Christian Lucas est aujourd’hui un jeune retraité mais qui reste actif comme formateur, médiateur ou militant. C’est dans son logis de St Malo qu’il évoque pour nous la grande aventure de sa vie : la création de la « Maison des Enfants au Pays » !
Jeune auvergnat diplômé « Éducateur spécialisé », il débarque en 1973 dans l’Ouest : comme éducateur de rue en équipe de prévention à Fougères, puis à I.M.E. (Institut médico-éducatif) à Montfort-sur-Meu où il prend conscience que ce qui l’attire le plus c’est l’accueil des enfants autistes.
Rien d’étonnant donc qu’il se sente « complice des utopies et des réalisations de pionniers de l’éducation spécialisée comme Fernand Deligny ou des courants de l’antipsychiatrie » dont une des figures de proue, à Trieste en Italie, est à cette époque Franco Basaglia.
Jeune auvergnat diplômé « Éducateur spécialisé », il débarque en 1973 dans l’Ouest : comme éducateur de rue en équipe de prévention à Fougères, puis à I.M.E. (Institut médico-éducatif) à Montfort-sur-Meu où il prend conscience que ce qui l’attire le plus c’est l’accueil des enfants autistes.
Rien d’étonnant donc qu’il se sente « complice des utopies et des réalisations de pionniers de l’éducation spécialisée comme Fernand Deligny ou des courants de l’antipsychiatrie » dont une des figures de proue, à Trieste en Italie, est à cette époque Franco Basaglia.
Séduit par la prise en charge d’enfants psychotiques
À Guénouvry, en Loire-Atlantique, Rose-Marie et Yves Guérin, des éducateurs qui ont fondé en 1969 l’école expérimentale de Bonneuil en Val-de-Marne sous la direction de Maud Mannoni, ont ouvert un lieu d’accueil pour enfants psychotiques. Christian Lucas y travaillera dès 1976. C’est une petite institution, de dimension familiale, en milieu rural plus favorable à « l’enfant autiste qui est extrêmement sensible à l’environnement naturel et aux éléments fondamentaux d’eau, de terre, de lumière, d’air et de feu », et où se pratique une pédagogie et une prise en charge psychiatrique sortant des lieux communs de l’époque.
Mais il veut aller plus loin, inspiré par les réflexions qui deviendront les mots d’ordre tant du PSU que de la CFDT auxquels il adhère avec toute la force de ses convictions héritées de son père : « Vivre et travailler au pays ». Il va donc cheminer dans ce sens.
Mais il veut aller plus loin, inspiré par les réflexions qui deviendront les mots d’ordre tant du PSU que de la CFDT auxquels il adhère avec toute la force de ses convictions héritées de son père : « Vivre et travailler au pays ». Il va donc cheminer dans ce sens.
Au début de l'aventure il y a 30 ans
À Poligné, l'accueil d'un artiste et d'un militant
On lui parle du village du Sel-de-Bretagne où vit « un sage » : Eugène Aulnette, décédé en 1991, « sculpteur, mais aussi prophète à sa façon, visionnaire, de bonne culture bretonne » qui l’accueille. Il lui conseille d’aller voir Jean-Claude Allain, un militant engagé dans la sauvegarde du « Tertre gris », une colline de pyrite de fer, cette pierre caverneuse qui lui rappelle les « cailloux » d’Auvergne.
De cette co-militance va naître une étroite complicité et une grande amitié. C’est lui qui deviendra quelques années plus tard le premier président de « l’Association des Enfants au pays ».
Christian apprend par lui que le presbytère de Poligné vient de se libérer : lieu idéal, a priori, pour l’accueil de jeunes psychotiques au sein d’un village. Le maire répond de suite : « Pourquoi pas ? »
De cette co-militance va naître une étroite complicité et une grande amitié. C’est lui qui deviendra quelques années plus tard le premier président de « l’Association des Enfants au pays ».
Christian apprend par lui que le presbytère de Poligné vient de se libérer : lieu idéal, a priori, pour l’accueil de jeunes psychotiques au sein d’un village. Le maire répond de suite : « Pourquoi pas ? »
Au milieu de la population
Le projet va prendre forme : recevoir 15 enfants autistes, dans un « hôpital de jour original » puisqu’en partie « hors les murs » chez les artisans du pays et des familles d’accueil « ordinaires ». Il faudra quatre ans entre la création de l’association support du projet (1978) et l’ouverture de cette « Maison des Enfants au Pays » (1982) autour de cette idée force : « La psychose de ceux qui y seront accueillis étant un pays étranger, comment faire pour les aider à se relier à un pays sinon en reliant ce pays à ces enfants ? »
Christian Lucas ne lésinera pas pour obtenir de solides appuis : de Françoise Dolto, la grande psychanalyste d’enfants ; d’Edmond Hervé, député maire de Rennes devenu ministre de la Santé ; de Nicole Questiaux, ministre de la Solidarité nationale ; de Danièle Mitterrand, qui accueillera au palais de l’Elysée les enfants de Poligné avec leurs éducateurs ; du Dr Pony et de Yves Maléfant responsables d’un CMPP de Rennes ; d’équipes solides de collaborateurs de l’éducation ou du soin mais aussi de gens du pays, de personnes ressources, des troupes de théâtre ou de musique venues ajouter leur créativité à celle de cette jeune institution.
Christian Lucas ne lésinera pas pour obtenir de solides appuis : de Françoise Dolto, la grande psychanalyste d’enfants ; d’Edmond Hervé, député maire de Rennes devenu ministre de la Santé ; de Nicole Questiaux, ministre de la Solidarité nationale ; de Danièle Mitterrand, qui accueillera au palais de l’Elysée les enfants de Poligné avec leurs éducateurs ; du Dr Pony et de Yves Maléfant responsables d’un CMPP de Rennes ; d’équipes solides de collaborateurs de l’éducation ou du soin mais aussi de gens du pays, de personnes ressources, des troupes de théâtre ou de musique venues ajouter leur créativité à celle de cette jeune institution.
Une riche « expérience »
Lors de l'inauguration de la Maison en 1982
Le projet de « la Maison des enfants au pays », défendu par le maire de Poligné, a été agréé le 8 mai 1981 par la Direction des Affaires Sociales « à titre expérimental » en tant qu’ « innovation sociale » pour 15 enfants psychotiques de 6 à 16 ans. La Maison a ouvert ses portes en septembre 1982.
S’en est suivie une période riche en étonnements dans la progression et le développement de ces enfants, passionnante pour les acteurs de cette opération innovante, parsemée malgré tout de résistances, d’épreuves cruelles et d’oppositions parfois dures. Mais le socle était solide : celui de Christian Lucas ancré dans une série de convictions tout autant éducatives et psychanalytiques que politiques et spirituelles.
Lui qui dans cette institution ne cessait de répéter « Faire ce que l’on dit et dire ce que l’on fait », l’a quittée en 1992 dix ans après son ouverture, comme il s’y était engagé.
S’en est suivie une période riche en étonnements dans la progression et le développement de ces enfants, passionnante pour les acteurs de cette opération innovante, parsemée malgré tout de résistances, d’épreuves cruelles et d’oppositions parfois dures. Mais le socle était solide : celui de Christian Lucas ancré dans une série de convictions tout autant éducatives et psychanalytiques que politiques et spirituelles.
Lui qui dans cette institution ne cessait de répéter « Faire ce que l’on dit et dire ce que l’on fait », l’a quittée en 1992 dix ans après son ouverture, comme il s’y était engagé.
Une réussite à de nombreux titres
Le bilan est clairement positif. En termes de sortie de structures psychiatriques « dans lesquelles ces enfants autistes étaient vraisemblablement enfermés à vie » ; d’ouverture à un milieu de vie ordinaire, « fait de familles d’accueil toutes simples, d’artisans du terroir et d’une structure à taille humaine », d’insertions sociale dans l’ensemble réussies ; d’accompagnements thérapeutiques non traditionnels ouvrant sur des espaces de créativité insoupçonnés...
Il y a aussi l'espoir et même le bonheur donnés à de nombreux parents au vu de l’évolution de leurs enfants ; la mise en pratique d’un autre regard sur la maladie mentale en lui donnant une place dans notre société. S'y ajoute un lieu de stages attirant pour un nombre impressionnant d’étudiants éducateurs ou psychologues « enchantés de se former en participant à une telle aventure ».
Il y a aussi l'espoir et même le bonheur donnés à de nombreux parents au vu de l’évolution de leurs enfants ; la mise en pratique d’un autre regard sur la maladie mentale en lui donnant une place dans notre société. S'y ajoute un lieu de stages attirant pour un nombre impressionnant d’étudiants éducateurs ou psychologues « enchantés de se former en participant à une telle aventure ».
Le relais est assuré
Après dix ans de cette direction, faisant suite à neuf années de pratiques éducatives à la base, Christian Lucas a décidé de transmettre ses compétences et son expérience en devenant formateur, d'abord à l’AFPE puis à l’IFMAN. Pendant ce temps, son « enfant » de Poligné poursuivait sa route en accueillant, dans le même esprit, des dizaines de jeunes souffrant de psychoses.
Au tournant de son 30° anniversaire qu’elle vient de fêter, cette structure, toujours animée par un directeur et un psychologue membres de l’équipe d’origine, est appelée « à vivre une mutation importante » après avoir fait des émules dans d’autres régions. Autant de communautés humaines qui portent bien leur nom de « lieux de vie, d’accueil et de soin ».
Jacques Bruneau
POUR ALLER PLUS LOIN
Au tournant de son 30° anniversaire qu’elle vient de fêter, cette structure, toujours animée par un directeur et un psychologue membres de l’équipe d’origine, est appelée « à vivre une mutation importante » après avoir fait des émules dans d’autres régions. Autant de communautés humaines qui portent bien leur nom de « lieux de vie, d’accueil et de soin ».
Jacques Bruneau
POUR ALLER PLUS LOIN
Le « lieu pour dire » de Guénouvry
Le Centre de Guénouvry, à Guémené-Penfao, en Loire-Atlantique, fait référence pour l'accueil des enfants autistes et psychotiques. Il peut en accueillir seize. Il a été créé en 1974 par Yves et Rose-Marie Guérin, des anciens de Bonneuil, l’école expérimentale animée par Maud Mannoni.
Il se présente comme « un "lieu pour dire" qui refuse toute stigmatisation du symptôme et pose la question de la place faite à l'écoute de la demande des enfants et de leurs familles. Le travail de l’ensemble de l’équipe (psychiatre, psychologue, éducateurs (trices), instituteur spécialisé, maitresse de maison, assistante familiale …) se réfère à la Psychothérapie Institutionnelle. »
Le Centre de Guénouvry, à Guémené-Penfao, en Loire-Atlantique, fait référence pour l'accueil des enfants autistes et psychotiques. Il peut en accueillir seize. Il a été créé en 1974 par Yves et Rose-Marie Guérin, des anciens de Bonneuil, l’école expérimentale animée par Maud Mannoni.
Il se présente comme « un "lieu pour dire" qui refuse toute stigmatisation du symptôme et pose la question de la place faite à l'écoute de la demande des enfants et de leurs familles. Le travail de l’ensemble de l’équipe (psychiatre, psychologue, éducateurs (trices), instituteur spécialisé, maitresse de maison, assistante familiale …) se réfère à la Psychothérapie Institutionnelle. »
Quatre figures
Fernand Deligny (1913-1996) d’abord instituteur spécialisé, disciple d’Henri Wallon a créé en 1960 le premier foyer d’accueil pour enfants autistes, dans les Cévennes, à Monoblet. Il a collaboré avec Maud Mannoni qui, de son côté, a expérimenté cet autre espace d’accueil à Bonneuil, pour ouvrir les premiers lieux de vie. Il a écrit plusieurs livres sur ses conceptions éducatives à partir de sa pratique quotidienne et notamment « Graine de crapules » et « Les vagabonds efficaces » et a inspiré le tournage du film « Ce gamin, là » relatant son expérience de vie communautaire pour enfants autistes.
Franco Basaglia fait partie de ceux pour qui, la conviction centrale sur laquelle convergent les grands courants de l’antipsychiatrie est que l’asile devrait disparaître et les malades retrouver tous leurs droits de citoyens dans une société qui pourrait les accueillir, prendre en compte leurs potentialités créatrices… tandis que pour d’autres, généralement peu convaincus par les théories sur la maladie mentale, la psychiatrie est une institution non pas médicale, mais plutôt politique et/ou religieuse médicalisée s’attachant à résoudre non pas les problèmes ou les maux des patients qu’elle traite, mais bien les problèmes posés à la collectivité par le comportement de ces mêmes patients, et ce au moyen de procédés coercitifs (internements, traitements, mensonges) contraires aux principes de l’État de droit.
Maud Mannoni (1923-1998), psychanalyste spécialisée dans l’accueil d’enfants gravement atteints de maladie mentale, crée à Bonneuil une « institution éclatée » où se croisent à la fois les idées mais aussi les expérimentations autour de l’antipsychiatrie et de la pédagogie Freinet, un lieu où l’on enseigne au rythme de chaque enfant mais aussi où l’on trouve un espace de créativité tant à l’intérieur qu’à l’extérieur avec notamment des passages réguliers chez les artisans du village, le tout en liens étroits avec les professionnels éducatifs et de soin mais aussi avec les parents et la fratrie associés à cette démarche. Notons que son livre de 1967 « L’enfant, sa maladie et les autres » fut le premier à paraître dans la collection que lançait Jacques Lacan du « champ freudien ».
Françoise Dolto (1908-1988) pédiatre et psychanalyste pour enfants, co-fondatrice en 1964 avec Jacques Lacan de l’ « Ecole freudienne de Paris » base son travail thérapeutique avec l’enfant sur « le parler vrai », car, dit-elle, « on ne peut mentir à l’inconscient qui connaît la vérité ». C’est dans cet esprit qu’elle crée en 1979 « les Maisons vertes » lieux de soins basés sur les rencontres et les loisirs à l’adresse des enfants de moins de 4 ans accompagnés de leurs parents.
Franco Basaglia fait partie de ceux pour qui, la conviction centrale sur laquelle convergent les grands courants de l’antipsychiatrie est que l’asile devrait disparaître et les malades retrouver tous leurs droits de citoyens dans une société qui pourrait les accueillir, prendre en compte leurs potentialités créatrices… tandis que pour d’autres, généralement peu convaincus par les théories sur la maladie mentale, la psychiatrie est une institution non pas médicale, mais plutôt politique et/ou religieuse médicalisée s’attachant à résoudre non pas les problèmes ou les maux des patients qu’elle traite, mais bien les problèmes posés à la collectivité par le comportement de ces mêmes patients, et ce au moyen de procédés coercitifs (internements, traitements, mensonges) contraires aux principes de l’État de droit.
Maud Mannoni (1923-1998), psychanalyste spécialisée dans l’accueil d’enfants gravement atteints de maladie mentale, crée à Bonneuil une « institution éclatée » où se croisent à la fois les idées mais aussi les expérimentations autour de l’antipsychiatrie et de la pédagogie Freinet, un lieu où l’on enseigne au rythme de chaque enfant mais aussi où l’on trouve un espace de créativité tant à l’intérieur qu’à l’extérieur avec notamment des passages réguliers chez les artisans du village, le tout en liens étroits avec les professionnels éducatifs et de soin mais aussi avec les parents et la fratrie associés à cette démarche. Notons que son livre de 1967 « L’enfant, sa maladie et les autres » fut le premier à paraître dans la collection que lançait Jacques Lacan du « champ freudien ».
Françoise Dolto (1908-1988) pédiatre et psychanalyste pour enfants, co-fondatrice en 1964 avec Jacques Lacan de l’ « Ecole freudienne de Paris » base son travail thérapeutique avec l’enfant sur « le parler vrai », car, dit-elle, « on ne peut mentir à l’inconscient qui connaît la vérité ». C’est dans cet esprit qu’elle crée en 1979 « les Maisons vertes » lieux de soins basés sur les rencontres et les loisirs à l’adresse des enfants de moins de 4 ans accompagnés de leurs parents.