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23/09/2015

La lutte, en trois visages, du peuple des Andes


A l'approche de la Conférence de Paris sur le climat, début décembre, les débats grandissent sur les dégâts de la surproduction sur la Planète et sur les sociétés. En Amérique du Sud, les peuples des Andes se battent aussi pour défendre la Terre, leur mère et la nôtre, à l'image (de g.à d.) de Cancio, le Bolivien, Norma l'Equatorienne, et Ricardo, le Colombien, rencontrés au dernier Festival des minorités de Douarnenez.


De g. à d. Cancio Rojas, Norma Mayo, Ricardo Camilo
De g. à d. Cancio Rojas, Norma Mayo, Ricardo Camilo

Cancio Rojas a 53 ans. Dans quelques jours, il va pouvoir retrouver les siens, sa nation de Charka Mikani, au sud de la Bolivie, près de Potosi, là où le colonisateur espagnol déchira la terre pour en extraire l'argent, là où les mines continuent de faire le malheur du peuple indigène et le contraint à lutter.

C'est ainsi que Cancio Rojas a été jeté en prison en 2012. « On m'a enlevé mes vêtements traditionnels, cassé des côtes... », dit-il, comme choqué encore de voir le gouvernement de l'amérindien Evo Morales préférer aux Indigènes la multinationale canadienne South Americain Silver.

Cancio Rojas, est un indomptable. Il est entré dans la lutte à 20 ans. Cela fait donc trente-trois ans qu'il lutte pour sauvegarder les traditions des ayllus, les communautés locales où les tâches collectives règlent la vie. Où « chacun a obligation de prendre en charge l'éducation, la justice, la production, l'animation de la communauté... », rappelle-t-il.


La lutte, en trois visages, du peuple des Andes

« Défendre la terre mère et les droits humains »

Rapidement, il est devenu leader de son ayllu, comme son père et son grand-père, avant de se faire reconnaître par les autres nations. Depuis dix-huit mois, il est à la tête du Conamaq, le Conseil national des Ayllus et Markas du Qullasuyu, l'organisation la plus active des Indigènes des Andes de Bolivie.

« Avec Morales, les peuples indigènes, c'est juste au moment du vote », accuse-t-il. Avec la baisse des prix des matières premières, le socialiste Morales trouve l'argent de ses réformes en cédant aux pressions des multinationales. « Il encourage " la République du soja", les hydrocarbures, l'exploitation minière : il offre même des concessions minières dans les parcs nationaux », poursuit le leader du  Conamaq. Pourtant, «  être mineur, c'est pas la joie, plutôt la tristesse, la silicose ; être mineur c'est comme si tu ne donnais plus de valeur à ta vie. »

Envers et contre tout, malgré « la politique qui divise les Indigènes », malgré l'exode des « jeunes qui partent vers les villes et perdent leur identité », Cancio Rojas, lui, continuera toujours le combat de ses ancêtres : « Défendre et développer notre organisation propre, notre justice, notre santé, notre démocratie horizontale, défendre la terre mère et les droits humains. »

La terre, on y revient toujours. Il y revient dans quelques jours. « Mes fonds s'épuisent », sourit-il. Dans une démocratie horizontale, on ne fait pas fortune, il faut se nourrir soi-même. De toutes façons, le mandat à la tête de la Conamaq n'est que de deux ans. Il retrouvera bientôt les tâches collectives de l'ayllu, sa femme, sa fille de 30 ans qui «  lutte beaucoup avec les femmes ; moi, je suis le plus actif mais toute la famille est engagée. »

«  Toute petite, je voulais  tout faire, sourit Norma Mayo :  journaliste, éducatrice, agir dans la communauté, mon père m'emmenait à ses réunions, il a toujours voulu qu'une de ses filles soit leader. »  A la tête de la communauté villageoise, lui « luttait surtout pour le droit à la terre », sa fille a engagé un autre combat : les droits des femmes.

Norma Mayo arrive de la province de Cotopaxi, en Equateur, en état d'urgence ces jours-ci à cause du réveil du volcan. « Ma mère était au foyer, comme les autres. A l'époque, les femmes étaient destinées à s'occuper de la maison, du potager, du mari et des enfants. Dans les années 80, 90 % étaient analphabètes. J'ai eu la chance d'aller à l'école puis au lycée mais la discrimination était très forte. Les autres disaient "Les Indiens n'étudient pas !" Je ne parlais pas l'espagnol, mais ma langue, le kichwa. J'ai décidé d'être forte. »

La lutte, en trois visages, du peuple des Andes

Cachée pour éviter 12 ans de prison

Engagée dès l'âge de 15 ans, la jeune Norma gravira tous les échelons dans l'organisation des femmes indigènes :  local, régional, national. Jusqu'à se retrouver en 2010 à la tête de la CONAIE, la Confédération nationale indigène de l'Equateur. Jusqu'à devoir, cette année-là, échapper à la police pour ne pas se retrouver en prison.

«  Un Indigène avait tué. Sa communauté s'est réunie pour le juger : quand survient un problème, on applique notre justice indigène. J'étais présente. Correa (le Président), qui voulait un procès national, m'a accusée de l'avoir empêché, on ne peut pas juger quelqu'un deux fois. J'ai été condamnée à 12 ans de prison. » 

La grande avocate et ancienne ministre Nina Pacari a donné une portée internationale à l'affaire, Norma Mayo a retrouvé la liberté mais « le plus dur, dit-elle, a été de se cacher pour ne pas aller en prison. » « La justice indigène, poursuit-elle, vient de nos pères, de nos grands-pères. La constitution reconnaît la justice indigène à côté de la justice nationale : on se bat pour que ce soit appliqué dans les faits. »

Apprendre à lire et écrire en partageant son quotidien

Une battante se cache derrière cette femme aux apparences modestes qui ne quitte jamais son habit traditionnel. « On ne perdra jamais notre langue et notre façon de nous habiller  », promet-elle aussi. Face à l'analphabétisme, Norma Mayo a ouvert une école où les femmes indigènes apprennent en partageant leurs expériences, donc à lire et à écrire tout en se défendant par exemple contre les violences.

La majorité des femmes travaillant dans l'agriculture et l'élevage, les militantes de la CONAIE les mobilisent beaucoup par les médias, la radio, le canal télé 47.. Et ça dérange là aussi. Norma Mayo, qui a elle-même été reporter durant six ans à la radio communautaire, doit se battre aujourd'hui pour défendre le canal 47 : « Nous avons peur que Correa coupe le canal, il demande qu'on communique nos enregistrements toutes les semaines. »

Leader… et aux champs à 4 h du matin

Avant que les relations se dégradent, les femmes de la CONAIE ont obtenu de grandes avancées auprès de Rafael Correa qu'elles avaient contribué à faire élire. Droit de vote, droits des femmes dans la Constitution, droit à la contraception qui a changé beaucoup la vie : « Mon père a eu 11 enfants, 5 filles et 6 garçons, moi j'en ai deux, une fille, un garçon. »

Elle les revoit d'ailleurs davantage. Elle n'est plus élue à la CONAIE, ses mandats sont finis. Ils durent deux ans, « un an pour bâtir le projet, un an pour le réaliser. » Mais son savoir-faire n'est pas perdu : elle est à son bureau de 9 h à 17 h pour apporter un appui technique à l'organisation. Cela complète les revenus de sa petite ferme. 

Elle est dans son jardin et avec ses bêtes le matin de 4 h à 6 h  puis y revient le soir. Elle est beaucoup aidée à la ferme par son fils de 18 ans et sa fille de 21 ans. Celle-ci, future enseignante, milite aussi beaucoup avec elle. « On est sorties de l'ignorance, on ne peut plus reculer. Nous sommes comme la paille qu'on voit dans le páramo, que vous arrachez et qui revient en force ». 

« Il y a beaucoup de luttes où les femmes sont en première ligne », ajoute Norma Mayo. Depuis cet été, les peuples indigènes se soulèvent de nouveau...

Ricardo parle beaucoup de son père. Il a longtemps été maire de la communauté, Sakuku Mayor, à Nabusímake, dans le Sierra Nevada, en Colombie. « Il a tout le temps travaillé pour la communauté, malgré les conflits armés ;   il est très respecté du peuple Arhuaco. » Il a envoyé ses enfants à l'école à 4 ans. Cependant, quand Ricardo a souhaité poursuivre à l'Université, il a dit non : « Par manque de moyens, j'ai onze frères. »

Ricardo Camilo a donc lâché les études à 15 ans. Il a travaillé les champs, les routes, pour la famille et la communauté. Il a parcouru et observé sa terre, la nature, en train de changer. « Chez nous, on se lave dans la rivière, toujours au même endroit. Une année, la sécheresse a brûlé la colline. L'eau ne coulait plus dans la rivière. C'est à partir de là que j'ai voulu étudier l'écologie. »

La lutte, en trois visages, du peuple des Andes

Arracher la terre des ancêtres aux multinationales

Arrivé à 21 ans, Ricardo, « avec l'aide de beaucoup de gens », peut quitter Nabusímake pour l'Université pontificale Javierana, la grande université jésuite de Bogota. Il en sort diplômé d'écologie en 2012... et revient à Nabusímake : « Beaucoup d'étudiants ne rentrent pas, ils pensent qu'ils doivent bénéficier personnellement de leurs efforts, j'ai fait le chemin inverse. » Il reprend son travail d'avant, « la parcelle de mon père, planter, récolter. » 

Au bout de six moix seulement, la communauté l'envoie toutefois faire valoir ses compétences à la Commission nationale des territoires autochtones de Colombie : « Ils l'ont fait en mémoire de mon père », dit-il modestement. En réalité, ses connaissances sont essentielles pour le peuple Arhuaco qui tente contre vents et marées de se réapproprier des territoires ancestraux. Des territoires où il est possible, juridiquement, d'assurer une propriété collective. 

Le peuple Arhuaco, que la répression a sans cesse repoussé vers les sommets de la Sierra Nevada, cherche à redescendre et à racheter des terres dont on l'a privé. Rude bataille dans un secteur convoité par des multinationales qui investissent dans les hôtels touristiques, les autoroutes, les liaisons maritimes, et pire encore.

« Sur un site culturellement riche, on construit un port pour accueillir le charbon de la mine toute proche », proteste Ricardo qui argumente aussi contre les retenues d'eau. « Les Arhuacos ont été en constante résistance dans la Sierra Nevada, dit-il. Aujourd'hui, la spéculation est forte, c'est une course pour pouvoir acheter des terres, avoir des espaces pour notre peuple et conserver nore culture : c'est très difficile. »

Quand les paramilitaires assassinaient les mamos

D'autant plus difficile que la lutte armée entre les FARC et le pouvoir n'est pas totalement éteinte ainsi que la peur nourrie par les assassinats passés. « En 2003, se souvient entre autres Ricardo, les paramilitaires ont fermé la Sierra et coupé la nourriture pour bloquer les FARC. Les Arhuacos sont allés parler avec les paramilitaires, accompagnés par les mamos, nos guides spirituels. Les paramilitaires avaient les armes, nous la parole, on a obtenu qu'il rouvrent la route mais ils ont quand même assassiné des mamos. » 

Maintenant, la spéculation nourrit de nouvelles tensions. « Notre peuple n'est lié à aucun groupe armé, insiste-t-il, on veut seulement que les enfants poursuivent leur éducation dans notre culture, ne perdent pas leurs traditions, deviennent des mamos  La nature, c'est là qu'est notre raison d'être. »  « On a réussi à retrouver un tout petit bout de terre près de la mer là où était notre territoire », constate simplement le jeune de Nabusímake devenu aujourd'hui le coordinateur de la Commission nationale des territoires autochtones de Colombie.

Michel Rouger



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