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17/12/2015

Le militant de l'éducation populaire ne lâche rien


Il n'est ni anglais ni boy-scout. Daniel Boys est un vieux fantassin de la gauche française, sur tous les fronts depuis plus de cinquante ans. Un rebelle aussi, bien placé pour analyser la déroute des socialistes du Pas-de-Calais, son département. Et bien décidé, à 72 ans, à poursuivre le combat.


La déroute date de 48 h. Dimanche soir, au premier tour des régionales, 10,6% seulement des électeurs inscrits dans le Pas-de-Calais ont voté pour les socialistes dont c'était depuis des décennies l'un des bastions. L'extrême-droite de Marine Le Pen a fait plus du double, 24,2%, atteignant 44,4 % des exprimés. Une gifle terrible.

L'ambiance est plombée ce soir chez Doriane et Bernard, les grands amis de Béthune que Daniel Boys est passé voir, qui militent comme lui à la Ligue de l'Enseignement dont il est le président départemental. « Ce n'est pas une surprise, tranche-t-il, c'est le résultat d'une logique à l'œuvre depuis dix-quinze ans : les élus socialistes ont fait un travail important dans les années 70, encore dans les années 80 ; puis, petit à petit, ils se sont installés dans le clientélisme, le paternalisme, soucieux surtout d'éliminer le PC. »
 
Dans le bouillonnement des années 70

A voir la gauche en lambeaux, il pourrait pourtant accusé le coup, lui, le pur produit de l'école républicaine, le fils d'ouvrier de la banlieue parisienne passé du collège technique à Normale Sup pour finir agrégé de sciences naturelles, option géologie. Lui, le prof arrivé dans le Pas-de-Calais à 25 ans, en septembre 68, la tête remplie de rêves révolutionnaires et des chaudes journées de Mai.

Maoïste il est alors. Depuis son exclusion de l'Union des Etudiants Communistes pour refus de voter Mitterrand, le candidat de l'Union de la Gauche à la Présidentielle de 1965. Sitôt arrivé à Béthune, le jeune agrégé entre dans les collectifs ouvriers, s'engage sur les fronts associatifs et culturels. Les années 70 seront belles...

En 1974, il fait du cinéma une arme politique en créant Cinétik. En 1975, c'est la MJC, qu'il copréside, qui devient un foyer de contestation. A partir de 1977, il chamboule le bon vieux 1er mai  en attirant des stands qui parlent droits des femmes, contraception, avortement,  environnement, radios libres, dictatures au Chili ou en Argentine... En 1978, le nouveau maire, le socialiste Jacques Mellick craint tant la MJC... qu'il la ferme. 

 

Chez Doriane et Bernard, militants aussi de la Ligue de l'Enseignement
Chez Doriane et Bernard, militants aussi de la Ligue de l'Enseignement

... Puis avec les municipalités socialistes

Puis soudain, comme bien d'autres «maos», Daniel Boys pense que, pour changer la société, autant être aux commandes chez les socialistes qui sont au pouvoir localement et à Paris, depuis mai 81. Par la culture, il finira même par entrer dans la municipalité... Jacques Mellick. Sain réalisme :  durant plusieurs mandats, il aura pu faire beaucoup dans la culture mais aussi la politique de la ville, les quartiers, l'urbanisme, la citoyenneté.

Du coup, il a le virus. Il arrive au Conseil Régional et il est de toutes les élections. Qu'il gagne parfois mais qu'il perd le plus souvent. Le prix d'une indépendance farouche qui lui vaut d'être exclu du Parti Socialiste en 2012 pour cause de dissidence aux législatives. Peu lui importe en fait : depuis plusieurs années, il est revenu aux sources de son engagement, l'éducation populaire, la Ligue de l'Enseignement surtout qu'il va présider sur le Pas-de-Calais à partir de 2011 puis sur la région à partir de 2013.

« Le monde ancien se meurt, le monde nouveau tarde à apparaître »

La Ligue aux 2 000 associations sur les deux départements, constitue l'une des forces de la société civile sur lesquelles le PS peu à peu ne s'est plus appuyé, qu'il a fini par regarder de haut : « Le PS s'est notabilisé, c'est devenu un parti d'élus, pas de militants, ils ont géré leur patrimoine et fait des gens des assistés : le PS s'est en quelque sorte substitué aux Houillères. »

« On est arrivé au bout d'un cycle, poursuit Daniel Boys ; la citoyenneté à laquelle on a rêvé, par l'éducation, la connaissance, le progrès social, on voit la limite de tout cela. Aujourd'hui on est dans un consumérisme électoral. Il faut inventer une nouvelle forme de citoyenneté. C'est compliqué. » Et de citer Gramsci, le grand penseur politique italien : « "Le monde ancien se meurt, le monde nouveau tarde à apparaître, dans ce clair-obscur des monstres surgissent". »

Le militant de l'éducation populaire ne lâche rien

« Redévelopper les initiatives militantes »

Face au Front National, Daniel Boys plaide plus que jamais pour le retour sur le terrain, près des gens. « Pour renouveler la politique, il faut d'abord éviter qu'elle devienne une profession. Ce n'est pas le cumul des mandats qui est le plus nuisible, c'est le cumul dans le temps, il crée des baronnies. Deux mandats, c'est suffisant. »

Le terrain, lui ne va pas le lâcher. Il va continuer à ouvrir le grand réseau d'associations qu'il anime à tout ce qui change ou peut changer la vie, l'éducation populaire mais aussi l'économie sociale et solidaire, l'environnement... « Il faut articuler tout ça et redévelopper les initiatives militantes : c'est peut-être à partir de là qu'on va inventer de nouvelles formes de vie politique. » 

Daniel Boys n'est pas homme à désespérer. « Ce que vit le PS aujourd'hui, c'est ce qu'a vécu la SFIO : elle s'est effondrée et de Gaulle est arrivé. Puis est venu mai 68, la victoire de la gauche en 1981 s'est nourrie de ça. » Donc, le combat continue. Même à 72 ans. « C'est ma vie », dit-il.

Michel Rouger
 
Daniel Boys est décédé le 3 juin 2024. Son départ a profondément ému tout le mouvement humaniste dans la région de Béthune et l'ensemble du Pas-de-Calais.


 

Au cœur de la désespérance sociale, « ils tiennent le front »


 Loos, aux portes de Lille. Ses 21 000 habitants, sa grande histoire textile, ses grands patrons d'antan qui régentaient la vie, comme Léon Thiriez dont la statue observe encore les rues ouvrières... Dans l'une d'elles, les locaux modestes d'un centre de formation inséré dans la vie d'ici. Il est midi, ils partagent des pizzas. Et ils sont sonnés.

Il y a deux jours, Marine Le Pen est arrivée en tête à Loos : 16,2% des électeurs inscrits, 35% des suffrages exprimés. Quoi qu'il arrive, la région est perdue : il leur faudra voter Bertrand pour éviter le FN.  Ici, la gauche aura tout perdu en moins de deux ans : la ville, le département et maintenant la région. 

Ils sont sept autour de la table, devant un repas pique-nique improvisé. Sept soutiers du social, trois femmes, quatre hommes, qui tentent depuis des lustres de maintenir hors de l'eau tout un petit peuple en désarroi. Lundi, ils étaient très mal. L'une a craqué au boulot, un autre est allé se coucher l'après-midi. Maintenant les mots sortent, dans le désordre.


« Si on n'était pas là, qui s'occuperaient de ces personnes ? »


Comment comprendre tout cela ? « Ça remet en question nos engagements », dit une voix. Oui, le malaise est là. Il ne faut pas s'en prendre aux gens : « Ils sont paumés. » Eux-mêmes le sont. Ils courent après les financements, en peau de chagrin. Sitôt élue, la nouvelle municipalité a amputé de moitié la subvention au centre. Ils ploient sous les évaluations qu'on leur réclame sans cesse. Ils doivent « braconner » dans des  dispositifs qui, même pour eux, sont devenus des monstres. Alors, les gens...


Les gens sont perdus, « désaffiliés », orphelins d'un territoire, d'une classe sociale. Et eux « en bout de chaîne » se sentent plus que jamais « des alibis », des gardiens de la paix sociale et au final d'un système qui produit de l'exclusion. 

Pourtant, ils tiennent, et ils continueront à tenir. « On nous dit souvent  : "Le travail que vous m'avez trouvé, ça me redonne une identité". » Il y aura toujours des phrases comme ça qui réchauffent. Ils relativisent aussi : « On essaie de vivre avec nos convictions, je connais plein de boulots où les gens sont en conflit de loyauté. » Ils ont même parfois « l'impression qu'on peut encore changer les choses. » Un peu : « Je suis comme le colibri... »

Surtout, « Si on n'était pas là, qui s'occuperaient de ces personnes ? » Qui aurait permis aux femmes musulmanes, après les attentats, de libérer leurs larmes, leur honte, les phrases que l'on voit affichées sur les murs des couloirs ? « Ils tiennent le front. » Le front social, le front citoyen contre l'extrême-droite. « Quand La Voix du Nord a pris position contre le FN, j'ai été bouleversé par les réactions sur leur site : tant de haine... » C'est ça qui menace et ça sufit pour tenir, coûte que coûte.

M.R.




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