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Actualité


Revoir Rosetta des frères Dardenne et Émilie Dequenne.

03/04/2025


Le film Rosetta des frères Jean-Pierre et Luc Dardenne sera diffusé sur ARTE le mercredi 20 mai à 20h50. Ce film, qui a remporté la Palme d’Or et le prix d’interprétation féminine pour Émilie Dequenne au Festival de Cannes en 1999, sera suivi à 22h25 par le documentaire Il était une fois… Rosetta d'Auberi Elder. Il est également disponible en replay sur Arte.
 

Rosetta & Émilie

Avez-vous revu Rosetta ?
C’est possible sur Arte. Avec en bonus, si l’on peut s’exprimer ainsi, mais ce n’est pas de
lessive qu’on parle, un excellent docu d’une heure sur Rosetta, le film. Avec des témoignages
d’Olivier Gourmet, Fabrizio Reggione, Ken Loach, des frères Dardenne et bien entendu de
l’actrice Émilie Dequenne.
Elle vient de mourir d’un cancer fatal à 43 ans.
Une actrice ? Non une Rosetta. C’est-à-dire un corps, ventre de souffrance qui se plie en
deux, larmes ravalées sauf quand elle s’abat sur sa bouteille de butane trop lourde, corps
d’épaules et de saisissement d’objets. Corps de peau et pas de sexe, corps de puissance et
quasi non genré. Elle prend les sacs de farine et ne s’en détache pas. Elle s’accroche aux
portes et devient une porte. Elle s’arrime au sol pour ne pas couler. Elle ne coule pas. Tête
hors de l’eau comme tant de nos congénères. Ils flottent, ils ne coulent pas, ils boivent la
tasse, ils ne meurent pas. Parfois, si.
Pas Rosetta qui veut inverser le cours des choses.
C’est un film des Dardenne, donc de rédemption. De consubstantiation, voire. Rosetta
change la marche en marche forcée, la mort lente en vie vive, traverse la quatre-voies tous
les jours, deux fois par jour, gagne à tous les coups l’autre rive. Elle rejoint les sous-bois.
Rosetta est une fille des sous-bois de la ville.
Elle y retrouve dans un bout de buse qu’elle bouche d’une grosse pierre les bottes pour
garder propre ses chaussures de ville. Rosetta est une fille de jupe grise, de collants
verdâtres, il est dit dans le docu que pour déterminer ces habits, pardon ces costumes de
scène si simples, si humbles, il faut parfois une semaine de recherche, d’essai, de
recommencement aux frères Dardenne pour dire oui, c’est comme ça. Ce blouson rouge de
Rosetta, ces collants caca d’oie de Rosetta, ces bottes-là, ce ne peut être qu’elle.
Triste disparition d’Émilie Duquenne. Nous nous réjouissons que Rosetta lui survive.
Vous rappelez-vous d’elle ? Cette fille de dix-sept ans, est-ce Rosetta, est-ce Émilie qui force
son rôle et contraint les Dardenne à la suivre plutôt qu’à la filmer ?
Rosetta nous subjugue bien après sa Palme d’Or de 1999.
26 ans, pas une ride. 26 ans comme si de rien n’était. Une jeunesse entre vie et mort
s’ensuive, une jeunesse qui pousse ses dernières forces, son énergie décuple avec le
désespoir d’être née là, de cette mère alcoolique là, dans cette pauvreté indigne. Rosetta
est-elle digne ?

On l’aime et on la déteste.
Elle est une sainte qui tue, un sacré bout de bonne femme mauvaise, elle est fille du marche
ou crève et peut marcher sur la tête des autres, au risque qu’ils crèvent. Rosetta veut un
travail, coûte que coûte. Vendre des gaufres au risque de se gaufrer.
On la suit, elle nous épuise, elle marche si vite, fonce tout le temps, traverse les bois, se
change de godasses, relève ses hameçons dans les bouteilles de verre au cul cassé, elle
pourrait se blesser, elle ne se blesse pas.
Elle est blessée.
Rosetta nous blesse parce qu’elle est le monde blessé. Crucifié pour utiliser un langage
chrétien qui vient souvent en regardant les films des Dardenne, Jean-Pierre et Luc. Les frères
sont deux et ne font qu’un. On dirait qu’on parle d’une sainte trinité mais ils ne sont qu’une
magnifique dualité.
Rosetta braconne donc. Toujours à cette limite de la ville et du vil, aux lisières de la mort-vie,
prête à dénoncer, disposée à répudier, prête au pire pour s’en tirer.
Rosetta est plus forte qu’Émilie puisqu’elle lui survivra. C’est la puissance des incarnations,
du cinéma, des héros.
Il y a eu Cosette au XIXème.
Rosetta au XXème.
Quelle jeune femme sera l’emblème du XXIème ?
Patientons. En attendant, rendez-vous sur Arte replay !

Gilles Cervera


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