Novembre 2010, aéroport de Nantes. Une jeune femme semble perdue, cherchant comment rejoindre son hôtel. Elle arrive du "Royaume des Oliviers", la ville d'El Kelâa des Sraghna, à une heure de Marrakech, où son père tient un commerce et sa mère le foyer familial, comme bien des Marocaines. Elle croise un compatriote qui lui apporte son aide. Enfin, elle peut rejoindre Rennes, sa destination, sa destinée. Au sein de l'université de Rennes 1, Souad Lagmiri, ingénieur en écologie, va se bâtir un avenir franco-marocain au service du développement rural des deux pays.
« Ça a été difficile au début ! », sourit-elle trois ans plus tard. « Avec les papiers à faire et tout le reste, j'ai raté un trimestre, je suis arrivée pile-poil au moment des examens. Mais j'ai dit à tous : "Il est hors de question que je redouble". » Et ce malgré aussi de sérieuses lacunes en français. Mais sous la douceur, Souad cache un tempérament résolu et une fraîche ambition.
« J'aime aller vers les autres »
Les premiers temps ne se passent pas au mieux. Eux-mêmes stressés et sujets à l'esprit de compétition qui règne chez beaucoup d'étudiants, ses collègues du Master 2 "Aménagement des Espaces Ruraux et Péri-Urbanisation" ne l'aident guère. « Ça me touchait, j'en avais les larmes aux yeux. » Mais elle s'accroche et, dès le printemps, trouve son bonheur à la Station Biologique de Paimpont, une antenne de terrain de l'université rennaise créée en forêt de Brocéliande à la veille de 1968, où étudiants et chercheurs peuvent observer de riches écosystèmes mais aussi rencontrer des territoires et leurs habitants.
Le directeur lui demande d'étudier l'évolution des communes entourant la station. Voilà qui s'appelle viser juste. Le directeur, les profs et son correspondant universitaire, un sociologue baroudeur de l'éducation populaire et du développement local vont même devoir suivre désormais le rythme de l'étudiante marocaine.
Souad, en avril 2011, part au contact des habitants et elle aime ça. « J'aime aller vers les autres ». En l'envoyant sur le terrain, ses profs français renforcent une démarche qu'elle a fait sienne un an plus tôt pendant son stage de fin d'études d'ingénieure au Parc National de Souss Massa : « J'étais en contact avec une ingénieure en écologie ; elle parlait avec les gens de leurs activités génératrices de revenus apportées par le tourisme : j'ai compris que le développement passe par les habitants. »
Le directeur lui demande d'étudier l'évolution des communes entourant la station. Voilà qui s'appelle viser juste. Le directeur, les profs et son correspondant universitaire, un sociologue baroudeur de l'éducation populaire et du développement local vont même devoir suivre désormais le rythme de l'étudiante marocaine.
Souad, en avril 2011, part au contact des habitants et elle aime ça. « J'aime aller vers les autres ». En l'envoyant sur le terrain, ses profs français renforcent une démarche qu'elle a fait sienne un an plus tôt pendant son stage de fin d'études d'ingénieure au Parc National de Souss Massa : « J'étais en contact avec une ingénieure en écologie ; elle parlait avec les gens de leurs activités génératrices de revenus apportées par le tourisme : j'ai compris que le développement passe par les habitants. »
« Je suis même repartie avec un panier de fraises ! »
Voilà donc la jeune maghrébine s'en allant frapper aux portes paysannes. « "Bonjour, je suis étudiante, je réalise une étude, vous auriez un peu de temps pour une interview ?" Des gens refusent, d'autres acceptent chaleureusement. Je suis même repartie parfois avec un panier de fraises ! Les gens sont plutôt charmés par les étrangers... »
Avec les élus, qui ont parfois du mal à suivre son esprit foisonnant, elle parle du passé, du présent, du futur, des potentialités de la commune, de leurs souhaits pour l'avenir. De retour à la Station, elle réécoute ses interviewes et rédige des rapports avec l'aide du dictionnaire : le français garde pour elle quelques mystères.
Au début de l'été, Souad se retrouve en réunion avec son tuteur et une dizaine d'élus. L'un dit : « C'est la première fois qu'on fait ce travail ! » Le tuteur : « Si vous trouvez que c'est intéressant, demandez à Souad de continuer ! » « Les maires ont dit : "il faut expérimenter ça avec les conseillers municipaux ", poursuit-elle, ils étaient enthousiasmés. » Un maire glisse, avec une pointe de malice : « Ça va être drôle, "c'est quoi cette Marocaine qui vient faire du développement chez nous ?"»
Avec les élus, qui ont parfois du mal à suivre son esprit foisonnant, elle parle du passé, du présent, du futur, des potentialités de la commune, de leurs souhaits pour l'avenir. De retour à la Station, elle réécoute ses interviewes et rédige des rapports avec l'aide du dictionnaire : le français garde pour elle quelques mystères.
Au début de l'été, Souad se retrouve en réunion avec son tuteur et une dizaine d'élus. L'un dit : « C'est la première fois qu'on fait ce travail ! » Le tuteur : « Si vous trouvez que c'est intéressant, demandez à Souad de continuer ! » « Les maires ont dit : "il faut expérimenter ça avec les conseillers municipaux ", poursuit-elle, ils étaient enthousiasmés. » Un maire glisse, avec une pointe de malice : « Ça va être drôle, "c'est quoi cette Marocaine qui vient faire du développement chez nous ?"»
« Je m'étais toujours dit : "Je trouverai un travail, dès la fin de la formation" »
Trois communes se lancent avec Souad Lagmiri dans ce qu'elle appelle la « prospective participative » : Gaël, Muel et Concoret. En gros, ensemble, 3 500 habitants. Trois communes qui refusent de voir leur avenir bloqué par le monstre d'ordures ménagères que leur imposent, comme raconté ici il y a un an, soixante-deux communes environnantes. En septembre 2011, moins d'un an après son arrivée, Souad soutient son mémoire de Master 2 et présente un avant projet aux élus un brin scotchés.
À ce moment-là, l'ingénieure en écologie marocaine entame pour de bon son second métier : aménageuse des espaces ruraux. Mais il lui faut un contrat. L'association d'éducation populaire Études et Chantiers l'embauche en service civique. Puis ce sera un CDD... puis un CDI. Et le titre de séjour. « Je m'étais toujours dit : "Je trouverai un travail, dès la fin de la formation". » Les financements, pour son poste et pour les actions ? Elle les trouve. Comment une Marocaine peut-elle ainsi se faufiler avec succès dans la jungle administrative française ? Allez savoir...
À ce moment-là, l'ingénieure en écologie marocaine entame pour de bon son second métier : aménageuse des espaces ruraux. Mais il lui faut un contrat. L'association d'éducation populaire Études et Chantiers l'embauche en service civique. Puis ce sera un CDD... puis un CDI. Et le titre de séjour. « Je m'étais toujours dit : "Je trouverai un travail, dès la fin de la formation". » Les financements, pour son poste et pour les actions ? Elle les trouve. Comment une Marocaine peut-elle ainsi se faufiler avec succès dans la jungle administrative française ? Allez savoir...
« Je dépose les dossiers de main à main, observe-t-elle, et j'intéresse les financeurs à la démarche : s'appuyer sur les forces vives ; mettre au point de vrais scénarios d'évolution avec un ensemble de plans d'action ; accompagner la réalisation par les gens eux-mêmes : on peut faire beaucoup d'actions avec peu de moyens »
Un trophée et un modèle pour d'autres
C'est ainsi que chaque mercredi, un marché paysan tourne désormais sur les trois communes. Ont été lancés aussi : une étude historique pour valoriser le site de Point Clos ; l'aménagement d'un chemin de randonnée entre les trois communes ; la réhabilitation d'un site écologique ; le recensement du petit patrimoine (lavoirs, fours, fontaines...) Au total, sept opérations ainsi orchestrées : à la tête un comité de pilotage, en dessous un comité de coordination, à la base les groupes d'action.
Cet "Atelier de campagne", qui projette les trois communes à l'horizon 2030, fonctionne si bien qu'il a reçu en septembre le Trophée breton du Développement Durable catégorie "Imaginer l'avenir" (voir la vidéo ci-dessous). Et il fait des petits. Trois communes du Morbihan se sont lancées, l'AFIP (Association de Formation et d’Information Pour le développement d’initiatives rurales) de Basse-Normandie a pris contact. Une coopération se met en place entre les trois. Des basques aussi sont intéressés.
Cet "Atelier de campagne", qui projette les trois communes à l'horizon 2030, fonctionne si bien qu'il a reçu en septembre le Trophée breton du Développement Durable catégorie "Imaginer l'avenir" (voir la vidéo ci-dessous). Et il fait des petits. Trois communes du Morbihan se sont lancées, l'AFIP (Association de Formation et d’Information Pour le développement d’initiatives rurales) de Basse-Normandie a pris contact. Une coopération se met en place entre les trois. Des basques aussi sont intéressés.
« Le Maroc ne sait pas profiter de ses cerveaux. »
Et puis, il y a le Maroc. Une idée d'Études et Chantiers. Une coopération s'est nouée avec une association de développement rural et social du Moyen Atlas, Yannor à Khenifra. Objectif : former des animateurs du milieu rural. Le 28 septembre, le lendemain de la remise du Trophée, Souad est partie là-bas, à Boufekrane, pour une journée de travail. Puis elle a repris ici ses multiples études et chantiers.
Mais n'est-ce pas au Maroc qu'elle est la plus utile ? « Je trouve ma place ici et au Maroc ; le mieux c'est d'être à cheval sur les deux pays. » Goûter à la vie sociale de là-bas et à l'efficacité d'ici, au soleil du désert et à la verdure bretonne. C'est clair : un jour, elle aura la nationalité française, deux nationalités. Elle sera franco-marocaine.
Mais n'est-ce pas au Maroc qu'elle est la plus utile ? « Je trouve ma place ici et au Maroc ; le mieux c'est d'être à cheval sur les deux pays. » Goûter à la vie sociale de là-bas et à l'efficacité d'ici, au soleil du désert et à la verdure bretonne. C'est clair : un jour, elle aura la nationalité française, deux nationalités. Elle sera franco-marocaine.
« Bien sûr, ajoute-t-telle, on souhaite toujours être auprès de nos familles mais au Maroc, on m'ignore, je suis quantité négligeable. Une amie est revenue au Maroc, elle a cherché du travail, au bout d'un an elle est partie en Ukraine. Le Maroc ne sait pas profiter de ses cerveaux. » Quand on connaît Souad, voilà bien une bêtise royale.
Michel Rouger
Michel Rouger