Claire Agnès Froment, 2e à gauche, avec son ordinateur. Photo de groupe avec des bénévoles devant le local du P'tit Blosneur . © Aurélien Scheer
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"Au P’tit Blosneur" est à la fois un bureau, un lieu d’échanges et de passage, une cuisine. Officiellement, c’est un incubateur de quartier pour « encourager les échanges et la relation entre les habitants du quartier tout en simplifiant leur quotidien ». L’association travaille également avec d’autres structures autour de projets à visée plus économique qui prennent la forme de nouveaux services pour les habitants du quartier.
Claire Agnès Froment m’accueille autour de la table de réunion avec un gâteau maison aux carottes et six thés bio, commercialisés par une coopérative marseillaise. Convivial, comme lieu de rendez vous !
Claire Agnès Froment m’accueille autour de la table de réunion avec un gâteau maison aux carottes et six thés bio, commercialisés par une coopérative marseillaise. Convivial, comme lieu de rendez vous !
« L’idée du 1er projet de l’association - une conciergerie de quartier au Blosne - m’est venue par la fréquentation de mes copines, mères de famille comme moi. J’ai pensé que je pouvais les aider à gérer leur quotidien. Les mamans ont une charge mentale énorme entre les courses, le ménage, les enfants à aller chercher à l’école … J’ai pensé que je pouvais les soulager en leur rendant des services. Mais suite aux attentats en 2015, j’ai choisi de me tourner vers tous les habitants pour créer un projet plus fédérateur. »
Pour la Nuit de la solidarité, 600 sandwichs préparés par une vingtaine d'habitants. © Aurélien Scheer
« Après les attentats, je me suis dit "Ça va être horrible la vie dans le quartier" »
Claire Agnès Froment, mère de deux filles de 11 et 14 ans, me rappelle le cheminement qui l’a conduite à créer ce local imaginé pour « mieux vivre ensemble ».
« Les attentats de Charlie Hebdo en janvier 2015 ont été un déclic. Mon mari était en déplacement ce jour-là à Paris et il ne m’a pas donné de nouvelles pendant plusieurs heures. J’ai ressenti une très forte angoisse. Après les attentats, je me suis dit "Ça va être horrible la vie dans le quartier, la méfiance des habitants vis à vis de leurs voisins musulmans, les stéréotypes". Il fallait absolument éviter ça. Il fallait absolument se parler ! Mon mari m’a dit : "Vas y, c’est une super idée !" »Septembre 2015. Les premiers soutiens de Claire Agnès sont ses voisins réunis à l’occasion d’une fête annuelle. Propriétaires pour la plupart de leur maison individuelle, ils ne connaissent pas les habitants qui vivent à quelques centaines de mètres de chez eux.
« C’est évident qu’on ne vit pas de la même façon dans une maison avec jardin, dans un immeuble de 4 à 7 étages ou dans les quelques tours. Cela dit, les habitants du Blosne aiment leur quartier, ses espaces verts et sa grande diversité culturelle. Qu’on soit breton , malien ou originaire d’ailleurs , je m’en fiche. Moi, ce n’est pas la nationalité qui m’intéresse , mais la personne elle-même ! »
De l'échange de services à l'entraide pour trouver du travail
Huit mois après avoir mûri son projet, la « future conciergerie » du Blosne devient une réalité. Grâce à une subvention du département d’Ille-et-Vilaine, le local au Centre commercial Sainte Elisabeth devient le quartier général de Claire Agnès Froment. La subvention au titre de l’innovation sociale sera suivie par d’autres aides de collectivités. La Ville de Rennes, Rennes-Métropole et l’Etat aident le projet au titre de la politique de la ville. Un bon début pour Claire Agnès qui reconnaît « ne pas être très douée pour aller chercher des sous ».
"Faire du lien , c'est mon quotidien"
« Au démarrage, on a insisté sur le lien social, l’entraide, les échanges de services, les rencontres. Petit à petit, on a développé des prestations pour les écoles, pour la ville autour de l’alimentation et le développement durable. Après cinq années d’expériences, nos partenaires nous demandent de développer davantage l’aspect économique du projet. Ce que nous allons essayer de faire avec « Les Grands Blosneurs », un dispositif où nous jouons les intermédiaires pour trouver du travail aux habitants du quartier.Mettre en contact employeurs et prestataires, recruter ! Ces compétences, Claire Agnès Froment les a déjà exercées ailleurs, dans les années 2010.
« 4 ans en agence d’intérim ! J’ai d’abord recruté du personnel dans le secteur de l’industrie puis dans l’hôtellerie-restauration. Ce fut une période stressante. Sur la brèche 7 jours sur 7, Il arrivait qu’on m’appelle un samedi, à quelques heures d’un repas de mariage. Quand un de nos serveurs intérimaires manquait, je prenais ma voiture, je retournais à l’agence chercher le nom d’un autre serveur qui pouvait le remplacer au pied levé ! Je prenais mon travail tellement à cœur que j’ai sombré dans un "burn out" ! Ça m’a servi de leçon pour la suite. »Commerciale dans l’intérim, une expérience professionnelle supplémentaire dans son parcours marqué par plusieurs fils rouges : le social, l’accompagnement de familles étrangères, le travail en équipe, l’enthousiasme.
Fanny Coffin, association "Merci Babeth" :
« Je connais Claire Agnès depuis 2015. J’avais eu l’idée de me lancer dans une activité de sensibilisation à l’alimentation saine. Elle m’a encouragée et soutenue pour organiser des livraisons de paniers de fruits et légumes produits localement. Notre plus belle réussite ensemble, l’organisation du marché de Noël du quartier en 2019. C’était magique. Une fréquentation au-delà de toutes nos espérances. Claire Agnès a beaucoup de qualités. Elle est douce, généreuse, attentive aux autres, énergique, déterminée. Elle a un grand cœur. Elle sait dénouer des situations compliquées et arrive toujours à ses fins. Je l’encourage à se ménager, à s’accorder un peu plus de temps pour elle. Elle est tellement passionnée qu’elle ne sait pas s’arrêter. »
Avant le Blosne, humanitaire à Haïti, en Inde
Malgré son emploi du temps très chargé au service des habitants du Blosne, Claire Agnès Froment dit veiller à préserver sa vie privée. Le mercredi midi , elle déjeune toujours avec ses filles. Mais au fait, d’où lui vient cette passion pour l’engagement ? « De mon éducation sans doute . Mes parents m’ont élevée avec ces valeurs-là : aider les autres ! » Et c’est sans doute ce qui explique son choix de formation à 18 ans : une carrière sociale, option développement humanitaire.
Son diplôme en poche, la jeune femme est recrutée par une ONG. Une mission en Haïti pour un public d’enfants. La mission devait durer deux années, elle n’a duré que quatre mois. Question d’éthique.
Son diplôme en poche, la jeune femme est recrutée par une ONG. Une mission en Haïti pour un public d’enfants. La mission devait durer deux années, elle n’a duré que quatre mois. Question d’éthique.
« J’ai découvert qu’un des membres de l’organisation était corrompu. Les fonds n’allaient pas là où ils auraient dû. Je l’ai signalé à ma hiérarchie. On ne m’a pas soutenu. Je suis partie. »Claire Agnès a des valeurs et se cherche une nouvelle mission à l’étranger. Elle passe des Antilles à l’Inde. Une ONG du secteur de l’architecture l’envoie à Visakhapatnam, une ville d’un million d’habitants à l’Est de la province d’Andra Pradesh. Son rôle : créer des échanges entre étudiants en architecture, Indiens et Français.
« Je suis partie de zéro. Il a fallu recruter l’équipe locale, aller sur le terrain - des villages accessibles après une heure de « tuktuk », le transport collectif local. Les étudiants français apprenaient à utiliser les techniques traditionnelles de construction de maisons en terre. J’ai beaucoup aimé cette expérience. »
L'entraide pour la Nuit de la solidarité. © Aurélien Scheer
Au départ, aider les mamans : elles ont "une charge mentale énorme"
Au retour d’Inde, Claire Agnès Froment décide de se poser à Paris. Pendant trois ans, elle travaille pour l’ONG "Développement enfance du monde" elle-même mandatée par la préfecture de Paris. Sa mission : identifier les risques de saturnisme (*) dans les familles logées dans des logements insalubres. Elle négocie avec les propriétaires, s’affirme auprès des services sociaux. Un travail très formateur.
« On était une équipe de filles solides, on s’encourageait mutuellement, on travaillait sur le temps long avec les familles, c’était passionnant. »2006 marque à la fois le début de l’implantation rennaise et une pause. Claire Agnès reprend des études. Elle suit une année de droit social à l’université de Rennes. Cette formation lui ouvre les portes des agences d’intérim. Des jobs dans lesquels elle s’investit à fond. Jusqu’à l’été 2014, où elle craque et décide de faire une nouvelle pause pour réfléchir à une nouvelle orientation professionnelle.
Nathanaël Simon, président de la coopérative « La grenouille à grande bouche »
- restaurant solidaire du Blosne et revue - :
- restaurant solidaire du Blosne et revue - :
« J’ai lancé mon projet en même temps que Claire Agnès lançait le sien au sein de l’incubateur Tag35. C’est elle qui nous a suggéré de venir nous installer au Blosne. Elle nous a mis en contact avec son réseau. Elle est très forte pour connecter les gens. Quand on la sollicite, elle dit toujours « Va voir un tel, il pourra t’aider ». Nous la soutenons en lui versant une partie de nos bénéfices - environ 1000 € en 2019 - De con côté, elle nous envoie des bénévoles pour aider à la cuisine ou dans notre salle de restaurant… enfin quand il est ouvert. Si je devais résumer sa personnalité en quelques mots : dynamique, enthousiaste. Elle est une passerelle, un incubateur à elle toute seule, une figure incontournable du quartier. »
ONG, recrutement en intérim, économie sociale et solidaire … les multiples vies professionnelles de celle qui est désormais une figure incontournable du quartier du Blosne.
Aujourd'hui, consolider l'association
L’âme du 15, avenue de Pologne se réjouit des réussites de ces deux dernières années. Elle évoque la mémorable « Nuit de la solidarité » organisée pour les sans-abris par la Ville de Rennes.
Catherine Verger
(*) Le saturnisme correspond à une imprégnation au plomb. L'intoxication a des conséquences graves sur le développement psychomoteur de l'enfant.
« En février 2019, nous étions en charge du buffet offert à tous les bénévoles. Nous avons réussi non seulement à préparer 600 repas, mais à installer les buffets dans six lieux différents de Rennes. Nous avons été super- efficaces ! Un autre moment fort, plus récent, en 2020. La distribution de colis alimentaire après le premier confinement. « Au P’tit Blosneur » est resté ouvert de mai à juillet 2020. La logistique pour distribuer 90 colis 2 fois par semaine était épuisante mais ça a bien aidé des familles dans le besoin. »Son travail est reconnu. Son dévouement aussi. C’est ce qui attire des jeunes à la choisir comme formatrice. Deborah, 24 ans, alternante recrutée en septembre 2020, est enthousiaste de son stage financé par la taxe d’apprentissage de son école.
« Claire-Agnès est une personne bienveillante, disponible, dynamique. Elle fait confiance. Elle a beaucoup d’expérience et j’apprends beaucoup de choses avec elle. Par exemple, les relations avec les élus, les bases de la compatibilité. Elle me conseille aussi dans mes lectures. »Comment Claire Agnès Froment voit-elle évoluer son « P’tit Blosneur » ?
« Depuis 2019, le conseil d’administration mène une réflexion pour asseoir nos objectifs, développer les projets et restructurer l’association. Ce travail s’est poursuivi malgré les confinements et la situation sanitaire. Actuellement, l’équipe se renforce. Nous travaillons sur de nouveaux ateliers avec les habitants. Et de très beaux projets voient le jour avec nos partenaires du quartier. Actuellement, un quart de mon budget vient de fonds propres. Je l’avoue, je suis plus intéressée par le volet social et solidaire de mon activité que par le volet économique. Je joue un rôle d’incubateur de quartier. Faire du lien c’est mon quotidien, j’aime ça et quand en plus il est tourné vers le quartier, c’est enthousiasmant ! »
Catherine Verger
(*) Le saturnisme correspond à une imprégnation au plomb. L'intoxication a des conséquences graves sur le développement psychomoteur de l'enfant.