Au summum de l’intensification de l’élevage
On est à cette époque, parvenu au summum de l’intensification de l’élevage. Pierre se souvient de ce dépliant de la chambre d’agriculture claironnant à tout-va : « Maïs + soja, ça marche ! » Parquées, les vaches mangent en libre-service du maïs provenant de semences américaines, à même le silo, tenues à distance par un fil électrique que l’éleveur fait avancer chaque jour. Et dans la salle de traite, on distribue du tourteau de soja en provenance des États-Unis et du Brésil : « On ne parlait pas alors des désastres pour la planète, encore moins de ceux causés à l’être humain et à l’animal. On avait oublié que les vaches aimaient manger de tout, des choux, des betteraves, de la luzerne en complément du foin l'hiver et bien sûr, de l'herbe aux beaux jours, une nourriture variée et diversifiée… On commençait tout juste à s’inquiéter car les bêtes devenaient des boules de graisse qui ne faisaient plus qu’un ou deux veaux dans leur vie, enchaînant diverses maladies. Nous ne faisions plus notre métier ! On était devenu des vendeurs d’additifs… »
Pierre Weill reprend l’usine de Combourtillé
« Nous savions que ce n’était pas bon pour les vaches de ne manger que du maïs et du tourteau, sous-produit du soja dans lequel on a enlevé le meilleur à l’aide de solvants chimiques. Nous avons alors imaginé un nouveau système de nutrition basé sur la culture de protéagineux et de légumineuses qui captent l’azote de l’air et poussent en Bretagne – pas au Brésil !- et sur une alimentation à l’herbe plus que sur le maïs avec un complément de graines de lupin, de pois, de féverole… » La démarche est alors empirique. Très peu de recherches et de documentation existent sur le sujet. Pourtant, l’entreprise lui fait confiance jusqu’à ce qu’elle dépose le bilan en 1992. Dépité mais nullement abattu, Pierre décide avec quelques collègues, de déposer un projet de reprise. La joyeuse équipe trouve un financier et parvient à racheter l’usine.
Changer d’abord l’alimentation des animaux
Du beurre sous les rillettes !
Une étude clinique inédite avec 200 volontaires
« Personne ne savait comment les animaux avaient été nourris pas même l’infirmier chargé de réaliser régulièrement les prises de sang. C’était plus compliqué qu’une étude avec une pilule bleue et une pilule rouge ! Il nous a fallu trouver des éleveurs partants, des distributeurs, des transformateurs, des financeurs et divers partenaires. Nous avons conçu la logistique et tout tracé de A à Z, élaboré un programme de nutrition des animaux avec herbe, lin, lupin… » Au bout de quinze jours, les premiers résultats sont flagrants. La composition du sérum des volontaires se trouve modifiée. Au bout de trente-cinq jours, la composition des parois des globules rouges est transformée : « C’est la composition tout entière du corps qui avait évolué, en agissant uniquement sur ce qu’avait mangé l’animal, confie Pierre, encore tout ému de cette découverte fabuleuse. Nous sommes tous restés sans voix… »
Le paysan, l’agronome et le médecin
L’aventure de Bleu Blanc Cœur ne cesse depuis de se développer. Les produits portant le logo, proposés au consommateur par divers distributeurs, représentent un budget de deux milliards d’euros. Dix pour cents de porcs élevés en France suivent la charte de l’association et sept pour cents des œufs. Vingt ans après, ce sont mille cinq cents praticiens qui se trouvent réunis au sein du collège de médecins et quelque sept mille paysans, agriculteurs et éleveurs qui sont convaincus du bien-fondé de la démarche. Bleu Blanc Cœur est présent dans de nombreux pays, récemment en Malaisie, l’un des principaux pays producteurs de palme, ainsi qu'au Japon.
L’administration, principal obstacle au développement
En 2009, le rapport Lessirard du conseil général de l’Agriculture et des espaces ruraux préconise la création d’un signe de qualité dédié à la qualité nutritionnelle. En 2011, une saisine de l’Inra aboutit à un rapport Anses-Inra qui valide l’importance d’une agriculture à vocation santé et sa pertinence dans les domaines de l’élevage, des céréales, des fruits et légumes, du poisson. En 2013, au salon de l’agriculture, les ministres Stéphane Le Foll et Guillaume Garot signent avec Bleu Blanc Cœur les accords collectifs, première reconnaissance officielle de la démarche (lire ICI). Le 19 avril 2018, sur une proposition de Jean-Baptiste Moreau, rapporteur de la loi sur les états généraux de l’alimentation, une nouvelle mention valorisante est ajoutée au code rural, de « Haute valeur nutritionnelle ». Mais, en 2019, le ministre de l’agriculture, Stéphane Travers exige un amendement de suppression de cet article de la loi : « Tous les combats ne sont pas gagnés, soupire Pierre. Il y a derrière, d’énormes enjeux économiques et financiers. Sans doute faudra-t-il passer par une reconnaissance européenne avant qu’elle ne soit nationale… Mais le bio a connu les mêmes soucis au démarrage, alors on garde l’espoir… »
Partager dans l’assiette goûts et engagements
Pour aller au bout de l’idée, Pierre a récemment racheté avec des amis le restaurant le Ciel à Rennes après une rencontre avec le chef cuisinier étoilé, Jean-Marie Baudic. Ensemble, ils ont imaginé « un lieu hors du commun où manger est un partage de goûts, de plaisirs mais aussi d'engagements et de convictions avec ceux qui produisent, ceux qui subliment... et ceux qui dégustent ! » Tous les produits dans l’assiette sont issus de la filière Bleu-Blanc-Cœur. Pierre a aussi créé une société coopérative d’intérêt collectif pour poursuivre dans le même bâtiment l’initiative du centre culinaire : « Il y a besoin de produire des connaissances sur les attentes et sur les usages en termes de consommation. Il y a tant à déconstruire ! » Et pour que la carte ne se referme pas, Pierre lance prochainement… une chaire de la « sociologie du bien manger ».
Texte et photos : Tugdual Ruellan.
Pour aller plus loin
Une agriculture engagée dans une démarche durable et sociale
La démarche Bleu-Blanc-Cœur est née, entre 1993 et 2000, d’une simple observation faite par un éleveur laitier, Jean Pierre Pasquet à un ingénieur agronome, Pierre Weill. Il lui expliqua qu’il constatait qu’au printemps, lorsque ses vaches étaient en pâture d'herbe, elles étaient en meilleure forme, et le beurre qu’il fabriquait était plus tendre et plus tartinable qu’en hiver. A partir de cette observation, Jean-Pierre Pasquet et Pierre Weill ont entrepris leur réflexion sur l’intérêt de préserver la chaîne alimentaire et de valoriser les plantes et les graines d’intérêts nutritionnels. Ensemble, ils ont créé une agriculture engagée dans une démarche durable et sociale avec des éleveurs soucieux de bien nourrir leurs concitoyens ». Lire ICI.
TEMOIGNAGES D'ELEVEURS
Jean-Pierre Pasquet, premier éleveur engagé aux côtés de Pierre Weill, ICI
Jean-Pierre Pasquet est le premier éleveur de vaches à viande bio à s'être engagé dans la démarche Bleu-Blanc-Coeur. Soucieux d'apporter à ses bêtes une alimentation de qualité c’est tout naturellement qu'il a décidé de se rapprocher de Bleu-Blanc-Coeur pour aller au bout de sa démarche qualité et proposer au consommateur une viande naturellement équilibrée !
Didier Roisin, éleveur de porcs, ICI