Régine Roué est bretonne par son père et tahitienne par sa mère : « C'est peut-être pour ça que je suis un peu tête de pioche ! », blague-t-elle dans l'une des salles du centre social de Kérourien, à Brest. En tout cas, l'animatrice de l'Espace Public Multimedia est une tenace. Et il le faut pour aller chercher, convaincre, briser les blocages du petit peuple cosmopolite retranché là-haut, dans ses HLM, sur la rive droite de la Penfeld.
Dans les blocs aux 600 foyers, où l'on a relogé après la guerre les réfugiés des baraques du Polygone et par la suite les travailleurs immigrés, vivent 2 500 habitants éloignés de l'emploi, d'un revenu décent, du nécessaire. Donc d'Internet. Mais ils ont des bouts de chance. D'avoir Régine par exemple, qui se fait fort d'amener jeunes et vieux, hommes et femmes, à cliquer et à cliquer intelligemment.
Dans les blocs aux 600 foyers, où l'on a relogé après la guerre les réfugiés des baraques du Polygone et par la suite les travailleurs immigrés, vivent 2 500 habitants éloignés de l'emploi, d'un revenu décent, du nécessaire. Donc d'Internet. Mais ils ont des bouts de chance. D'avoir Régine par exemple, qui se fait fort d'amener jeunes et vieux, hommes et femmes, à cliquer et à cliquer intelligemment.
« Après, on a fait un p'tit café discut', ça a été radical »
Cela fait plus de huit ans maintenant qu'elle se met en quatre pour eux. Elle est passionnée d'informatique depuis toujours mais pas geek pour un sous. Des passions, elle en a d'autres : l'espagnol, par exemple, ou l'éducation populaire. C'est d'ailleurs pourquoi elle s'est retrouvée animatrice à la Ligue de l'Enseignement, dans des Patronages Laïques d'abord, puis ici, à Kérourien, où l'Espace Public Multimedia mobilise depuis l'automne 2003 ses diverses compétences.
L'aventure commence en face du centre social, au N° 10, dans un appartement du 1er étage. Les ordinateurs occupent le salon et la salle à manger. « Les jeunes m'ont testé pendant trois mois, ils essayaient de voir si je tenais la marée . » Elle a tenu la marée. Des garçons s'en souviennent.
Un jour, pour leur apprendre à se méfier des pseudos, elle devient elle-même Natacha, 15 ans. « "Y'a une fille qui m'a donné rendez-vous, elle a l'air super !" », entend-elle derrière la cloison. Rendez-vous est pris à 17 h à Carrefour. L'Espace multimédia se vide, tous à Carrefour ! Et là, surprise... « Après, on a fait un p'tit café discut', ça a été radical. »
L'aventure commence en face du centre social, au N° 10, dans un appartement du 1er étage. Les ordinateurs occupent le salon et la salle à manger. « Les jeunes m'ont testé pendant trois mois, ils essayaient de voir si je tenais la marée . » Elle a tenu la marée. Des garçons s'en souviennent.
Un jour, pour leur apprendre à se méfier des pseudos, elle devient elle-même Natacha, 15 ans. « "Y'a une fille qui m'a donné rendez-vous, elle a l'air super !" », entend-elle derrière la cloison. Rendez-vous est pris à 17 h à Carrefour. L'Espace multimédia se vide, tous à Carrefour ! Et là, surprise... « Après, on a fait un p'tit café discut', ça a été radical. »
« J'aime être à l'écoute des gens »
Comme ça, avec des tas de « p'tites choses », comme elle dit souvent, modeste, Régine Roué remplit peu à peu l'appartement. Au début, elle a surtout des garçons qui découvrent autre chose que les jeux ou MSN. Puis les filles arrivent. Peu à peu, ça s'équilibre. Et puis des adultes, des vieux... Les gens viennent à L'Espace parce Régine Roué « aime être à l'écoute des gens : à partir de cette écoute, on peut faire naître des envies, des projets ».
Le quartier, au demeurant, n'est pas inactif. Depuis le choc de l'Élection Présidentielle 2002 - Le Pen au second tour -, Kérourien a remué son terreau multiculturel, ses mémoires, ses coutumes. A partir des multiples interviewes et histoires de vie, un livre-miroir stimulant est sorti : « Couleur Quartier ».
Et puis, il y a les partenaires, les alliés, en tête desquels la dynamique Lucienne Montfort, de la Confédération Syndicale des Familles. Elle est souvent dans la rue, Lucienne, comme Régine que l'on croise le matin, avant les ateliers, en train de discuter dehors :« Il faut être dans la rue ; malheureusement, j'ai de moins en moins de temps... »
Le quartier, au demeurant, n'est pas inactif. Depuis le choc de l'Élection Présidentielle 2002 - Le Pen au second tour -, Kérourien a remué son terreau multiculturel, ses mémoires, ses coutumes. A partir des multiples interviewes et histoires de vie, un livre-miroir stimulant est sorti : « Couleur Quartier ».
Et puis, il y a les partenaires, les alliés, en tête desquels la dynamique Lucienne Montfort, de la Confédération Syndicale des Familles. Elle est souvent dans la rue, Lucienne, comme Régine que l'on croise le matin, avant les ateliers, en train de discuter dehors :« Il faut être dans la rue ; malheureusement, j'ai de moins en moins de temps... »
« Alors, c'est quand tu te décides ? »
Dans les premières années, Régine va jusqu'à descendre les ordinateurs dans la rue ! « Il faut être au plus près des gens. Un p'tit bonjour et après c'est engagé : "D'accord, j'vais peut-être venir te voir". J'ai vu une personne venir se former au bout de six ans, ma plus belle réussite ! Chaque fois que je la voyais : "Alors, c'est quand tu te décides ?" Maintenant, elle s'est piquée à l'ordinateur, elle est la première sur Facebook. »
Avec ses « p'tites choses », ses petites animations, à partir de la cuisine et autres besoins quotidiens, Régine Roué finit par faire venir dans l'appartement près de 400 personnes différentes par an. Autant que le centre social en face. Du coup, en 2008, à la faveur d'une extension-rénovation, le centre social Couleur Quartier absorbe l'Espace Multimédia.
Avec ses « p'tites choses », ses petites animations, à partir de la cuisine et autres besoins quotidiens, Régine Roué finit par faire venir dans l'appartement près de 400 personnes différentes par an. Autant que le centre social en face. Du coup, en 2008, à la faveur d'une extension-rénovation, le centre social Couleur Quartier absorbe l'Espace Multimédia.
Beaucoup de misère et de soucis
Ce progrès apparent provoque un gros hic. Les grands frères traînent dans le hall du nouveau centre. « Les filles ne venaient quasiment plus. » Régine Roué s'en désole. Le contexte économique n'arrange rien. Les errements bancaires venus d'Amérique esquintent aussi Kérourien : « Depuis trois ans, il y a de plus en plus de misère sur le quartier, on en parle souvent dans les ateliers. On a de gros soucis en ce moment sur Kérourien.
Le combat numérique de Régine Roué se fond dans les problèmes de société. Et cela lui va : « Le multimédia pour le multimédia, ça ne m'intéresse pas trop, j'ai plus une formation socio-culturelle : si je pouvais ne faire que des projets, les créer, les animer... » Autant dire que les projets de manquent pas.
Le combat numérique de Régine Roué se fond dans les problèmes de société. Et cela lui va : « Le multimédia pour le multimédia, ça ne m'intéresse pas trop, j'ai plus une formation socio-culturelle : si je pouvais ne faire que des projets, les créer, les animer... » Autant dire que les projets de manquent pas.
La demande numéro 1 : l'emploi
En 2008, des femmes de Kérourien vont en Finlande et en Espagne pour une opération européenne sur la numérisation des photos. En 2008 aussi, des jeunes de Kérourien deviennent des web-reporters à l'occasion de la grande fête brestoise des vieux gréements.
Écriture collective, poèmes pour le journal Couleur Quartier, diaporamas sonores, vidéos, ateliers tic et clic junior le mercredi pour les 8-11 ans, actions spécifiques pour les filles, accompagnement scolaire le mardi soir, interventions en classe Segpa au collège de Kérangoff... difficile de tout lister.
En tête de tout, il y a, plus que jamais, l'aide à l'emploi : « Pôle Emploi ne fait plus son boulot, les demandes sont de plus en plus grandes au niveau de l'insertion.» Régine Roué est de ces animateurs engagés qui essaient de pallier cette défaillance. Avec sa collègue de l'association d'insertion Iceo, elle fait de plus en plus d'ateliers sur les CV, les lettres de motivation, l'accompagnement des 16-25 ans sur le marché de l'emploi, organise un « petit déjeuner » mensuel de deux heures dans le hall...
Écriture collective, poèmes pour le journal Couleur Quartier, diaporamas sonores, vidéos, ateliers tic et clic junior le mercredi pour les 8-11 ans, actions spécifiques pour les filles, accompagnement scolaire le mardi soir, interventions en classe Segpa au collège de Kérangoff... difficile de tout lister.
En tête de tout, il y a, plus que jamais, l'aide à l'emploi : « Pôle Emploi ne fait plus son boulot, les demandes sont de plus en plus grandes au niveau de l'insertion.» Régine Roué est de ces animateurs engagés qui essaient de pallier cette défaillance. Avec sa collègue de l'association d'insertion Iceo, elle fait de plus en plus d'ateliers sur les CV, les lettres de motivation, l'accompagnement des 16-25 ans sur le marché de l'emploi, organise un « petit déjeuner » mensuel de deux heures dans le hall...
« Vous verriez le sourire sur leur visage »
Il y a aussi ces femmes qui viennent à l'atelier du mardi après-midi : « Elles sont une douzaine, de toutes origines. Après une douzaine d'heures de formation, on leur fait passer le Visa Internet de la Région. Vous verriez le sourire sur leur visage ! Pour certaines, c'est leur premier examen. » Sacrés tempéraments, ces femmes qui surmontent ainsi les obstacles de la langue et de l'écrit.
Les hommes doivent l'admettre : chez les jeunes, où « les filles sont plus techniques, plus blogs, plus averties » comme chez les anciens, ils sont à la traîne. Chez les retraités, on ne trouve que des femmes. Un homme, un jour, a amené sa femme : «" T'iras voir comment que c'est !" Au bout de deux fois il a voulu venir, j'ai dit "Ben non, on est arrivé trop loin" ; il a dit "Mais si, j'y arriverai", du coup il est revenu... »
Au milieu de l'âpreté du travail dans un quartier sensible, Régine Roué cueille ainsi des tas de bonheurs quotidiens au contact des presque 200 apprentis inernautes annuels (56 moins de 12 ans ; 50 12-25 dont 39 garçons et 11 filles ; et 75 plus de 25 ans, disent les derniers chiffres). Et puis, il y a tous ces outils, techniques ou politiques, qui font avancer régulièrement à Kérourien l' « e-inclusion », comme on dit dans le jargon des inclus du net.
Les hommes doivent l'admettre : chez les jeunes, où « les filles sont plus techniques, plus blogs, plus averties » comme chez les anciens, ils sont à la traîne. Chez les retraités, on ne trouve que des femmes. Un homme, un jour, a amené sa femme : «" T'iras voir comment que c'est !" Au bout de deux fois il a voulu venir, j'ai dit "Ben non, on est arrivé trop loin" ; il a dit "Mais si, j'y arriverai", du coup il est revenu... »
Au milieu de l'âpreté du travail dans un quartier sensible, Régine Roué cueille ainsi des tas de bonheurs quotidiens au contact des presque 200 apprentis inernautes annuels (56 moins de 12 ans ; 50 12-25 dont 39 garçons et 11 filles ; et 75 plus de 25 ans, disent les derniers chiffres). Et puis, il y a tous ces outils, techniques ou politiques, qui font avancer régulièrement à Kérourien l' « e-inclusion », comme on dit dans le jargon des inclus du net.
Kérourien, pionnier du Service Universel Numérique
La meilleure de ces nouveautés, c'est l'opération Internet en Habitat Social lancée par Brest Métropole Océane sur Kérourien, promu quartier en pointe sur le sujet, même en France, Brest étant elle-même pionnière. Les habitants ont pu recevoir un ordinateur déclassé de 50-70 €, l'accès à Internet pour 1 € par mois pendant neuf mois, et bien sûr tous les conseils qui s'imposent.
Au terme de ce lancement, en octobre 2010, une consultation a eu lieu et 61 % des votants ont dit oui à ce Service Universel Numérique. « Certains ont dit oui sans avoir l'intention de se servir d'Internet mais pour leurs voisins, commente Régine : il y a beaucoup de solidarité entre les gens à Kérourien ; de tous les quartiers de Brest où j'ai travaillé, c'est à Kérourien que j'ai vu le plus de solidarité. »
Cela, sûrement, l'aide bien dans ce combat numérique, homérique parfois, en attendant qu'un jour Internet devienne « un service public et gratuit, ouvert à tout le monde ». Mais au fait, l'appartement du N°10, dont elle a parfois la nostalgie, que devient-il ? « Il y a encore là-bas deux ou trois ordinateurs, mais je ne peux pas me dédoubler ! Vraiment ?
Michel Rouger
Photos Marie-Anne Divet
Au terme de ce lancement, en octobre 2010, une consultation a eu lieu et 61 % des votants ont dit oui à ce Service Universel Numérique. « Certains ont dit oui sans avoir l'intention de se servir d'Internet mais pour leurs voisins, commente Régine : il y a beaucoup de solidarité entre les gens à Kérourien ; de tous les quartiers de Brest où j'ai travaillé, c'est à Kérourien que j'ai vu le plus de solidarité. »
Cela, sûrement, l'aide bien dans ce combat numérique, homérique parfois, en attendant qu'un jour Internet devienne « un service public et gratuit, ouvert à tout le monde ». Mais au fait, l'appartement du N°10, dont elle a parfois la nostalgie, que devient-il ? « Il y a encore là-bas deux ou trois ordinateurs, mais je ne peux pas me dédoubler ! Vraiment ?
Michel Rouger
Photos Marie-Anne Divet