et mime : ses paupières, alternativement, s’ouvrent et se ferment. « Quand on est disponible, on voit les choses, on essaie de ne pas fermer les yeux, on découvre au fur et à mesure. » Comme le danger nucléaire qu’il a découvert avec Fukushima. « On vit un moment de l’humanité compliqué : ça a commencé avec la chute du mur de Berlin, l’essor du capitalisme jusqu’en Chine. Ce qui m’encourage ? Je ne peux pas me retirer, qui peut se retirer de ça ? Il n’y a pas de choix ! Maintenant, je dirais que je suis sur deux mi-temps : le Forum social et l’antinucléaire. »
 
Un de ses derniers projets : travailler avec les personnes âgées. « Avec des universités du troisième âge, on souhaite engager les personnes âgées dans l’action et le combat politique :  elles ont capacités, temps, expérience et sagesse ! On appelle le projet  " le vieillissement actif plus ". »

« Je suis société civile plein corps »

Les partis politiques sont partout en crise et la sphère politique ne peut, seule, faire changer le monde. L’engagement politique est d’autant plus important : Heureusement, une part de l’église catholique au Brésil a été progressiste. Ne pas faire de politique, c’est ignorer l’intérêt collectif, laisser les choses comme elles sont. » 

« La politique est une espèce d’obligation »  et il y a au moins deux façons de faire : l’engagement dans les partis ou celui dans la société civile. Chico les a testées mais en a abandonné une : « J’ai été élu parlementaire à Sao Paulo. Rien ne se fera au niveau du pouvoir sans la pression de la société. Il y a un effort énorme à faire pour combattre la corruption. Après deux mandats, j’ai dit " je change de camp." Maintenant, je suis société civile plein corps, je ne peux pas faire autrement... »

Utiliser plus largement l’objection de conscience

Libéralisme et capitalisme gagnent du terrain. Chico Whitaker considère que  La société civile doit s’organiser, proposer des alternatives : « Les partis sont limités. Quand le Parti des Travailleurs a été créé au Brésil, c’était un mouvement de formation. Quand je l’ai quitté, c’était devenu un parti comme les autres : une pyramide de lutte interne pour que les gens montent. »

Il est pressé. Il sait qu’il ne faut rien attendre des décideurs, de là-haut : «  Des jeunes, comme les Indignés, mènent une action politique non traditionnelle, non pyramidale, horizontale, avec de l’information. Il faut continuer. » L'adversaire est coriace : « Le problème, c’est la désinformation. Les médias font partie de la lutte pour conquérir l’espace de dialogue mais ils dépendent énormément du pouvoir. Il faut aider pour que les gens aient conscience des choses. »

Il propose des pistes non-violentes : « On pourrait, par exemple, appliquer plus largement les principes de l’objection de conscience. On gagnerait la guerre ! Si tous les soldats disaient " je ne veux pas être soldat ", il n’y aurait pas d’armée ! Les jeunes qui tuent par ordinateurs pourraient dire : " objection de conscience ". »

Passer du pouvoir-domination au pouvoir-service

Chico Whitaker nous éclaire  sur les principes du Forum social mondial : « Le Forum : mettre ensemble les gens qui font la même chose, alors qu’ils se bagarraient, pour construire le monde qu’on veut. Mais le système a un pouvoir de rouleau compresseur, difficile de sortir de ça ! »
 
Le Forum n’a pas d’objectif d’organisation, mais de convergence ; un espace de rencontre, où les gens se reconnaissent, apprennent à travailler ensemble : « Il y a 40 Forums sociaux thématiques. il faut aller plus loin, en Asie, aux États-Unis. Compléter en Afrique. Le Forum n’est pas un mouvement, une entité ou une organisation : on lutte avec d’autres. C’est une méthode, avec des règles : personne ne peut imposer aux autres. »

Ce n'est pas une fédération, qui instaure déjà une pyramide, la domination sans partage. Alors Chiko Whitaker précise : « Je ne suis pas " du " Forum social, ni " membre ". Au mieux, je suis facilitateur. Il faut lâcher son pouvoir pour que ceux qui dépendent de nous deviennent autonomes. Exercer le pouvoir autrement, c’est passer du " pouvoir domination " au " pouvoir service " : là, les choses peuvent continuer sans toi. »

« Sortir des sentiers battus »

Chico Whitaker nous livre ses impressions sur l’avenir. Le défi : la créativité. Le grand problème : la fragilité de la société civile qui, face au pouvoir -économique, gouvernemental, politique- n’a pas conscience de ce qui se passe : « En France, on ne discute pas le nucléaire. Terrible : non information, mensonges ! Il faut y aller, utiliser les gens qui savent, inventer les modalités de prise de conscience ! Les moyens sont énormes : internet, les réseaux sociaux. Il y a un chemin à trouver. C’est une façon de dire " Je suis pas encore mort, je suis vivant, capable. J’ai une tête, je sais penser, d’autres aussi. Il faut sortir des sentiers battus ". »
 
Au moment de nous quitter, il glisse, malicieux : « Le Forum, c’est un espace qu’il faut faire exister partout, créez en un à Rennes ! Les choses s’accumulent dans le monde un peu partout. À un moment, ça va exploser, il va en sortir une nouvelle étape… Espérons ! »
 
Puis il conclut : « Il y a de quoi penser qu’il faut continuer à vivre : tout ça frémit un peu partout. Ce serait beau si je pouvais participer, encore en vie, à certains grands changements… »
 
Dominique Crestin et Violette Goarant

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