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Jean-Pierre Nicolas, anthropologue, ethnobotaniste et ethnopharmacologue, infatigable passeur de la mémoire des plantes qui soignent (photo : T. Ruellan).
La fenêtre de Jean-Pierre donne juste sur le port de Concarneau. Sur l’Atlantique… sur le monde. Le vaisselier, empli de bols et d’assiettes signés Henriot de Quimper ne laisse aucun doute sur ses origines. L’homme est de l’Ouest, Breton pur beurre, qui a grandi et s’est forgé le caractère dans les Monts d’Arrée. Rebelle ? Un peu sans doute. Déterminé, c’est certain. Enfant de Brasparts, le jeune garçon a baigné dans une atmosphère de lutte jusqu’à faire de la planète son horizon de vie. Il aime parler de son grand-père qui, de retour de la grande guerre, celle de 14-18, s’est battu au pays pour mettre en place la coopérative de défense paysanne des Monts d’Arrée :
« Il voulait que les petits paysans aient toute leur place. Il voulait qu’on respecte la terre. Je ne l’ai pas oublié…»
Porcher à Brasparts puis animateur socio-culturel
Le parcours de Jean-Pierre Nicolas, creusé dans les sentes de granite de la vieille Armorique, est loin d’être banal. Il grandit dans les années 1960 au beau milieu des catégories les plus basses du Finistère, les ouvriers de petites entreprises locales et les ouvriers agricoles.
Le jardin familial permet de subvenir à quelques besoins. De bonne heure, il travaille dans les fermes de la parentèle bretonnante, pauvre mais accueillante. Après le lycée, il s’oriente vers l’IUT de gestion pour intégrer, comme l’espère son père, le secteur bancaire, précieux sésame vers l’emploi durable :
Le jardin familial permet de subvenir à quelques besoins. De bonne heure, il travaille dans les fermes de la parentèle bretonnante, pauvre mais accueillante. Après le lycée, il s’oriente vers l’IUT de gestion pour intégrer, comme l’espère son père, le secteur bancaire, précieux sésame vers l’emploi durable :
« Un fils d’ouvrier, ça ne va pas en fac ! Je me suis retrouvé là avec tous les enfants d’ouvriers du Finistère Sud. Pas à Quimper (« çui-ci, il fera la fête tout le temps » avait dit mon père !) mais à Brest. »Le jeune étudiant se forge assez vite une opinion politique et réfute le capitalisme. En conflit avec l’institution, il perd sa bourse et doit travailler. C’est ainsi qu’il se retrouve à 18 ans, porcher dans un élevage à Brasparts. De retour du service militaire, il intègre les Classes vertes de Brasparts puis l’association des Genêts d’or à Briec-de-l’Odet et Châteaulin comme animateur socio-culturel auprès des personnes en situation de handicap.
De la sociologie à l’ethnologie en passant par la psycho
Le jeune Jean-Pierre a soif de connaissances. Il poursuit des études en cours d’emploi, privilégiant le terrain à la fonction de cadre, intègre l’équipe Léo Lagrange à Brest comme éducateur de jeunes délinquants et se passionne pour l’éducation populaire.
Il entre à la fac de « psycho » à Rennes mais se lasse vite de Freud et de Lacan, tente la « socio », obtient licence et maîtrise mais se plaint de ces enseignants qu’il juge « hors sol, loin de la souffrance du monde, trop souvent en quête de pouvoir et de reconnaissance. »
Il entre alors au Greta, organisme de formation pour adultes en Centre Bretagne, intervient de temps à autre à la chambre d’agriculture du Finistère et crée avec quelques amis, une structure de formation à Brasparts. Il poursuit ses études, enchaîne avec un DEA d’ethnologie à Brest :
Il entre à la fac de « psycho » à Rennes mais se lasse vite de Freud et de Lacan, tente la « socio », obtient licence et maîtrise mais se plaint de ces enseignants qu’il juge « hors sol, loin de la souffrance du monde, trop souvent en quête de pouvoir et de reconnaissance. »
Il entre alors au Greta, organisme de formation pour adultes en Centre Bretagne, intervient de temps à autre à la chambre d’agriculture du Finistère et crée avec quelques amis, une structure de formation à Brasparts. Il poursuit ses études, enchaîne avec un DEA d’ethnologie à Brest :
« Je trouve un apaisement en faisant mon jardin et en m’intéressant aux plantes de Bretagne, celles utilisées dans la médecine traditionnelle. »
Des graines pour les paysans roumains
1989. La révolution roumaine bat son plein, le dictateur Ceausescu vient de tomber. Sans hésiter, Jean-Pierre, qui affectionne plus que tout les Balkans et les Carpates, charge sa Renault express de graines potagères, un peu de trèfle blanc et de médicaments collectés à droite, à gauche, pour venir en aide aux paysans totalement démunis. Le voyage est mémorable, semé d’embûches et de barrages policiers à chaque frontière.
Non loin de Timisoara, ne parlant pas la langue, sans GPS ni panneaux routiers, il distribue sa précieuse cargaison aux centres de santé démunis, tout au long de cet été qui voit poindre en Roumanie l’espoir d’une prochaine récolte. Conforté dans ses choix et plus que jamais engagé, le jeune étudiant poursuit sa quête de connaissances des plantes et intègre la première promotion mise en place par l’Association pour le renouveau de l’herboristerie à Paris. Au cours d’un stage dans le Sud de la France, il rencontre des membres de l’association des Médecins aux pieds nus qui lui propose une mission humanitaire de quelques mois au Guatemala.
Non loin de Timisoara, ne parlant pas la langue, sans GPS ni panneaux routiers, il distribue sa précieuse cargaison aux centres de santé démunis, tout au long de cet été qui voit poindre en Roumanie l’espoir d’une prochaine récolte. Conforté dans ses choix et plus que jamais engagé, le jeune étudiant poursuit sa quête de connaissances des plantes et intègre la première promotion mise en place par l’Association pour le renouveau de l’herboristerie à Paris. Au cours d’un stage dans le Sud de la France, il rencontre des membres de l’association des Médecins aux pieds nus qui lui propose une mission humanitaire de quelques mois au Guatemala.
Jean-Pierre Nicolas, anthropologue, ethnobotaniste et ethnopharmacologue (photo : T. Ruellan).
Au Guatemala s’affirme la vocation
C’est sur le continent sud-américain qu’il découvre sa véritable vocation. Dans un pays en guerre, sujet à de nombreuses maladies dont le choléra, il improvise une intervention d’ethno botanique appliquée auprès d’une population indigène qu’il découvre et qui le ravit, les Mayas K’iché :
« En recherchant les problématiques de santé auxquelles ces gens étaient confrontés, nous proposions des réponses locales pouvant être apportées. Tandis que je recensais les usages des différentes plantes, les maladies qu’elles pouvaient guérir, je découvrais en même temps que ce peuple maya avait conservé et développé un savoir original en matière de santé. »Comme le veut la tradition, chacune des maisons dispose d’un temascal, véritable bain de vapeur, dans lequel la famille effectue des soins préventifs et curatifs :
« Des massages, réalisés avec des plantes aromatiques, notamment sur les femmes enceintes, attestent de la richesse de cette médecine. La conception médicale k’iché fait intervenir tous les éléments de l’environnement comme facteurs pathogènes mais aussi comme facteurs bénéfiques pour la santé. »
Enquête ethnobotanique au Tibet (photo : JP Nicolas).
Soutenir les populations sans accès aux médicaments
L’expérience au Guatemala a totalement séduit Jean-Pierre. Ce qu’il vient de vivre s’ancre au plus profond de ses convictions. Devenu résolument subversif, il crée l’association Arrée K’iché :
Il collabore à la mise en place d’un diplôme universitaire d’ethnobotanique appliquée et de la formation en ethnopharmacologie appliquée à la Société française d’ethnopharmacologie de Metz. Qualifié aux fonctions de maître de conférences dans la section des sciences biologiques pharmaceutiques, il ne cessera plus alors de partager ses connaissances dans les domaines de la médecine humanitaire et des plantes, auprès des universités, de l’industrie et du monde associatif.
« Les plantes soignent, c’est un fait scientifique, affirme-t-il avec force. Je souhaitais soutenir les populations qui n’ont pas accès aux médicaments en utilisant les ressources locales, dûment certifiées d’un point de vue scientifique. Elles ont oublié ces savoirs, ont perdu la confiance en elles, en leur culture parce qu’elles vivent dans un environnement déstructuré, par la guerre entre autres… Elles ne passent donc pas à l’action pour se soigner. »De retour en Bretagne en août 1992, il partage ce vécu dans un article qui paraît dans la revue de l’herboriste. L’écrit est repéré par une enseignante qui d’emblée lui propose un poste d’ethno botaniste à l’université de Lille tout en l’incitant à soutenir une thèse à la Sorbonne à Paris. Jean-Pierre retourne plusieurs mois au Guatemala pour étayer ses hypothèses. La reconnaissance de son travail est finalement actée par les pairs : « Pharmacopée traditionnelle des Mayas K’iché : étude ethnopharmacologique et système de classification indigène ».
Il collabore à la mise en place d’un diplôme universitaire d’ethnobotanique appliquée et de la formation en ethnopharmacologie appliquée à la Société française d’ethnopharmacologie de Metz. Qualifié aux fonctions de maître de conférences dans la section des sciences biologiques pharmaceutiques, il ne cessera plus alors de partager ses connaissances dans les domaines de la médecine humanitaire et des plantes, auprès des universités, de l’industrie et du monde associatif.
Discussion dans un jardin du Guatemala (photo : JP Nicolas).
Établir avec la population un protocole de santé local
La démarche est toujours la même. Jean-Pierre intervient à la demande de la population, une coopérative, une association, un collectif paysan, une organisation locale de praticiens, un groupe de sages-femmes, une université, l’évêché ou une communauté religieuse :
« On se rencontre, on discute… On n’est pas là pour imposer un modèle ! On identifie le problème, je m’engage à partager les informations. Vos secrets, vous les gardez ! Nous recherchons ensemble la solution en discutant notamment avec des anciens, surtout des femmes, les tradipraticiens comme les guérisseurs. J’identifie les plantes d’un point de vue botanique. De retour aux laboratoires de la faculté de pharmacie de Lille, je vérifie la toxicologie des plantes recensées, j’analyse leur activité, j’évalue les doses à prescrire, je m’assure que les utilisations traditionnelles qui sont faites de ces plantes sont fondées scientifiquement. J’étudie les bases de données bibliographiques disponibles au niveau mondial, je rédige une fiche monographique par plante afin de la décrire, présenter son utilisation en médecine traditionnelle, fournir des informations scientifiques. Je spécifie aussi les limites de la thérapie par cette plante. Au final, je m’engage à restituer un document de synthèse qui est un protocole de santé local. »
Disposer des plantes à proximité
Alors, un jardin voit le jour. Y sont rassemblées et cultivées les espèces locales de plantes bénéfiques. Les membres de communautés doivent pouvoir à tout moment disposer des plantes à proximité pour soigner les pathologies les plus simples comme les rhumes, les diarrhées, les conjonctivites, les inflammations, les affections respiratoires ou les dermatoses... Ensemble, on examine les techniques de compostage, de maîtrise de l'érosion des sols ou de reforestation. Jean-Pierre assure la formation des agents de santé pour animer et faire vivre l’espace végétal :
« Ce sont généralement les mères de famille des villages qui s’occupent des jardins… Il faut que les populations se réapproprient ces savoirs qu’ils connaissent et prennent en compte tout leur environnement. Ce n’est pas que le soin, c’est aussi la manière de vivre et la prévention. On ne peut pas parler de diarrhée sans évoquer la qualité de l’eau, la nécessite de l’hygiène, le lavage des mains… »
Implantation du premier jardin à Chinique au Guatemala (photo : JP Nicolas).
Des jardins aux quatre coins de la planète
Les graines semées par Jean-Pierre font le tour du globe. L'ethno botaniste est bientôt sollicité au Honduras. Il va y travailler en alternance durant une dizaine d’années, formant sans relâche des équipes sur place, proposant des stages à ses étudiants de Lille. Les demandes s’enchaînent. Sollicité par les populations, il intervient durant une quinzaine d’années au Burkina Faso et à Madagascar, et aussi Espagne, Tibet, Mongolie, Bhoutan, Sibérie, Équateur, Chili, Balkans, Caucase…
Jean-Pierre intervient toujours en lien avec les universités locales et les directions régionales de la santé. Un contrat, signé avec le ministère, autorise son intervention. Il n’est pas rare qu’on lui propose de former également médecins et personnel de santé à la connaissance de la médecine traditionnelle. Quelque quatre cents jardins pilotes et communautaires ont ainsi vu le jour. Jean-Pierre assure la présidence de l’association jusqu’en 2018 :
Jean-Pierre intervient toujours en lien avec les universités locales et les directions régionales de la santé. Un contrat, signé avec le ministère, autorise son intervention. Il n’est pas rare qu’on lui propose de former également médecins et personnel de santé à la connaissance de la médecine traditionnelle. Quelque quatre cents jardins pilotes et communautaires ont ainsi vu le jour. Jean-Pierre assure la présidence de l’association jusqu’en 2018 :
"Son fonctionnement et ses nouvelles orientations ne correspondaient plus, ni à mes valeurs, ni à mon éthique... Alors, j'ai choisi de la quitter."Depuis plusieurs années, il forme de nombreux groupes à la botanique, la pharmacognosie, aux techniques de l’herboristerie. Il a organisé le jardin de plantes médicinales de l’abbaye de Daoulas, collaboré avec le jardin botanique de la ville de Moscou, offert sans compter ses précieux conseils en matière d’ethnobotanique auprès de nombreux jardins et autres projets alternatifs. Et l’on en finit pas de citer ses multiples et riches interventions sur les thèmes de l’anthropologie médicale à la faculté de médecine de Brest, devenu expert dans les domaines de l’anthropologie, de la nutrition et des plantes textiles auprès du Fonds de dotations Explore, consultant auprès de diverses structures nationales et internationales…
Formation auprès des agents de santé Diego II Madagascar (photo : JP Nicolas).
Bénévole des pathologies « non solvables »
Aujourd’hui, tandis que l’heure de la retraite progressive sonne, Jean-Pierre fait les comptes :
« J’ai souvent été suspecté de gagner beaucoup d’argent mais je suis toujours intervenu bénévolement ! J’ai toujours refusé les postes fixes, attribués à vie, pour pouvoir librement retourner sur le terrain. L’usage des plantes fait fantasmer mais les plantes, il y en a partout, elles sont une ressource naturelle. Le problème c’est ce que l’on en fait et l’économie que génère leur transformation… J’ai toujours travaillé sur les pathologies dites « non solvables », les maladies parasitaires comme le paludisme, celles pour lesquelles il n’y pas de marché car les personnes malades sont pauvres… Et librement : s’il y a désaccord, pression quelconque ou atteinte aux droits humains… je quitte le pays. »En 2004, reconnu comme ethnobotaniste de référence, il reçoit le prix ClarinsMen Environnement pour l’ensemble de ses actions et intègre l’équipe de recherche des laboratoires Clarins en qualité d’ethnobotaniste. Il collabore aux recherches du département de pharmacognosie de la faculté de pharmacie de Liège où il présente régulièrement des conférences. Il est reconnu expert auprès du Fonds de la recherche scientifique de Belgique dans le domaine des plantes médicinales, de l’ethnobotanique et des pharmacopées traditionnelles.
Connaissances en partage et en libre accès
Aujourd’hui ? Il travaille ardemment pour un projet qui lui tient à cœur depuis longtemps : mettre en partage toutes ses connaissances, acquises durant ces longues années, sur un site internet, accessible à tous : ethnobotanika :
Texte : Tugdual Ruellan.
« Je souhaite diffuser des informations à caractère scientifique sur l’usage des plantes. Ce site s’adresse à tous les passionnés de nature, de peuples et de cultures. On y trouvera des documents scientifiques en libre accès à télécharger. L'avenir est dans le partage des savoirs pour rendre les gens autonomes et responsables. Nous avons oublié en France que nous bénéficions d’un système de sécurité sociale, construit grâce à la ténacité de nos anciens, mais qui nous a plongés dans la surconsommation et la dépendance au médicament. J’interviens dans des pays où il n’existe pas de tels systèmes.
J’avoue être inquiet face à l’évolution climatique et la destruction massive de la biodiversité qui risque de priver à nouveau les populations de leurs richesses naturelles. Il est urgent d’agir, d’éviter de manger chimique, d’équilibrer son alimentation, de veiller à son hygiène, de cesser les importations catastrophiques comme celle du soja transgénique. La meilleure façon de se soigner n’est-elle pas de ne pas tomber malade… Et pour cela, il faut d’abord soigner la terre. »
Texte : Tugdual Ruellan.