2018 12 13 Avec Olivia et ses amis au rond-point de la fraternité.mp3 (7.23 Mo)
« J'étais en larmes »
Il est minuit passé. Parfois, un coup de klaxon solidaire perce l'intimité qui s'est installée autour du feu. Un air de rock s'échappe de la tonnelle aux provisions. Et Olivia danse, danse ! Le petit groupe des Gilets Jaunes qui tient depuis trois semaines le rond-point de l'aquarium à Saint-Malo s'offre des bouts de bonheur. La musique s'arrête, Olivia s'approche. Comment ça va ? Alors sa voix, qu'elle cache sous son écharpe, se brise.
On s'est mis un peu à l'écart, sur le parking du centre commercial. Les mots du Président tout à l'heure sont encore à l'esprit mais plus Olivia parle puis ils s'éloignent, loin, de plus en plus loin,. « Je suis là depuis le début, depuis le 17 novembre, commence-t-elle, c'est super bien, ça fait chaud au cœur, on est pourtant très différents, c'est un univers que je n'avais jamais rencontré. Quand je suis venue la première fois, j'étais en larmes, on m'a entourée, on m'a prise dans les bras. »
On s'est mis un peu à l'écart, sur le parking du centre commercial. Les mots du Président tout à l'heure sont encore à l'esprit mais plus Olivia parle puis ils s'éloignent, loin, de plus en plus loin,. « Je suis là depuis le début, depuis le 17 novembre, commence-t-elle, c'est super bien, ça fait chaud au cœur, on est pourtant très différents, c'est un univers que je n'avais jamais rencontré. Quand je suis venue la première fois, j'étais en larmes, on m'a entourée, on m'a prise dans les bras. »
« J'ai une fille de 14 ans, je ne peux plus l'élever »
Les larmes remontent souvent en revenant sur ce qui s'est passé, comment la vie, un jour, a basculé. « J'étais attachée commerciale. J'ai fait un burn out. C'était le 6 mai 2017. J'étais depuis 30 ans dans la même entreprise, l'esprit a changé. Il y avait une pression énorme. Après mon burn out, j'ai essayé de retourner travailler, c'est un grand groupe, je peux faire différents postes. La responsable que j'avais formée m'a traitée comme une vieille chaussette : "Quelle image tu vas donner ?" m'a-t-elle lancé en regardant une jeune en CDD. »
Comme dans une nuit qui n'en finit pas, Olivia est depuis dix-huit mois "en arrêt de travail". Imagine-t-on, pour elle, à 50 ans, la violence de cette expression devenue banale ? « J'ai 800 € de revenu et plus de 1 000 € de dépenses ; avec le décalage, je paye encore des impôts. J'ai une fille de 14 ans, je ne peux plus l'élever, elle vit avec son papa. Je lui envoie tout le temps des messages... Elle me dit "Maman, tu m'as abandonnée". » Olivia craque de nouveau. « Je m'occupe de mes parents, ils ont 85 et 90 ans, ils doivent m'aider, vous vous rendez compte ? »
Comme dans une nuit qui n'en finit pas, Olivia est depuis dix-huit mois "en arrêt de travail". Imagine-t-on, pour elle, à 50 ans, la violence de cette expression devenue banale ? « J'ai 800 € de revenu et plus de 1 000 € de dépenses ; avec le décalage, je paye encore des impôts. J'ai une fille de 14 ans, je ne peux plus l'élever, elle vit avec son papa. Je lui envoie tout le temps des messages... Elle me dit "Maman, tu m'as abandonnée". » Olivia craque de nouveau. « Je m'occupe de mes parents, ils ont 85 et 90 ans, ils doivent m'aider, vous vous rendez compte ? »
« Chacun a son histoire mais on est solidaires »
Les gens ne sont pas méchants, non. « Le papa de ma fille est compréhensif. » Mais tout est compliqué. Aux HLM aussi, ils sont compréhensifs « mais c'est que des papiers, partout, toujours ; il faut que j'attende 2019 pour avoir l'APL. » C'est comme tout à l'heure, dans l'après-midi : « Je suis restée trois heures au commissariat de police pour aider un collègue qui avait pris une amende : 135 euros ! Il était pourtant bien garé. »
L'entraide, Olivia, elle connaît. C'est pour ça qu'elle est bien ici. Que tous sont bien ici. « Chacun a son histoire mais on est solidaires. » Olivia n'était pas là dans la matinée mais c'était ça, autour de Marcel le fédérateur, que tous racontaient : des histoires différentes partagées. « C'est la famille » , a dit l'un. « Par moments, je m'essoufle, je reviens pour la solidarité », a dit un autre. « Et on a un peu d'espoir, on va bien décrocher quelque chose ! », a lancé un troisième.
L'entraide, Olivia, elle connaît. C'est pour ça qu'elle est bien ici. Que tous sont bien ici. « Chacun a son histoire mais on est solidaires. » Olivia n'était pas là dans la matinée mais c'était ça, autour de Marcel le fédérateur, que tous racontaient : des histoires différentes partagées. « C'est la famille » , a dit l'un. « Par moments, je m'essoufle, je reviens pour la solidarité », a dit un autre. « Et on a un peu d'espoir, on va bien décrocher quelque chose ! », a lancé un troisième.
« Vous connaissez "Mélangez-vous" de Pierre Perret ? C'est bien », a dit Marcel
Un peu d'espoir, aucune illusion à quelques heures de l'intervention présidentielle : « Macron, il va parler à son club, il ne va pas changer le système », a résumé une voix. Comment pourra-t-on dompter les révoltes jusqu'ici étouffées ? « Les gens veulent vivre de leur salaire ! Il faut toujours se restreindre. « Comment vivre « avec 545 € de retraite par mois » ou « 600 € en bossant » ? Rien qu' « avec 1 200 €, ça change tout ! »
Un flot de mots. « Ils revivent, quand ça va s'arrêter, ils vont être malheureux », a confié un gilet jaune venu surtout par soutien. Dire et être au premier rang, enfin. Voir les conducteurs et conductrices qui passent au rond-point klaxonner et lancer de grands signes ; remercier tous ceux qui ont donné pièce par pièce samedi à leur collecte du Téléthon, ces 865,93 € qui pesaient leur poids ce midi dans le sac à dos !
« La police, les gendarmes aussi nous comprennent, il prennent parfois le café avec nous », confie Olivia sur le parking du centre commercial. « Pour moi, avec mes 900 €, ça va être chaud à Noël », dit un collègue qui nous a rejoints. Autour de nous émergent de la nuit les silhouettes des vitrines éteintes réservées aux bourses pleines. On entend les paroles qui s'échappent autour du feu. Où dorment-ils ? « Dans ma voiture, là-bas, sur le parking », dit Olivia.
Michel Rouger
Un flot de mots. « Ils revivent, quand ça va s'arrêter, ils vont être malheureux », a confié un gilet jaune venu surtout par soutien. Dire et être au premier rang, enfin. Voir les conducteurs et conductrices qui passent au rond-point klaxonner et lancer de grands signes ; remercier tous ceux qui ont donné pièce par pièce samedi à leur collecte du Téléthon, ces 865,93 € qui pesaient leur poids ce midi dans le sac à dos !
« La police, les gendarmes aussi nous comprennent, il prennent parfois le café avec nous », confie Olivia sur le parking du centre commercial. « Pour moi, avec mes 900 €, ça va être chaud à Noël », dit un collègue qui nous a rejoints. Autour de nous émergent de la nuit les silhouettes des vitrines éteintes réservées aux bourses pleines. On entend les paroles qui s'échappent autour du feu. Où dorment-ils ? « Dans ma voiture, là-bas, sur le parking », dit Olivia.
Michel Rouger
Une semaine plus tard
"Je ne me vois pas d'avenir", dit Sophie
Une semaine a passé depuis la rencontre au rond-point de l'aquarium. Les "Gilets Jaunes" sont toujours là. En revanche, au port, c'est fini : les autorités ont fait partir les derniers résistants. Partout en France le mouvement est en repli et les fêtes approchent. Quelque part dans Saint-Malo, on a retrouvé Sophie.
2018 12 20 Gilets jaunes Une semaine plus tard, Sophie.mp3 (4.49 Mo)
« Au port, on va y revenir, et je vais chercher un covoiturage samedi pour Paris, je n'en ai rien à faire d mourir pour ça. » En ce 19 décembre, au bout d'un mois de conflit, Sophie ne veut pas lâcher. Comme si elle essayait de se convaincre que tout est encore possible. Sophie « est en révolte » et quoi qu'il arrive elle le restera, chassant le doute qui revient parfois : « Macron, avoue-t-elle à demi mot, nous aura peut-être à l'usure... »
Son histoire est presque banale dans le monde du travail d'aujourd'hui. C'est, pour reprendre son expression, « la longue descente » d'une femme. Jadis, jeune parisienne, BTS de tourisme et diplôme de monitrice-éducatrice en poche, tout allait bien : des responsabilités, un bon salaire. Et puis, « quand j'ai été enceinte, on m'a fait comprendre que je n'aurais plus le même poste. » Au bout de trois ans de bataille, elle a gagné aux prud'hommes, mais souvent les accidents de la vie s'enchaînent. Depuis douze ans, Sophie vit seule et de peu, très peu.
« J'ai trouvé un poste d'AVS, d'Auxiliaire de vie scolaire, on dit aujourd'hui AESH, Accompagnatrice d'élèves en situation de handicap. J'ai d'abord eu un CDD de six ans, maintenant je suis en CDI de droit public. » Sophie travaille à 80 % et gagne autour de 900 € - « ça bouge tout le temps » - pour 33 heures par semaine.
Toujours remplaçante, elle change d'élèves tous les ans, voire davantage. Elle a ainsi connu beaucoup de situations de handicap . Aujourd'hui, elle a une élève - « brillante » -, en Première S, gravement paralysée, qu'elle accompagne dans tous les gestes de la vie quotidienne et dans les cours. Une compétence sociale non reconnue - « On utilise de plus en plus des gens en contrat privé venant de Pôle Emploi. » qui frappe jusque dans le milieu de travail : « On nous prend régulièrement pour la boniche de service. »
Quand elle a enfilé son gilet jaune le 17 novembre, c'est plein de choses qu'elle a voulu « crier », sa révolte contre les inégalités, le manque de reconnaissance. « C'est bloqué de tous les côtés, dit-elle aussi, j'ai 52 ans, je ne me vois pas d'avenir. » Pourtant, elle continue de se battre. Elle ne veut pas rester à vie dans cet emploi mal payé qui la condamne à vivre dans un studio de 25 m2. « Je cherche », glisse-t-telle. Elle n'est pas tout à fait dans le « désespoir complet » lâché quelques minutes plus tôt. Sophie ou la fragilité d'une "Gilets Jaunes".
M.R.
Son histoire est presque banale dans le monde du travail d'aujourd'hui. C'est, pour reprendre son expression, « la longue descente » d'une femme. Jadis, jeune parisienne, BTS de tourisme et diplôme de monitrice-éducatrice en poche, tout allait bien : des responsabilités, un bon salaire. Et puis, « quand j'ai été enceinte, on m'a fait comprendre que je n'aurais plus le même poste. » Au bout de trois ans de bataille, elle a gagné aux prud'hommes, mais souvent les accidents de la vie s'enchaînent. Depuis douze ans, Sophie vit seule et de peu, très peu.
« J'ai trouvé un poste d'AVS, d'Auxiliaire de vie scolaire, on dit aujourd'hui AESH, Accompagnatrice d'élèves en situation de handicap. J'ai d'abord eu un CDD de six ans, maintenant je suis en CDI de droit public. » Sophie travaille à 80 % et gagne autour de 900 € - « ça bouge tout le temps » - pour 33 heures par semaine.
Toujours remplaçante, elle change d'élèves tous les ans, voire davantage. Elle a ainsi connu beaucoup de situations de handicap . Aujourd'hui, elle a une élève - « brillante » -, en Première S, gravement paralysée, qu'elle accompagne dans tous les gestes de la vie quotidienne et dans les cours. Une compétence sociale non reconnue - « On utilise de plus en plus des gens en contrat privé venant de Pôle Emploi. » qui frappe jusque dans le milieu de travail : « On nous prend régulièrement pour la boniche de service. »
Quand elle a enfilé son gilet jaune le 17 novembre, c'est plein de choses qu'elle a voulu « crier », sa révolte contre les inégalités, le manque de reconnaissance. « C'est bloqué de tous les côtés, dit-elle aussi, j'ai 52 ans, je ne me vois pas d'avenir. » Pourtant, elle continue de se battre. Elle ne veut pas rester à vie dans cet emploi mal payé qui la condamne à vivre dans un studio de 25 m2. « Je cherche », glisse-t-telle. Elle n'est pas tout à fait dans le « désespoir complet » lâché quelques minutes plus tôt. Sophie ou la fragilité d'une "Gilets Jaunes".
M.R.