Son bureau, au sous-sol, peuplé de livres, de cassettes et d'affiches, raconte les combats d'une vie sans frontières, caméra au poing, avec les ouvriers grévistes de Brest, les maquisards algériens, les Bretons en lutte contre la marée noire, tous les résistants du monde...
Deux heures d'histoires, petites et grandes, ont commencé. Sur une étagère, René Vautier a pris l'une de ses caméras, une Paillard.
Dans le crâne, toujours là, un morceau de l'objectif
1958. René Vautier est en Algérie, sous les balles françaises, aux côtés des maquisards algériens.
« La balle est venue dans la caméra, la caméra a explosé, un petit truc m'est arrivé dans le crâne. J'avais un passeport d'apatride sous responsabilité tunisienne, valable pour tout pays sauf la France. J'ai réussi à rejoindre l'Allemagne (de l'Est, communiste) pour qu'on me soigne le crâne et en même temps pour faire le montage de ce que j'avais tourné en Algérie et que j'ai appelé "Algérie en flammes".
On examine mon crâne et le toubib me dit :
- Y'a un morceau de métal
- Oui, c'est le morceau de l'objectif de la caméra
- C'était quoi votre caméra?
- Pourquoi?
- Parce qe je ne sais pas si on peut l'enlever. Un cal s'est formé. Il faudrait couper une partie de l'os du crâne et mettre une plaque ; d'un autre côté, comme ça ne risque plus de gratouiller le cerveau... Cétait quoi votre caméra?
- Une caméra Paillard
- Paillard, c'est du matériel suisse, c'est du matériel propre, je suis d'avis qu'on laisse le morceau.
- Oui oui, moi aussi, je suis d'accord !
Je l'ai toujours. Je suis le seul cinéaste à avoir un morceau de caméra dans la tête, en tout cas, je n'en connais pas d'autres. »
Du fusil à la caméra
Après, je leur ai dit : "Plus jamais je ne toucherai une arme de ma vie
- Qu'est ce que tu feras?
- Je ne sais pas. Je dénoncerai les choses qui ne vont pas mais peut-être avec une caméra."
Ce sont les copains du clan qui m'ont expédié au concours de l'Idhec, l'Institut des hautes études cinématographiques. »
À l'Idhec (devenue la Fémis en 1986)), le jeune Finistérien passe vite à l'acte. Durant sa première année, les mineurs du Nord se mettent en grève. Il y part. Il a 18 ans.
« Je filmais aux côtés des mineurs. Un jour, je suis parti à Dunkerque où les dockers refusaient de décharger le charbon anglais acheté par le gouvernement français pour briser la grève des mineurs. J'ai été arrêté dans un local syndical : je m'étais endormi... Le commissaire m'a libéré, craignant que les dockers reviennent pour me chercher. »
Le film de la grève de Brest en morceaux
« Le film a été présenté quelque chose comme cent-cinquante fois. Il n’y avait qu’une copie. Un jour, dans les locaux de la CGT à Paris, le film s'est cassé pendant la projection. Les spectateurs ne s’en apercevaient pas, ça cassait pendant le rembobinage. Le film s’est cassé par morceaux. J’ai dit "il a fait son usage" et j’ai tout balancé dans la poubelle de la cabine de projection. »
Les pleurs du poète Paul Eluard
À ce moment-là, Éluard se retourne. Il pleurait. Il me dit : "Non, jeune homme, je ne dors pas mais laissez un vieux poète se faire à l’idée que, de son vivant, un de ses poèmes a été digéré par le peuple." Le texte était lu par un ouvrier brestois qui m'avait remplacé, j’avais eu une extinction de voix. Il avait considérablement changé le texte d' Éluard, j’avais la trouille, et je vois qu’Éluard pleure...
« Un homme est mort »: la vérité, 60 ans après
« Pierre Cauzien a pu enfin dire la vérité devant la caméra, quelques mois avant sa mort ; c'est ma fille Moïra qui a filmé son témoignage. Le film de Moïra va rassembler tous les éléments. À l’époque, des gens ont fait courir le bruit que les premiers coups de feu étaient partis des rangs des manifestants. Maintenant, on a la pièce signée du gars qui a donné l’ordre de tirer. Je dois m’arranger pour que ce papier soit connu, Cauzien le voulait et il est mort, moi je ne suis pas encore mort tout à fait...
«Afrique 50 », le film interdit devenu « utile et nécessaire »
« La folle de Toujane », le film étouffé
« Il y a un autre truc pour lequel je continue toujours à me battre, c’est à propos de "La folle de Toujane". Le film a été acheté complètement illégalement par un ancien patron des patrons à des gens qui n’avaient pas le droit de le vendre.
Des ennemis à oublier
Liberté de l'image: le grand combat se poursuit
Entre ses photos de combats dans le maquis algérien et les images diffusés sur Facebook par les jeunes Tunisiens près de soixante ans plus tard, il y a certes un monde : « Aujourd’hui, l’expression par l’image, grâce aux petites caméras, est devenu un outil d’échange et les jeunes ont compris ça. » Mais à leur tour « ils doivent se battre contre la censure. »
Les professionnels de l'image, en tous les cas, vont devoir «tenir compte des voix et des images qui montent d’en bas ». « Je suis fier de voir qu’on utilise mes vieilles images pour se battre », insiste-t-il. Vautier, l'éternel franc-tireur.
(vidéo : Marie-Anne Divet)
« Tenir compte des images qui montent d'en bas »
Oui aux images volées de "Sarkolonisation"
« Il y a des gens qui citent des extraits sans me le demander. C’est comme ça que j’ai eu "l’honneur" de participer à une réponse au président de la République après son discours de Dakar.