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Ce mardi 24 mars, au huitième jour du confinement, le téléphone ne cesse de sonner à la gendarmerie. Il y a ce petit garçon de neuf ans qu’il faut hospitaliser en urgence à cause des coups que lui donne sa mère. Il y a cette adolescente qui hurle avoir été violée par un membre de sa famille. Il y a ces couples qui se déchirent et la violence qui s’insinue un peu plus chaque jour dans le quatre pièces-cuisine coupé du monde...
« La première semaine de confinement a été relativement calme, raconte Cécile Peronnet. Mais, au bout d’une semaine, les demandes ont littéralement explosé. »Alors il faut intervenir rapidement. Prévenir le procureur de la République, placer en garde à vue la personne mise en cause. Mettre en sécurité la victime au plus vite, solliciter le médecin, les services sociaux, rechercher un hébergement, une famille d’accueil. Et surtout, rester en veille les jours suivants. Le téléphone ne cessera pas de sonner durant cinquante-six jours…
« Ce que j’entends est souvent inentendable, confie Cécile. Faire souffrir un enfant est quelque chose de terrible. Ce qui m’anime, dans ces moments douloureux que je traverse, c’est avant tout de les sortir de cet enfer qu’ils vivent au quotidien, de les protéger coûte que coûte puis de les orienter vers une structure ou une famille qui leur permette de bien grandir, sans souffrance. Ils sont tellement innocents, vulnérables. Je veux leur faire comprendre que ce qu’ils vivent n’est pas une fatalité. Ils ont le droit à une autre vie. Je dois les en convaincre. L’injustice m’insupporte. Violenter un enfant m’est intolérable. »
La gendarmerie après l’éducation nationale
Cécile n’a pas toujours été gendarme mais a cependant toujours eu au fond d’elle-même, ce désir intime de rendre justice. Baccalauréat en poche, la bretonne, originaire de Redon, part à Paris pour y suivre des études de droit. Elle souhaite alors devenir juge pour enfants. Mais, tandis qu’elle travaille ponctuellement comme surveillante dans un collège, le principal lui propose de prendre la place de la conseillère principale d’éducation, contrainte de cesser son travail. Au bout de quelques années et d’une pause pour accompagner son premier enfant, c’est décidé, elle sera gendarme. Après une formation de dix mois à Châteaulin, elle intègre la gendarmerie en août 2006.
Rapidement, elle s’oriente vers les situations de violences faites aux mineurs et les affaires de mœurs. Elle est affectée à la brigade de Cesson-Sévigné, y travaille cinq ans avant d’être nommée à Rennes à la brigade de prévention de la délinquance juvénile. Dans un premier temps, elle intervient dans les établissements scolaires pour y faire de la prévention et de la sensibilisation. En 2012, on lui propose de procéder aux auditions de mineurs. Depuis, elle intervient au groupement d’Ille-et-Vilaine, pour toutes les violences sur mineurs et intrafamiliales, de toute nature, qu’elles soient physiques, psychologiques ou sexuelles, procédant aux auditions et investigations nécessaires.
Rapidement, elle s’oriente vers les situations de violences faites aux mineurs et les affaires de mœurs. Elle est affectée à la brigade de Cesson-Sévigné, y travaille cinq ans avant d’être nommée à Rennes à la brigade de prévention de la délinquance juvénile. Dans un premier temps, elle intervient dans les établissements scolaires pour y faire de la prévention et de la sensibilisation. En 2012, on lui propose de procéder aux auditions de mineurs. Depuis, elle intervient au groupement d’Ille-et-Vilaine, pour toutes les violences sur mineurs et intrafamiliales, de toute nature, qu’elles soient physiques, psychologiques ou sexuelles, procédant aux auditions et investigations nécessaires.
Se former pour entendre et accueillir la détresse
Souvent, ce sont les gendarmes qui sont les premiers alertés par un voisin. Les cris entendus de l’autre côté de la cloison, un enfant aperçu s’échappant du domicile, une femme qui frappe à la porte de la gendarmerie au beau milieu de la nuit… Mais comment accueillir un enfant, une femme victime de violence ? A qui s’adresser pour héberger une femme en détresse ? Comment comprendre qu’une femme violentée peine à déposer plainte ? Comment accepter qu’une femme victime, dans de nombreux cas, retourne quelques jours après chez son bourreau qui la martyrise ? Comment entendre la souffrance, s’en tenir aux faits, décrypter le fabulé du réel, sans sombrer dans l’appréciation, le jugement, la sidération ? Comment ne pas s’effondrer face à l’inentendable et l’inimaginable ?
Pendant trop longtemps, le gendarme s’est retrouvé seul à affronter des situations dramatiques sans y être forcément formé ni préparé. Alors, à force d’expérience et de beaucoup d’échanges, Cécile, soutenue et encouragée par sa hiérarchie, a imaginé avec quelques collègues, une formation destinée aux gendarmes pour réfléchir ensemble aux attitudes à adopter :
Pendant trop longtemps, le gendarme s’est retrouvé seul à affronter des situations dramatiques sans y être forcément formé ni préparé. Alors, à force d’expérience et de beaucoup d’échanges, Cécile, soutenue et encouragée par sa hiérarchie, a imaginé avec quelques collègues, une formation destinée aux gendarmes pour réfléchir ensemble aux attitudes à adopter :
« Paradoxalement, explique-t-elle, la réponse pénale n’est pas toujours ce qui va aider certaines victimes à s’en sortir et à aller plus loin. Notre écoute est primordiale et notre intervention doit permettre d’apporter la sécurité puis d’alerter, de saisir les partenaires et les services sociaux pour sortir les victimes de leur situation. »
La force d’un réseau pour aider et accompagner
Une formation a été mise en place. Elle est proposée à tous les gendarmes qui le souhaitent. Interviennent divers partenaires comme des médecins, des psychologues, des représentants d’associations d’aide aux victimes… Elle comporte des aspects théoriques sur le médical, le juridique, le psychologique. Elle est surtout illustrée de nombreux cas concrets et de mises en situation. C’est aussi un temps de partage d’expériences, de situations et de difficultés rencontrées.
« L’importance pour les gendarmes, explique Cécile, est de savoir qu’ils ne sont pas seuls et qu’ils peuvent orienter une personne en détresse vers un partenaire. Ce qu’il convient, c’est de toujours faire preuve de patience, d’empathie… de beaucoup d’abnégation de soi aussi. Il faut accepter qu’après s’être décarcassé pour sortir une femme de la situation de violence, qu’elle retourne vivre avec son bourreau. C’est ainsi… Il faut savoir écouter, être dans la compréhension, faire la part des choses, parfois au-delà des addictions, drogue, alcool… Il faut aussi apprendre à intervenir avec des partenaires. Ce n’est que par la force d’un réseau que nous pouvons aider un jeune, une victime à s’en sortir. »
Soixante-dix référents « Violences intrafamiliales » en Ille-et-Vilaine
Cécile a de quoi se réjouir car le dispositif mis en place en Ille-et-Vilaine se dissémine un peu partout en France. Il n’est pas rare qu’on la sollicite dans des colloques nationaux pour faire partager son expérience. Il y a d’abord cette salle, au sein même de l’hôpital de Rennes, désormais dédiée à l’audition des mineurs en présence d’un ou une psychologue et cette étroite coopération mise en place avec la Cellule d’accueil spécialisé pour l’enfance en danger et l’équipe pédopsychiatrique du professeur Sylvie Tordjman, au CHU de Rennes. Il y a surtout ce réseau de soixante-dix référents « Violences intrafamiliales » qui agit dans le département.
Texte : Tugdual Ruellan
Photos : Erwan Philippot.
« Nous pouvons intervenir de deux manières, précise Cécile. Soit en flagrant délit : les gendarmes sont appelés, interviennent et constatent de leur propre fait. Ils sollicitent ensuite le référent qui prend en charge l’audition de la femme ou de l’enfant violenté. Il y a aussi le signalement fait par un tiers, généralement par un appel au 3919. Le procureur de la République est saisi et demande l’intervention de la gendarmerie au domicile de la victime. Le référent est alors saisi du dossier, sollicite le groupement de gendarmerie au besoin pour une intervention auprès de la personne mise en cause et la protection de la victime. »La démarche est basée sur le volontariat. Les gendarmes référents acceptent d’accueillir les victimes, d’entendre sans juger les faits ni mener un interrogatoire et d’enregistrer leur audition. Ils maintiennent aussi un lien, rappellent la victime quelques jours après l’audition pour s’informer de la situation, s’assurer que la personne mise en cause est mise à distance.
« Les référents sont bien identifiés et reconnus au sein des brigades dans leurs missions, avoue Cécile. Parfois ils sont deux, une femme et un homme lorsque c‘est possible. Je pense que toutes les situations sont désormais suivies avec une grande attention. »
Texte : Tugdual Ruellan
Photos : Erwan Philippot.
POUR ALLER PLUS LOIN...
Augmentation des violences conjugales dans le monde : l’alerte de l’OMS
Déjà, le 16 avril dernier, Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS alertait lors de la réunion d’information pour les missions diplomatiques sur la Covid 19 :
Dispositif maintenu en France jusqu’à l’été
Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les hommes et les femmes, rappelle que le dispositif mis en place durant le confinement, est maintenu jusqu’à l’été. Il est toujours possible d’appeler la plateforme arretonslesviolences.gouv.fr qui a enregistré cinq fois plus de signalements de violences conjugales avec une hausse de 36 % des interventions des forces de l'ordre pour violences conjugales. Le 114 reste actif : depuis le 1er avril, 2000 victimes ou témoins ont alerté les forces de l'ordre par SMS. Le 3919 Violences Femmes Info a enregistré autant d'appels en une semaine qu'en un seul mois l'année dernière. Au total, durant le confinement, le ministère a constaté 3140 signalements supplémentaires pour violences conjugales. Les antennes de signalement dans les pharmacies et dans les centres commerciaux restent actives. 90 permanences d'associations ont été implantées dans les centres commerciaux et hypermarchés pour accueillir des victimes et les orienter discrètement lorsqu'elles vont faire leurs courses. Le 08 019 019 11 propose aux hommes « ayant du mal à gérer leur colère » un logement gratuit afin d'éviter le passage à l'acte (plus de 200 personnes ont ainsi été prises en charge depuis le début du confinement).
Déjà, le 16 avril dernier, Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS alertait lors de la réunion d’information pour les missions diplomatiques sur la Covid 19 :
« Nous sommes aussi alarmés par la tendance à la hausse des violences domestiques liées aux mesures de confinement qui nous est signalée. Tous les pays doivent s’en préoccuper. »Tout au long du confinement, la situation n’a malheureusement fait qu’empirer. Le 17 mars, la situation était confirmée par Hans Kluge, chef de la région Europe de l’Organisation mondiale de la santé, lors d'une conférence de presse diffusée en ligne depuis Copenhague :
« Les États-membres font état d'une augmentation allant jusqu'à 60 % des appels d'urgence de femmes victimes de violences de la part de leur partenaire en avril cette année, par rapport à l'année dernière. »Le 5 avril, António Guterres, secrétaire général de l’ONU, lançait un appel mondial à protéger les femmes et jeunes filles « à la maison », constatant que le confinement imposé par la pandémie exacerbait les violences conjugales et violences intrafamiliales.
« Les signalements sont en hausse dans presque tous les pays», ajoutait Isabel Yordi, experte de l'organisation.
Dispositif maintenu en France jusqu’à l’été
Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les hommes et les femmes, rappelle que le dispositif mis en place durant le confinement, est maintenu jusqu’à l’été. Il est toujours possible d’appeler la plateforme arretonslesviolences.gouv.fr qui a enregistré cinq fois plus de signalements de violences conjugales avec une hausse de 36 % des interventions des forces de l'ordre pour violences conjugales. Le 114 reste actif : depuis le 1er avril, 2000 victimes ou témoins ont alerté les forces de l'ordre par SMS. Le 3919 Violences Femmes Info a enregistré autant d'appels en une semaine qu'en un seul mois l'année dernière. Au total, durant le confinement, le ministère a constaté 3140 signalements supplémentaires pour violences conjugales. Les antennes de signalement dans les pharmacies et dans les centres commerciaux restent actives. 90 permanences d'associations ont été implantées dans les centres commerciaux et hypermarchés pour accueillir des victimes et les orienter discrètement lorsqu'elles vont faire leurs courses. Le 08 019 019 11 propose aux hommes « ayant du mal à gérer leur colère » un logement gratuit afin d'éviter le passage à l'acte (plus de 200 personnes ont ainsi été prises en charge depuis le début du confinement).