
Dimanche matin 22 février 2015 dans une longère joliment restaurée de Betton, près de Rennes. Michel et Jacqueline Besnard écoutent France Inter. Et restent sidérés. La journaliste Inès Léraud y raconte une histoire de "grains pourris", l'empoisonnement de salariés de Triskalia à Plouisy dans le Finistère. « On a appelé des copains, se rappelle Michel Besnard, j'ai cherché dans les pages jaunes, trouvé Serge Le Quéau », le militant irréductible du syndicat Solidaires, défenseur des salariés de Triskalia. Il appelle aussi l'AMAP de Betton, la Confédération paysanne et d'autres. Quinze jours plus tard, ils préparent ensemble une soirée-débat autour du film "La mort est dans le pré". Celle-ci rassemble dès le 30 mars 200 personnes. Parmi elles, Henri Busnel. Un collectif peut naître, il a trouvé ses deux chevilles ouvrières.
Les deux hommes ont 65 ans cette année-là. Ils ne sont ni paysans ni victimes mais retraités hyperactifs. Michel Besnard, animateur de quartier à Redon dans sa jeunesse, est devenu par la formation continue ingénieur globe trotteur en informatique industrielle : tout en montant le collectif, il part toujours et pour trois ans encore en mission ici ou là. Henri Busnel est une sorte d'ingénieur en mécanique associative : ex-cadre dans divers organismes sociaux et culturels, il forme toujours des élus sur ces sujets. Les deux hommes s'engagent avec leurs armes, leurs compétences et convictions, dans la bataille contre les pesticides à travers leur soutien aux victimes.
Les deux hommes ont 65 ans cette année-là. Ils ne sont ni paysans ni victimes mais retraités hyperactifs. Michel Besnard, animateur de quartier à Redon dans sa jeunesse, est devenu par la formation continue ingénieur globe trotteur en informatique industrielle : tout en montant le collectif, il part toujours et pour trois ans encore en mission ici ou là. Henri Busnel est une sorte d'ingénieur en mécanique associative : ex-cadre dans divers organismes sociaux et culturels, il forme toujours des élus sur ces sujets. Les deux hommes s'engagent avec leurs armes, leurs compétences et convictions, dans la bataille contre les pesticides à travers leur soutien aux victimes.

De g. à d., Michel Besnard et Henri Busnel
« On arrivait de nulle part »
Dix ans plus tard, on les retrouve à la longère de Betton pour comprendre la vie et la force de cet étonnant collectif. « On s'est dit "On va accompagner les malades". Mais on n' y connaissait rien, on arrivait de nulle part. O n a appris, on s'est appuyé sur d'autres et au fur et à mesure on a pris des contacts. La MSA nous a reçus : on a vu tout de suite que c'était foireux, qu'il y avait loin des discours aux actes... On a appris aussi à travailler avec les médias. » Leur priorité au terrain, aux gens, aux victimes, a vite donné ses fruits devant les journalistes : « Pour nous, les meilleurs porte-paroles, notre meilleure arme pour toucher les gens, ce sont les malades. »
La parole des victimes des pesticides arrive de loin. Avant, il y a le silence. En dix ans, plus de 400 malades ont frappé à la porte du Collectif, c’est beaucoup et c’est peu. 10 % des victimes ? On le dit mais c’est sans doute beaucoup plus. Les gens ne sont pas seulement taiseux de nature, « ils sont prisonniers de ce truc. Il y a une espèce de honte : “Ce n’est quand même pas mon métier qui m’a rendu malade”. Ou “je vous ai dit de venir, je suis malade mais pas des pesticides, et surtout vous n’en parlez pas à mon associé”. »
Ce mur, le collectif permet de le briser. « A ce jour, une cinquantaine de personnes ont accepté de témoigner dans les médias, les réunions publiques, nos assemblées. Elles cassent le tabou, libèrent la parole pour ceux qui n’osent pas. » « Leur témoignage est souvent très fort, très percutant et en même temps d’une simplicité incroyable. »
La parole des victimes des pesticides arrive de loin. Avant, il y a le silence. En dix ans, plus de 400 malades ont frappé à la porte du Collectif, c’est beaucoup et c’est peu. 10 % des victimes ? On le dit mais c’est sans doute beaucoup plus. Les gens ne sont pas seulement taiseux de nature, « ils sont prisonniers de ce truc. Il y a une espèce de honte : “Ce n’est quand même pas mon métier qui m’a rendu malade”. Ou “je vous ai dit de venir, je suis malade mais pas des pesticides, et surtout vous n’en parlez pas à mon associé”. »
Ce mur, le collectif permet de le briser. « A ce jour, une cinquantaine de personnes ont accepté de témoigner dans les médias, les réunions publiques, nos assemblées. Elles cassent le tabou, libèrent la parole pour ceux qui n’osent pas. » « Leur témoignage est souvent très fort, très percutant et en même temps d’une simplicité incroyable. »
« Au milieu du repas, chacun disait son histoire »
La parole des victimes est aussi le ciment du Collectif. « L’émotion c’est important et là il y a beaucoup d’émotion. » Une émotion que l’on partage par exemple lors du pique-nique de l’été chez un paysan ou ailleurs : « L’été dernier, au milieu du repas, chacun se levait à son tour, il disait son histoire, c’était poignant. Quand les gens retournent à la maison, ils ne sont pas indemnes de ça, ça bouge dans les esprits même si ça ne se voit pas immédiatement. »
La solidarité se nourrit de ces moments d’amitié comme des manifs de soutien des collègues devant les tribunaux et de leurs suites parfois au bistrot. Ils y mêlent leurs différences. Les 588 adhérents recensés aujourd’hui peuvent être malades (en gros un bon tiers) ou simplement militants solidaires ou conjoints. Les malades sont agriculteurs, salariés, jardiniers, paysagistes... Les pesticides ne font pas de distinctions entre gens de la terre et au-delà chez les riverains.
En dix ans, 230 personnes ont obtenu la reconnaissance de maladie professionnelle grâce au Collectif qui peut s’enorgueillir notamment des avancées pour les tumeurs cérébrales, la DCL (Lewy) et Alzheimer. 80 dossiers sont en cours. Et ça se sait, on le contacte donc de plus en plus : désormais, 7-8 dossiers arrivent chaque mois ( 9 en février) contre 2-3 il y a trois ans. Tant et si bien que les professionnels obtiennent maintenant la reconnaissance sans autre argument que les critères du tableau des maladies. Pour les riverains, c'est une autre affaire. il faut des preuves.
La solidarité se nourrit de ces moments d’amitié comme des manifs de soutien des collègues devant les tribunaux et de leurs suites parfois au bistrot. Ils y mêlent leurs différences. Les 588 adhérents recensés aujourd’hui peuvent être malades (en gros un bon tiers) ou simplement militants solidaires ou conjoints. Les malades sont agriculteurs, salariés, jardiniers, paysagistes... Les pesticides ne font pas de distinctions entre gens de la terre et au-delà chez les riverains.
En dix ans, 230 personnes ont obtenu la reconnaissance de maladie professionnelle grâce au Collectif qui peut s’enorgueillir notamment des avancées pour les tumeurs cérébrales, la DCL (Lewy) et Alzheimer. 80 dossiers sont en cours. Et ça se sait, on le contacte donc de plus en plus : désormais, 7-8 dossiers arrivent chaque mois ( 9 en février) contre 2-3 il y a trois ans. Tant et si bien que les professionnels obtiennent maintenant la reconnaissance sans autre argument que les critères du tableau des maladies. Pour les riverains, c'est une autre affaire. il faut des preuves.

A la foire bio de Muzillac en 2017 © Collectif
Tout le monde est accueilli, avec ses déchirements
« Nous avons par exemple fait une demande de maladie professionnelle pour une assistante maternelle qui a un myélome. Autour de sa maison, l’environnement est très pollué. On est obligé de rassembler un faisceau d’indices, d’amener des preuves scientifiques. » Impossible, bien sûr, de raconter ici toutes les batailles qui se jouent derrière chaque chiffre de l’activité présentées dans les documents ci-dessous, une vrai champ d'investigation universitaire.
Et justement. Le Collectif intrigue et intéresse aujourd’hui des sociologues, des médecins. Des élus aussi qui peuvent assurément trouver dans cette solidarité entre pairs partageant les mêmes épreuves, soutenus en outre par des gens de milieux divers, un remède contre l’extrême-droite qui empoisonne aussi les campagnes en faisant son profit des déchirements.
Le Collectif, lui, accepte ces déchirements. Simplement. « Nous accueillons tout le monde. Si tu approfondis, il y a toutes les positions. Même s’ils sont malades, certains utilisent encore les pesticides. Un jour, on va chez un gars qui a un lymphome, on voit que les allées ont été traitées au glyphosate. Le système est resté dans les têtes. D’autres sont farouchement opposés aux pesticides. Au premier contact, nous sommes très clairs : nous demandons l’interdiction des pesticides. Mais les gens restent. Notre longévité tient à l’attachement des gens au Collectif. » Qui peut ainsi réunir tout le monde malgré les différences, les paysans et les riverains, des membres de la FNSEA et de la Coordination Rurale à côté de ceux de la Confédération Paysanne, les compagnons de lutte.
Et justement. Le Collectif intrigue et intéresse aujourd’hui des sociologues, des médecins. Des élus aussi qui peuvent assurément trouver dans cette solidarité entre pairs partageant les mêmes épreuves, soutenus en outre par des gens de milieux divers, un remède contre l’extrême-droite qui empoisonne aussi les campagnes en faisant son profit des déchirements.
Le Collectif, lui, accepte ces déchirements. Simplement. « Nous accueillons tout le monde. Si tu approfondis, il y a toutes les positions. Même s’ils sont malades, certains utilisent encore les pesticides. Un jour, on va chez un gars qui a un lymphome, on voit que les allées ont été traitées au glyphosate. Le système est resté dans les têtes. D’autres sont farouchement opposés aux pesticides. Au premier contact, nous sommes très clairs : nous demandons l’interdiction des pesticides. Mais les gens restent. Notre longévité tient à l’attachement des gens au Collectif. » Qui peut ainsi réunir tout le monde malgré les différences, les paysans et les riverains, des membres de la FNSEA et de la Coordination Rurale à côté de ceux de la Confédération Paysanne, les compagnons de lutte.
« “Je veux surtout que ma maladie soit reconnue” »
Tout est une question d'écoute, de respect de la pudeur et autres subtilités révélatrices. « Plein de gens nous disent “je ne fais pas ça pour l’argent”. Une bonne moitié dit “Je veux surtout que ma maladie soit reconnue”. Nous, on leur dit “mais si, il faut les faire payer ! Que ça leur coûte ! » Car la rente n’est pas négligeable : selon l’ancienneté reconnue de la maladie, elle peut s’élever parfois, avec les arriérés et une prestation complémentaire, à 25-40 000 €, jusqu’à 70 000.
Le Collectif ne néglige pas l’argent. Il en a même fait l'un des outils de son indépendance farouche. Aucune subvention de quiconque mais un bon usage des réductions d’impôts pour les frais des bénévoles et les dons (sachant que l’adhésion annuelle au Collectif est accessible à tous : 10 €). Le Collectif a ainsi assez de ressources pour fonctionner au quotidien, mobiliser, agir devant les tribunaux, soutenir même des actions de partenaires. Sans s’appuyer comme beaucoup d’associations sur des salariés : il n’y a que des bénévoles. Ou sur une fédération : « On n’adhère à rien, on travaille avec tout le monde et sur un pied d’égalité. » Autant dire qu’il ne craint personne : « Ça fait qu’on n’a pas peur de taper sur la MSA ou la FNSEA... »
Soudé par la parole des victimes d’où qu’elles viennent, porté par une solidarité et une indépendance fortes, doté d’une ligne claire à la fois de soutien aux victimes et de lutte pour l’interdiction des pesticides, le Collectif devenu association le 7 avril 2016, a beaucoup grandi en dix ans et sa réputation dépasse largement les frontières de l’Ouest. Le bouche à oreille vibre de l’Ouest au Nord, à l’Est, au Sud, par exemple chez les viticulteurs de plus en plus nombreux.
Le Collectif ne néglige pas l’argent. Il en a même fait l'un des outils de son indépendance farouche. Aucune subvention de quiconque mais un bon usage des réductions d’impôts pour les frais des bénévoles et les dons (sachant que l’adhésion annuelle au Collectif est accessible à tous : 10 €). Le Collectif a ainsi assez de ressources pour fonctionner au quotidien, mobiliser, agir devant les tribunaux, soutenir même des actions de partenaires. Sans s’appuyer comme beaucoup d’associations sur des salariés : il n’y a que des bénévoles. Ou sur une fédération : « On n’adhère à rien, on travaille avec tout le monde et sur un pied d’égalité. » Autant dire qu’il ne craint personne : « Ça fait qu’on n’a pas peur de taper sur la MSA ou la FNSEA... »
Soudé par la parole des victimes d’où qu’elles viennent, porté par une solidarité et une indépendance fortes, doté d’une ligne claire à la fois de soutien aux victimes et de lutte pour l’interdiction des pesticides, le Collectif devenu association le 7 avril 2016, a beaucoup grandi en dix ans et sa réputation dépasse largement les frontières de l’Ouest. Le bouche à oreille vibre de l’Ouest au Nord, à l’Est, au Sud, par exemple chez les viticulteurs de plus en plus nombreux.

A l'AG 2025 du 22 mars à Cournon (Morbihan) © Collectif
« Notre but, c’est un autre modèle agricole »
Il essaime. Des groupes autonomes se forment dans des départements. « Jeudi et vendredi, j’étais avec Jean-Claude dans l’Eure-et-Loire, à Chartres, raconte Michel Besnard. Il y avait cent personnes. La FDSEA était là pour nous contredire, on aime ça. On a dormi chez les gens. Le vendredi soir, on était quinze. J’ai transmis notre savoir.
Leur groupe est très motivé, poursuit-il, mais il y a peu d’agriculteurs, il faut qu’ils intègrent des gens du pays qui sont malades et entrent dans la démarche, il ne s’agit pas seulement de parler contre les pesticides. C’est aussi participer à d’autres luttes. Car, en fait, les pesticides, c’est notre porte d’entrée pour combattre un modèle agricole. Notre but, c’est un autre modèle agricole. »
Combat ô combien inégal. Face à la puissance de l’adversaire et à ses guérillas juridiques interminables (l’affaire Triskalia par laquelle tout a commencé revient encore au tribunal le 9 mai), le Collectif reconnaît ses limites. Il sent seulement qu’il crée des « fissures ». Ce qui n’est déjà pas rien...
Leur groupe est très motivé, poursuit-il, mais il y a peu d’agriculteurs, il faut qu’ils intègrent des gens du pays qui sont malades et entrent dans la démarche, il ne s’agit pas seulement de parler contre les pesticides. C’est aussi participer à d’autres luttes. Car, en fait, les pesticides, c’est notre porte d’entrée pour combattre un modèle agricole. Notre but, c’est un autre modèle agricole. »
Combat ô combien inégal. Face à la puissance de l’adversaire et à ses guérillas juridiques interminables (l’affaire Triskalia par laquelle tout a commencé revient encore au tribunal le 9 mai), le Collectif reconnaît ses limites. Il sent seulement qu’il crée des « fissures ». Ce qui n’est déjà pas rien...
Le bonheur des gens conforte les convictions
Dans un combat qui n’est pas près de finir, il s’agit aussi de durer. L’édifice construit depuis dix ans est solide avec ses deux piliers, le groupe de coordination de quinze personnes en appui et ces 600 adhérents qui viennent aussi avec leurs compétences. Mais vient toujours le temps du passage de relais.
C’est chose faite pour Henri Busnel, qui transmet tout juste la trésorerie à deux militantes. L’heure n’est pas encore venue pour Michel Besnard qui va continuer à bosser à plein temps pour le Collectif. « On ne peut pas faire des choses comme ça sans s’y retrouver, explique-t-il. Moi, ma satisfaction c’est le bonheur qu’on apporte à des gens, cette gratification conforte les convictions qu’on a au fond de nous. Et j’aime depuis toujours les manifs ! »
Michel Rouger
C’est chose faite pour Henri Busnel, qui transmet tout juste la trésorerie à deux militantes. L’heure n’est pas encore venue pour Michel Besnard qui va continuer à bosser à plein temps pour le Collectif. « On ne peut pas faire des choses comme ça sans s’y retrouver, explique-t-il. Moi, ma satisfaction c’est le bonheur qu’on apporte à des gens, cette gratification conforte les convictions qu’on a au fond de nous. Et j’aime depuis toujours les manifs ! »
Michel Rouger
Pour aller plus loin
Le site du Collectif
A retrouver sur Histoires Ordinaires :
Maria, femme de la terre, femme courage
Armel combat ces pesticides qui ont pourri sa vie
DEUX DOCUMENTS ET UN FILM
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