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24/02/2024

Gilles Simonneaux, l’agriculteur aux mille projets

Texte et photos : Jean-Yves Dagnet


Obtenir un rendez-vous avec Gilles Simonneaux n’est pas simple, l’homme est très occupé et réservé : « Je n’aime pas me mettre en avant » prévient-il d’emblée. En revanche, lorsqu’on lui demande de parler de sa ferme, celle des "Petits chapelets" à Chavagne, en périphérie de Rennes, et des activités qui se greffent autour, il devient intarissable. Ferme collective ou ferme partagée ? « Une ferme qui souhaite répondre aux enjeux d’aujourd’hui ! », répond-il.


Gilles Simonneaux
Gilles Simonneaux
simonneaux.m4a Simonneaux.m4a  (9.42 Mo)


Une ferme familiale depuis 4 générations

«  La ferme avait été acquise par mon arrière-grand-père pour ma grand-mère, ils avaient eu douze enfants. » Son père l’a reprise en 1961 en pleine période "du grand espoir", celle de la modernisation agricole. Elle a été remembrée cette année-là, « un des premiers remembrements. Il a été radical, tous les pommiers ont disparu ainsi que la plupart des haies ». Son père a suivi le mouvement, comme beaucoup d’autres agriculteurs à l’époque, production laitière, maïs et céréales en intensif, achat de soja, d’engrais et pesticides. Au sein de la famille il y avait cependant quelques doutes :
  « Il y avait des interrogations surtout du côté de ma mère sur la dangerosité des phytosanitaires, l’évolution des modèles, la santé… Assez vite la famille  a privilégié l’alimentation bio malgré l’orientation conventionnelle de la ferme qui s’est poursuivie jusqu’à mon installation. » 

En arrière plan la ferme, le magasin et le fournil à droite
En arrière plan la ferme, le magasin et le fournil à droite

Une installation qui n’était pas prévue.

« Je savais tout faire dans la ferme mais je n’avais jamais imaginé une seconde m’installer en agriculture. »  A l’époque, Gilles Simmoneaux s’était orienté vers des études socio-économiques et avait tissé un réseau social très éloigné des préoccupations agricoles. « J’avais un bon profil pour faire chef d’entreprise ». C’est lorsque son père, à quelques années de la retraite, est tombé malade que tout le monde s’est tourné vers lui.
« Je n’ai pas choisi d’être agriculteur, j’ai accepté une mission familiale, ça paraissait évident à tout le monde sauf à moi. »
Virage à 180 degrés, il fait un BTS agricole pour pouvoir s’installer. En 1998, il s’associe avec sa mère pour reprendre la ferme de 100 ha et s’oriente d’emblée vers le bio, ce qui n’avait rien d’évident à l’époque.
« Je pourrais vous dire que c’était le choix de ma mère mais on sortait de la vache folle, on se posait déjà depuis longtemps beaucoup de question dans la famille sur la manière de s’alimenter et de produire, le bio commençait à être mieux valorisé, donc ça m’allait bien. »
Il transforme l’exploitation pour en faire une ferme autonome à plus de 95 %. Les vaches sont nourries avec le foin récolté sur la ferme, de l’herbe, des betteraves et un peu de céréales.   

Le magasin Aux p'tits Chap'
Le magasin Aux p'tits Chap'

Un choix atypique à l'époque

Un choix atypique à l’époque dans un environnement professionnel qui lui est étranger.
« Je ne connaissais pas du tout le milieu agricole que j’ai découvert sans anticipation, les banques, les coopératives, LE syndicat… j’avais des reproches du genre : "Tu es un mauvais technicien, pendant que tu ramasses des mauvaises herbes dans les champs, nous on produit pour nourrir le monde…, tous les qualificatifs étaient assez négatifs sur le bio. Moi, le milieu d’où je venais et l’éducation que j’avais reçue était à la bienveillance, au partage, à l’ouverture ».
Il se retrouve à travailler beaucoup, isolé socialement dans un milieu qui ne l’accueille pas très favorablement. Il se pose alors la question de savoir comment retrouver du lien, retrouver un intérêt humain au métier et c’est là qu’il décide de prendre un nouveau virage en diversifiant les statuts et les activités sur son exploitation.

Le fournil
Le fournil

Ouverture et diversification  

Au début des années 2000, il commence par arrêter de faire du blé pour donner à manger aux vaches et le remplace par du blé panifiable, achète un premier moulin et un four pour faire du pain. Un boulanger s’associe avec lui, rejoint quelques années plus tard par une maraîchère. La fabrication et la vente de pain sur les marchés dans les communes environnantes se développent et permettent rapidement de faire vivre 3 boulangers. 
« On a couvert les bâtiments de panneaux solaires, monté un petit élevage de porc pour consommer tous les sous-produits de la ferme, expérimenté la transformation laitière…on a commencé à avoir une grande diversité d’activités sur la ferme avec des salariés, des associés. »
Économiquement, tout roule d’autant plus que le système s’appuie sur des réseaux complémentaires. L’objectif de voir du monde et de retrouver du lien est largement atteint.
« Pour le coup on était un peu débordé, il y a un moment où on a eu jusqu’à plus de 10 salariés sur la ferme et 5 associés. »
Problème, plus l’exploitation se diversifiait, plus la gouvernance devenait  complexe :
« Le système reposait beaucoup sur ma personne, et même si je voulais être coopérant ça fonctionnait mal, j’arrivais à l’opposé de ce que je voulais : un système bienveillant. »
Ensemble ils réinterrogent alors leur organisation.

Réunion mensuelle (une partie de l'équipe)
Réunion mensuelle (une partie de l'équipe)

Une ferme hybride

Ferme collective ou ferme partagée ? A cette question, Gilles Simmoneaux ne répond pas directement car il préfère parler de modèle expérimental. Sylvie, la maraichère, est passée du statut d’associée à celui d’exploitante sur le champ réservé au maraîchage, le magasin passe en SARL (Société à responsabilité limitée) et est repris par une gérante puis aujourd’hui par un gérant, et la boulangerie adopte le statut de SCOP (Société coopérative et participative).
« Le gros intérêt de cette organisation est que chacun est autonome dans son développement, on est chacun des spécialistes, on essaie d’agir positivement les uns avec les autres et on garde les interactions de réseaux, on est aussi évidemment tous en bio .»
Pour Gilles et les autres acteurs du projet, outre le fait de pouvoir interagir sur l’ensemble du territoire, l’intérêt du modèle est de ne pas être clos. Par exemple Sylvie, la maraichère, d’abord installée en maraichage sur des terres louées dans la ferme, a cédé son activité a une collègue pour acheter une autre parcelle un peu plus loin et y développer une activité autonome tout en restant en interrelation avec les autres.  

L'atelier low-tech La Vilaine Fabrique
L'atelier low-tech La Vilaine Fabrique

Une manière intelligente de coopérer.

« C’est une manière intelligente de fonctionner avec la réalité des gens qui trouvent leur voie dans laquelle on n’est pas contraint mais invité à coopérer pour son bien propre et pour le bien de tous. »
Pour Gilles, ce système hybride s’oppose clairement au modèle agricole actuel qui fonctionne en silos déconnectés de leur environnement.  
« L’agriculture est un système complexe qui doit être connecté à son environnement naturel mais aussi humain, elle est non seulement un lieu de production alimentaire mais aussi lieu d’entretien et de préservation de la nature, un lieu d’épanouissement citoyen et d’éducation… »
En fait,  ne pas rester entre les mains des seuls agriculteurs mais s'ouvrir au reste de la société. Ainsi, à côté des deux associés et trois salariés sur la production laitière, des deux maraîchères, du gérant du magasin et des sept boulangers de la Scop, l’écosystème social et économique mis en place au "Petit chapelet" ouvre de multiples portes.

La ferme sert de support au projet éducatif de l’association "Les Mille Pas" installée à Rennes, association qui fait de la formation à la permaculture et à l’alimentation saine. Elle accueille aussi depuis quelques mois une nouvelle association de Low tech dont l’objectif est de se réapproprier tous les savoirs faire dans l’énergie, l’habitat, l’habillement pour plus d’autonomie… sans parler d’un projet de brasserie, d’un café cantine, lieu d’alimentation et d’échange avec les citoyens. Non seulement le système n’est pas clos mais il est adaptable, plus souple et donc plus facilement transmissible.
«Pendant 25 ans, conclut Gilles, mes  parents ont travaillés pour rembourser la terre rachetée à leurs parents, j’ai travaillé à nouveau pendant 25 ans pour rembourser  les mêmes terres, et ainsi de suite à chaque génération, l’objectif de notre hybridation c’est de casser ce système mortifère. »
Jean-Yves Dagnet
 

Gilles Simonneaux, l’agriculteur aux mille projets



Lire aussi le témoignage de Marie-Odile Simonneaux :

« Prendre soin de l’ensemble du vivant dont nous faisons partie »



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