20221006 1. A l'aéroport de Roissy.mp3 (5.81 Mo)
Durant six semaines cet été, Jean-Luc Bansard, le directeur du Théâtre du Tiroir à Laval, a vécu auprès des Palestiniens de Cisjordanie, montant avec des acteurs palestiniens et présentant de théâtre en théâtre "La République des enfants du Dr Korczak" et le « Petit chaperon rouge » de Jean-Claude Grumberg. Deux pièces où l'histoire tragique des Juifs rejoint celle, aujourd'hui, des Palestiniens. De ses journées là-bas, Jean-Luc Bansard, dont on peut retrouver le portrait publié sur ce site en 2013, et qui est lié au peuple palestinien par une grande amitié artistique et politique, a écrit ce "Carnet de voyage théâtral en Palestine" que nous lui avons proposé de publier.
Fresque sur le mur séparant Israël et la Cisjordanie - © CC BY-NC 2.0
N° 1 – A l’aéroport de Roissy
Quelques heures plus tôt...
A Roissy, au moment d’enregistrer mes bagages, je suis déjà en Israël. La sécurité israélienne m’a interrogé trois fois avant de m’autoriser à présenter mes bagages à l’enregistrement. Les mêmes questions posées par trois agents différents.
Vous venez pour la première fois ?
Qui a préparé vos bagages ?
Quand ?
Qui a eu accès à vos bagages depuis votre domicile ?
Où allez-vous en Israël ? (Ils ne vous parleront pas de la Palestine)
Irez-vous à Jérusalem ?
À Bethléem ?
Qui connaissez-vous ici ?
Qui vous invite?
Êtes-vous allé en Iran, Syrie, Liban, Maghreb
ou autres pays arabes ?
Si oui, pourquoi ? Avec qui ?
Qui connaissez-vous ?
Pourquoi venez-vous ? Combien de temps ?
Où irez-vous exactement ?
Où dormirez-vous ce soir ? Et demain ?
Le même agent m’a posé la même question de trois façons différentes.
Ce sont de vrais psychologues… ils cherchent les mensonges, les hésitations.
Mon discours a été le suivant.
« Je viens rencontrer l’association israélienne Janusz Korczack.
- Qui est-ce ? C’est un juif? Il habite où ?
- Ah... il est mort à Treblinka.
- Quelles personnes verrez-vous ?
- Madame Batia Gilad, présidente de cette association et Monsieur Avi Tsur, professeur d’université, tous les deux membres de l’association Janusz Korczack International.
- Qu’allez-vous faire avec eux ?
- Visiter tous les endroits où Korczack est allé en Palestine.
- En Palestine ? (Stupeur dans le regard de l’interrogateur)
- Oui, le 24 juillet 1934, en particulier dans la région et le kibboutz de Ein Harod, les villages qu’il a visités l’été 1936. Tous ces endroits dont il a parlé dans ses conférences en 1935 et 1936.
- Ah oui, je comprends. On n’appelait pas encore cette terre « Israël ». C’était avant 1948 ! Vous êtes historien ?
- Non, comédien. Je raconte la vie de Korczak en France et vient la raconter en Israël.
- Comment dites-vous, Batia Gilad ? ( et il part vérifier) A quel hôtel descendez-vous ?
- Je suis invité, ils ont réservé un hôtel pour moi près de chez eux…ils me diront lequel.
- Vous les connaissez bien ?
. Non, seulement par internet et par l’association internationale Janusz Korczak dont Madame Batia Gilad est présidente.
- Et Monsieur Avi Tsur ?
- Il a fait des conférences en Suisse et il s’occupe de pédagogie et des Droits des Enfants… je vais le rencontrer pour la première fois.
- Et à Bethléem ?
- J’irai voir l’église de la Nativité.
- Qui connaissez-vous là-bas ?
- Le docteur Abu Srour qui a créé un centre pour enfants. Comme le Dr Korczack en Pologne, le Dr Abu Srour y défend le droit des enfants selon la convention internationale de 1989.
- Vous irez le voir ?
- Oui, probablement.
- Il vous attend ?
- Non, je l’ai prévenu que je passerai mais sans dire quand.
- Vous avez des relations régulières avec lui ?
- Oui, par internet
- Vous parlez de quoi ?
- Des Droits des Enfants…
- Vous l’avez vu souvent durant les autres voyages ?
- Oui, à chaque fois.
- Comment l’avez vous rencontré ?
- Il a fait une conférence en France. J’avais pris ses coordonnées à Bethléem.
Toutes ces questions m’ont été posées trois fois, par deux hommes et une femme. Ils se concertaient et revenaient demander sans arrêt une précision, un nom, une adresse, une date…
Puis ils ont fouillé mes bagages. Ils ont tout sorti, passé au radar les chemises une par une et la poignée de la valise, tout mis sans dessus dessous, ouvert mes livres et mon ordinateur. Cela a duré 1 heure 30. J’ai été contrôlé par cinq agents, les laissant croire combien je comprenais la nécessité des contrôles mais …. toujours avec le sourire.
Point de passage obligé, ce fut mon premier Check Point. En Israël ?… Non, en France …!
Je rencontre trois israéliens ce lundi 8 août 2022 : à 11 heures, Igal Ezraty, directeur du théâtre arabo-hébreu de Yaffo, puis à 14 heures, Avi Tsur, membre de l’association Korczak International, professeur d’université à Tel Aviv et enfin, à 19 heures, Mohamed Babay, palestinien d’Israël, réalisateur de cinéma.
À suivre…
Jean-Luc Bansard, le Palestinien de 1948.
20221006 2. Au camp de réfugiés.mp3 (4.79 Mo)
N° 2 – Au camp de réfugiés…
En Palestine, à chaque coin de rue, s’affichent des photos, des stèles, des fleurs, des lumières permanentes en l’honneur des résistants qui ont perdu la vie au combat lors des incursions illégales de l’armée d’occupation sur ces territoires protégés officiellement par l’ONU. C’est ce qui m’accompagne lorsque je parcours le camp de réfugiés.
Chaque jour, la température est plus chaude que jamais, aucun répit durant les nuits. Le chant nocturne d’appel aux fidèles à la prière à 4 heures du matin est l’heure où je quitte ma chambre pour marcher dans les ruelles étroites et profiter, pendant une heure ou deux, d’une très relative fraîcheur. Au camp, l’électricité est payée par l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency for palestine refugees in the new east), organisme des Nations Unis qui n’a pas réussi en 74 ans à imposer à Israël le droit légitime des Palestiniens à rentrer chez eux. Les climatiseurs fleurissent et ronflent toutes les nuits dans les maisons surpeuplées. À la chaleur s’ajoute le bruit.
Il y a quelques jours, j’ai été invité à une fête géante, uniquement masculine, en l’honneur de l’entrée à l’université d’un étudiant. 400 à 500 personnes sont venues danser et manger aux frais des parents. Ils étaient fiers d’offrir ce cadeau célébrant l’importance de l’éducation, l’arme choisie par tous pour lutter contre l’occupation : un peuple éduqué et éclairé ne peut subir à vie l’apartheid. Au milieu des danseurs et chanteurs, deux ou trois combattants en armes tiraient des balles vers le ciel…. A suivi un feu d’artifice. J’ai partagé ce repas populaire et généreux. Mais que d’argent dépensé ! Je n’en croyais pas mes yeux.
Au théâtre de la LIBERTÉ du camp de Jenine, quatre étudiants et quatre étudiantes suivent depuis une semaine mon cours de théâtre avec l’ambition d’adapter à la situation palestinienne la pièce de Jean-Claude Grumberg « LE PETIT CHAPERON Uf ». De Juif, le Chaperon devient Palestinien et d’Allemand le loup devient l’occupant.
Création prévue le 4 septembre si …
Si l’électricité n’est pas coupée trop souvent comme elle l’est plusieurs heures chaque jour actuellement.
Si l’armée d’occupation ne provoque pas une nouvelle incursion pour tuer une autre journaliste internationale…
Si…
Malgré tout, la vie est trépidante ici et se dévoile lors des longues soirées où les familles vont profiter d’une glace, d’une fumée de Chicha parfumée, se promener, femmes et hommes mélangés, sur les boulevards où les statues des combattants armés s’affichent sur les murs.. Tous les commerces sont ouverts malgré les prix élevés alors que le niveau de vie est très bas. Beaucoup vivent de débrouilles quand d’autres roulent en belles voitures. Leur nombre est ahurissant. Les klaxons n’arrêtent pas, sans raisons me semble-t-il, si ce n’est de se saluer …
Mes huit étudiants en théâtre préparent tous un diplôme universitaire (ingénieur informatique, infirmière, communication…).L’une d’entre elles est palestinienne, citoyenne d’Israël. Elle vient de Nazareth et doit subir tous les jours le passage aux Checkpoints pour nous rejoindre.
Elle me semble beaucoup plus épanouie que ceux qui n’ont vécu qu’au camp de réfugiés. Les traumatismes d’une enfance recluse se constatent dans le quotidien…
Pour l’heure, faute d’apprendre l’arabe, je recherche chaque jour en urgence de bons traducteurs d’arabe pour offrir aux spectateurs de « LA RÉPUBLIQUE DES ENFANTS DU DR KORCZAK » une traduction compréhensible par toutes et tous…L’arabe est une langue subtile.
Une polémique a surgi dès mon arrivée quand les directeurs des théâtres palestiniens ont compris que je racontais l’histoire d’un juif assassiné par les nazis, Il m’a fallu déminer : Korczak a refusé de s’installer en Palestine et j’ai pu affirmer ainsi qu’il n’était pas sioniste. Ayed Abu Eqaish, le directeur général de Défense des Enfants International Palestine a alors accepté d’animer les débats qui suivront les représentations. « Les Droits des Enfants » est redevenu le vrai sujet et non la question juive : les meurtres d’enfants à Gaza et à Naplouse, les traumatismes liés à l’occupation, les locaux de l’ONG Défense des Enfants International, jugée terroriste par l’occupant, détruits il y a deux jours à Ramallah, seront au bord de toutes les lèvres… Chaque famille ici a vu un de ses enfants mis en prison sans raison…
La tâche est immense.
À suivre
PS Pas de nouvelles de ma proposition de jouer Korczak dans un théâtre arabe en Israël… j’en suis plutôt content car j’aurai le sentiment de collaborer avec l’occupant. Le théâtre arabe de Jaffa est géré par des israéliens dont je n’ai pas compris la position vis-à-vis de l’occupation.
20221006 3. Hier au soir, je me suis plongé dans l'abîme.mp3 (5.39 Mo)
N°3. Hier soir, je me suis plongé dans l'abîme
Vendredi, c’est dimanche ici. Repos.
J’ai vécu ces deux jours deux événements si différents mais qui commencent de la même manière : l’évocation des martyrs.
Il est 22h30, à l’arrière du Théâtre de la Liberté, sur la terrasse, je viens chercher la fraîcheur d’une légère brise. Je découvre accrochées au mur les photos grand format de quatre très jeunes garçons tués récemment par les israéliens, non loin du carrefour où un de leurs tireurs d’élite a abattu le 11 mai 2022, de sang-froid, la journaliste Shereen Abu Akley.
Vendredi, c’était les funérailles publiques pour ces garçons et sept autres jeunes hommes tués récemment. Des funérailles « sans corps ». Pourquoi? L’armée israélienne, non contente de tuer, confisque les corps pour punir les familles en les privant de sépultures. Pour signifier l’absence des corps emprisonnés, on a placé sur le cercueil vide des vêtements ayant appartenu aux chers disparus.
Devant les onze cercueils, 700 à 800 personnes se recueillent au milieu d’une cinquantaine d’hommes cagoulés levant haut leurs armes près des photos brandies de ces enfants, au plein cœur du camp de Jenine. Ils honorent ceux qu’on appelle ici « CHUHADA », les martyrs. Les mères pleurent leur fils. Les enfants, leurs pères ou leurs frères. Cette cérémonie appelée « funérailles » est destinée à soutenir les familles endeuillés: toute la population du camp est là ou a envoyé un représentant…
Chacun se fait prendre en photo une arme en main, comme pour sceller - (j’interprète)- ainsi une promesse de vengeance… Terrible soirée. Je suis horrifié.
Les Israéliens emprisonnent même les corps des morts.
Faut-il écrire à présent les Droits des Hommes morts !Comment ne pas compatir avec ces mères et ces veuves…? Comment ne pas être en colère devant tant d’absence d’humanité ?
"Celui qui lutte contre les monstres doit veiller à ne pas le devenir lui-même. Et quand ton regard pénètre longtemps au fond d'un abîme, l'abîme, lui aussi, pénètre en toi." (Friedrich Wilhelm Nietzsche)
Hier soir, je me suis senti plonger dans l’abime.
J’ai pensé à GHANDI… à son combat par la non violence. J’ai pensé à Einstein affolé d’avoir contribué à fabriquer Hiroshima et Naghasaki.
J’ai pensé au Dr Abdelfattah Abusrour et sa belle résistance par la culture dans le camp de réfugiés Aïda de BETHLÉEM.
J’ai pensé au poète Ghassan Kanafani, assassiné par les services secrets israéliens, devant ses enfants et sa femme, il y a 50 ans, à Beyrouth.
J’ai pensé à la grande force du théâtre et aussi à sa faiblesse.
J’ai pleuré.
Aujourd’hui, samedi, je suis invité à Rammalah au théâtre Alkassabah, créé par l’acteur George Ibrahim que j’ai pu saluer en lui rappelant notre rencontre commune avec le poète Mahmoud Darwich en 2005.
Là se tient le premier festival de théâtre universitaire de Palestine. Au programme, quatre pièces écrites et jouées par les étudiants des universités de Ramalah, Jérusalem, Bethléem et Jénine.
Le festival commence par une minute de silence. Le présentateur demande à la salle comble de se lever et d’honorer les « Chuhadas » avant d’entonner l’hymne national palestinien.
La troupe de Jénine remporte quatre trophées sur cinq. Première reconnaissance théâtrale pour mes stagiaires du mois d’août par un jury de grands comédiens palestiniens. Ils sont fiers et je suis fier d’eux.
La fête du théâtre l’a emporté sur l’attrait des armes.
Je l’affirme : rien ne pourra éteindre la flamme de vie puissante et la résistance sous toutes ses forces, du peuple palestinien qui subit l’apartheid quotidien et les deuils sans trêve.
Je suis perturbé par une si grande présence de leurs morts. À tout moment, en réel ou en pensées..
Au cœur du conflit, mon sentiment n’est plus le même que devant mon écran en Europe… ici, je frémis.
J’ai commencé à comprendre, tard hier soir, ce que vivent au quotidien les palestiniens, et ce, dans toutes les familles - SANS EXCEPTION - en écoutant Adnan, le technicien du théâtre de la Liberté qui travaille quotidiennement avec moi, me raconter l’histoire de sa famille réfugiée à Jénine depuis 1948… Tout simplement inimaginable pour un européen vivant en paix en France comme moi. Je vous raconte prochainement.
Ghassan Kanafani, le poète, journaliste et leader politique du FPLP (Front Populaire de Libération de Palestine) dont j’ai mis en scène la nouvelle « RETOUR À HAÏFA » en 2004, disait que son « unique arme (était) son stylo à plume ».
Je suis convaincu ce soir que l’éducation et le théâtre sont quelques-unes des voix nécessaires pour mettre fin à « l’apartheid et à l’occupation ».
Je sais ce soir pourquoi je suis venu combattre avec, non pas un stylo, mais avec mes masques de la commedia dell’ arte, aux côtés des artistes et des étudiants palestiniens.
20221006 4. Au théâtre de la Liberté le bien nommé Freedom Theatre.mp3 (9.49 Mo)
N°4. Au Théâtre de la Liberté, le bien nommé Freedom Theatre
30 août 2022
9 h 30, le soleil frappe déjà très fort.
Presque qu’aussi fort que le fit durant deux heures, pendant la nuit, l’armée israélienne qui a engagée « une action » dans le camp.
C’est ainsi qu’on dénomme ici les attaques israéliennes.
Un à un, mes étudiants de théâtre arrivent, à l’heure ou non. Pour deux d’entre eux surtout : tout dépend des soldats du checkpoint qu’ils doivent franchir.
Dans les loges du théâtre, ils ne parlent que de cela : à 2 h du matin, l’armée d’occupation a une nouvelle fois violée l’espace du camp de réfugiés, pourtant protégé par l’ONU, pour traquer des terroristes. Ici, on les appelle les Résistants. Les pénétrations fracassantes dans deux familles se sont soldées par l’arrestation de quatre jeunes palestiniens.
La réplique armée des Résistants aura duré jusqu’à 4 h. Les fusillades se sont déplacées de ruelles en ruelles. Cette nuit, lumière éteinte derrière la fenêtre de ma chambre, je distingue les silhouettes sombres de combattants palestiniens venus se cacher. Ils n’ont pas bougé pendant un long temps. Soudain des cris de femmes suivis d’une bruyante cavalcade puis, très au loin, des tirs de Kalachnikov. Un long silence puis une dernière fusillade.
Avant de commencer par un moment de yoga collectif, histoire de se recentrer, les étudiants m’annoncent le bilan de la nuit : deux soldats israéliens ont été touchés au thorax, et quatre Palestiniens faits prisonniers et quelques armes saisies. Sans doute les armes que j’avais vues, il y a quelques jours auparavant aux « Funérailles sans corps » (Cf Carnet N°3).
Dans le camp de Jénine, chacun compte au moins un membre de sa famille dans les prisons israéliennes, un père, un frère, parfois une sœur quand ce n’est pas un jeune mineur.
Adran, le technicien qui m’aide chaque jour, a deux de ses enfants en prison.
« Ainsi va notre vie ici… me dit-il en riant.
- Et tu trouves amusant de rire de ce qui s’est passé cette nuit ?
- Si je devais en pleurer, cela fait longtemps que je serai desséché, faute de larmes… Écoute, ces fusillades, ces arrestations sont si courantes, que je t’avoue que je les ai à peine entendues. J’ai préféré me rendormir… »
***
En 2019, Ahmed Tobassi, directeur artistique de la compagnie Freedom Theatre et Mustapha Chita, directeur administratif m’avaient invité à venir au camp pour diriger une création avec leurs étudiants. Aujourd’hui, j’y suis. Je leur ai proposé d’adapter en arabe la version française du « Petit chaperon rouge » de l’auteur Jean-Claude Grumberg revu par lui sous le nom de « Chaperon UF » aux prises avec un loup allemand nazi . Nous sommes à mi-parcours de la création avec huit étudiants du Freedom Theatre, installée dans le camp de Jénine. Je connais bien la compagnie qui est venue à deux reprises au Théâtre du Tiroir, à Laval. Lors de sa dernière venue, le 1er juin 2022, Ahmed Tobassi y a joué « Et Ici Je Suis », une pièce écrite par un dramaturge palestinien à partir de sa propre vie de réfugié. Enfant, Ahmed lance des pierres contre l’occupant. Il passe un temps dans la résistance armée pour finir, pendant quatre ans, dans les prisons israéliennes.A sa sortie, il rencontre Juliano, un comédien israélien, qui le « convertit » à la résistance culturelle. Juliano avait ouvert un théâtre au cœur du camp. Aujourd’hui, Ahmed a pris la suite. Juliano a été assassiné dans le camp par des inconnus. On n’a pas retrouvé les coupables.
Enfin, j’y suis. Trois actrices et cinq acteurs âgé.e.s de 20 à 21 ans suivent la résidence de création du « Petit chaperon rouge » de Jean-Claude Grumberg à raison de six heures par jour : découverte des personnages de la commedia d’ell Arte, des masques italiens, d’un texte français, du jeu de l’improvisation et des règles précises et dessinées du mouvement des corps sous le masque.
Fort de ce bagage très nouveau pour eux, nous interprétons chaque jour les scènes imaginées par Jean-Claude Grumberg :
- Le loup est très vite associé sans le dire jamais à l’occupant d’aujourd’hui.
- Le Chaperon rouge, devenu UF pour l’occasion, devient le suspect capable de cacher dans son petit pot de beurre tout ce qui est interdit ici en Palestine.
- Sous la galette, y a-t-il une bombe pouvant déclencher un attentat. Tout cela n’est pas dit, mais suggéré par le jeu très visuel des acteurs.
- Comme il cela arrive aux checkpoints israéliens, des femmes commandent de jeunes appelés, ici les Loups sont dirigés par une soldate "caporal Wolf".
- Chez Grumberg, le plus court chemin qui mène à la maison de la grand mère est bien sûr interdit par la Loi au Chaperon UF. Tout comme ici, dans la réalité les routes construites par les colons sionistes sur les terres volées de Cisjordanie sont interdites aux habitants historiques.
Le texte de J.C. Grumberg a déjà tout dit sur la réalité ici : contrôles incessants, apartheid, loi de ségrégation… Je n’ai pas eu beaucoup d’explications à donner pour ce que ce texte soit adopté par actrices et acteurs.
La rencontre avec la Comedia d’ell Arte est sportive : l’engagement extrêmement physique du corps, l’indispensable relation directe avec public, le travail d’équipe intense, un texte français traduit en arabe par Walid, réfugié syrien de Laval, une direction d’acteur en anglais avec traduction improvisée par deux étudiants, c’est un lourd fardeau pour ces huit novices de l’art théâtral. Mais le cœur est là. L’envie aussi. Car leur vie quotidienne est ici contée à travers la poésie, le burlesque, l’humour.
En Palestine, on rit beaucoup. On rit toujours.
***
La mise en scène en théâtre masqué du « Petit chaperon » sera présentée au public du camp le samedi 4 septembre à 18h dans la salle du Freedom Theater. Salle climatisée aux frais de l’UNRWA, car c’est cette agence de l’ONU créé en 1948 pour aider les réfugié.e.s de Palestine qui paye ici l’eau et l’électricité qui alimentent les habitations de fortune du camp. 1948, toiles de tentes provisoires : aujourd’hui, 74 ans après, un amoncellement de construction en béton qui s’élèvent en désordre vers le ciel faute d’espace au sol. Ô surprise, à deux ruelles du théâtre reconstruit deux fois après démolition par l’armée d’occupation, je découvre un semblant de ferme dans le camp : un tracteur aux roues crevées, quinze bottes de paille, un enclos étroit, quelques brebis bêlent au petit matin rappelant au fermier que c’est l’heure du petit déjeuner. Question : où peuvent donc bien paître ces brebis? Elles quittent le camp chaque matin pour gagner un grand terrain vague de la ville de Jénine. Ce terrain vague (chuttt!) est grignoté chaque année mètre par mètre par les réfugiés dont le campement est en limite de location de l’UNRWA… La ville de Jénine, soit ne voit pas ou ne veut pas voir que le camp « s’agrandit » à ses dépens… Chut !!!
Parallèlement à la création avec les étudiants stagiaires, je prépare chaque soir les représentations de « La République des enfants du Docteur Korczak » qui sera présentée dans le même lieu le 7 septembre. Mes préoccupations : l’adaptation technique mais surtout la traduction en arabe pour les surtitrages. Ensuite, ce sera la tournée dans les quatre autres théâtres professionnels que le Théâtre du Tiroir a accueilli régulièrement durant ces 22 dernières années à Laval :
- AL KAWWATI, théâtre national palestinien de Jérusalem
- AshtarThéâtre de Rammalah
- Théâtre Alrowwad du camp de réfugiés Aïda de Bethléem
- Yes Théâtre à Hébron.
***
8 heures du matin, le petit café portatif à l’angle du carrefour. Ils s’arrêtent, ne descendent pas de leur taxi ou services de mini bus, le cafetier a déjà rempli un gobelet carton de son café maison épicé à la cardamome qu’il apporte à la fenêtre ouverte des véhicules contre un shekel israélien…
Les bureaux ou bien magasins voisins du cafetier apportent leurs bouteilles thermos aussitôt remplies et rapportées avec une série de 30 gobelets cartons qui feront la journée…
Les piétons habitués semblent ne pas s’arrêter de marcher, ils ont déjà à la main le gobelet du Petit noir bien chaud. Ils ont à peine posé bien en vue la piécette de 1 shekel qu’ils sont déjà arrivés à leur bureau…
Derrière le petit comptoir bien organisé où le cafetier fait cuire dans une bouilloire son nectar, on trouve 3 ou 4 chaises en plastique.
Assis à l’arrière de ce café portatif, je partage quelques instants. Les conversations des anciens aux larges moustaches ou belles barbes viennent refaire leur monde les en sirotant le premier petit noir du jour.
Il y a aussi la grande théière… bien moins souvent vidée. Au pied du poteau électrique un seau métallique rescapé d’un chantier de bâtiment offre des feuilles de menthe pour agrémenter le thé noir. Chacun va cueillir les feuilles parfumées qui lui conviennent.
Je savoure ce temps suspendu où se succèdent au gré des passants qui semblent tous se connaître les « Salam » et « Salam alaykoum ».
20221006 5. Après les jours de violence des larmes d'espoir.mp3 (10.57 Mo)
N°5. Après les jours de violence, des larmes d'espoir
Un réel bonheur de théâtre masqué et une petite demi-heure de musique improvisée autour d’un piano peuvent-ils effacer quatre nuits d’agressions militaires ?
Un long temps m’est besoin pour reprendre la plume après ces quatre jours intenses où je me suis concentré sur les deux créations théâtrales au cœur de mon voyage.
Intenses car chaque nuit, les forces spéciales et l’armée israéliennes ont attaqué le camp de réfugiés de Jénine pour y faire des prisonniers parmi les résistants.
Chaque nuit, j’ai été réveillé par des fusillades, plus ou moins éloignées de ma chambre, située au centre du camp.
À travers mes deux créations théâtrales, « Le chaperon UF » et La République des enfants du Dr Korczak », je vis au quotidien dans mon corps et mon esprit les profondes tensions qui traversent mes ami.e.s palestinien.ne.s. La plus grande vient de cette haine contre l’occupant, nourrie par les multiples actions contre les 19 camps de réfugiés répartis à travers la Cisjordanie. Actions violentes, meurtrières et incessantes depuis 74 ans : comment peut-on vivre depuis si longtemps dans une telle oppression ?
Le mot « occupant » est trop souvent défini par les jeunes palestinien.ne.s, non pas par « un partisan de la politique sioniste » mais se résume rapidement et à tort par le mot « juif ». Ce n’est pas la définition des Palestinien.ne.s plus âgé.e.s qui ont connu la cohabitation harmonieuse entre personnes juives et personnes arabes. Pour les anciens, que le voisin soit juif n’est pas un problème, c’est bien souvent un ami.
Le problème, c’est la politique de terreur des sionistes qui revendiquent la terre pour eux seuls et considèrent les arabes palestiniens comme indésirables. Il est vrai que la très grande majorité des gens en Israël est sioniste. Ceux qui ne le sont pas ont souvent quitté le pays ou vont le quitter. C’était le cas de mon amie chanteuse et comédienne israélienne Sarah Alexander qui joua le rôle de la « mère juive » dans la pièce tiré de la nouvelle de Ghassan Kanafani, « Retour à Haïfa » que j’ai mise en scène en 2004.
Nombre de Palestiniens prennent la précaution de préciser qu’ils n’en veulent pas « aux juifs » dont certains sont leur amis, mais en veulent aux occupants et colons sionistes, qui veulent retrouver militairement autorité sur le mont Sion et toute la Palestine.
On peut saisir aisément les raisons de cette haine devenue viscérale pour la nouvelle génération. Les jeunes palestiniens, garçons et filles, n’ont rien connu d’autres depuis quatre générations que les militaires israéliens qui ratissent la nuit les camps à la recherche des combattants accusés de « terrorisme ».
Est considéré « terroriste » pour l’Etat israélien, ce garçon de Jénine que je connais, alors âgé de 13 ans et détenu 3 mois en prison pour avoir tendu un drapeau palestinien. Est « terroriste » ce garçon d’Hébron, qui a connu six mois de prison parce qu’il tenait dans ses mains deux œufs qu’il venait de prendre dans le poulailler. Il a été accusé de tenir des pierres avec l’intention de les lancer sur les soldats.
Il faudrait des centaines de pages pour citer les nombreuses accusations mensongères de l’armée pour faire taire la jeunesse et nommer les plus de 300 à 1000 enfants qui passent chaque année par la case prison, en violation permanente de la Convention Internationale de Droits de l‘Enfant dont Israël est pourtant signataire. Cet Etat n’aura que faire des lois internationales et autres résolutions de l’ONU tant qu’il sera protégé par les Etats Unis et par l’Europe.
Ce n’est pas un conflit entre Arabes et Israéliens. Non. C’est l’occupation d’une terre par un état militarisé et confessionnel. Les Palestiniens ( comme les Ukrainiens) résistent à une occupation. Ils n’ont pas choisi la guerre.
Tout ce que je vais raconter a été filmé par les « guetteurs » palestiniens qui chaque nuit veillent - téléphone mobile en main - pour prévenir les attaques. Toutes les images sont postées immédiatement presque en temps réel sur le site Télégramme/Jénine auquel tous ici sont abonnés. Les images comme celles de la nuit du 5 au 6 septembre… Alors que tous dormaient, à 1h du matin, je suis réveillé par un vrombissement : 2000 soldats israéliens, armes au poing et 200 véhicules jeeps sont entrés dans le ville de Jénine par tous les routes possibles pour encercler le camp et permettre de déloger une famille dont l’un des fils avait commis un attentat 6 mois plus tôt. C’est donc six mois après la mort de ce jeune garçon - désespéré au point d’aller, en martyr, commettre un attentat - que le tribunal militaire sioniste a décrété que la famille devait être punie par la destruction de son logement. L’armée, cette nuit-là, n’a fait qu’exécuter une « décision de justice militaire ».
La méthode ? Un fourgon banalisé comme celui que les Palestiniens utilisent pour les livraisons, fait, vers minuit, un passage dans le camp. Le chauffeur, membre déguisé des forces spéciales israéliennes, arrête son véhicule, ouvre le fourgon vide pour bien montrer aux guetteurs qu’il n’est qu’un livreur de nuit. En fait, il repère l’appartement de la famille.
Il repart ( tout cela est filmé) et revient quelques minutes plus tard mais cette fois, quand il ouvre le fourgon, des militaires armés jusqu’aux dents surgissent, foncent sur l’immeuble, font - en hurlant - sortir tout le monde du bâtiment et mettent en pratique « la punition » : détruire tout l’appartement en défonçant toutes les cloisons, saccageant tout le mobilier, rendant inutilisable le logement. Dans les immeubles voisins, tous les habitants se sont terrés chez eux, on imagine l’angoisse et la terreur vécues cette nuit-là par les enfants. Pendant tout ce temps, l’armée a ceinturé le camp et coupé l’électricité le temps de l’intervention.
Le lendemain, Adnan, mon ami et technicien du Freedom Theatre, entre deux réglages de projecteurs, me raconte tout cela en différé, « images télégrammes » à l’appui.
Comment vivre une vie normale dans ce contexte qui perdure depuis 74 ans ?
Combien de traumatismes vieillissent avant l’heure les enfants du camp et en font des graines de lanceur de pierres ?
***
Le 4 septembre, dans le théâtre du camp, nous avons joué notre spectacle « Le Chaperon UF ». Nombres de personnes m’ont interrogé sur le sens du mot « UF ». Chez J-C. Grumberg, le Chaperon rouge appartient au peuple UF, c’est-à-dire, sans ambiguïté, au peuple juif, qui est pourchassé par le méchant loup allemand Wolf (loup en langue allemande). Les huit actrices et acteurs habitent pour la plupart dans le camp de réfugiés de Jénine et ont tous bien adopté cette adaptation du conte traditionnel comme une dénonciation du racisme et de l’absurdité des discriminations envers « un peuple différent ». Ils ont été tenté un temps de ne pas dire UF mais de dire « PAL » comme « palestinien ». Finalement tous ont accepté de garder UF, façon pour eux de dénoncer une situation universelle et surtout d’affirmer qu’ils ne nient pas ce que les juifs ont vécu en Europe.
Cependant, très souvent les spectateurs qui apprenaient que UF signifiait « juif » m’ont instamment demandé de changer UF par d’autre chose. Les acteurs ont tenu bon: les juifs persécutés par les nazis ne sont pas leurs ennemis. Ce sont les sionistes qui revendiquent une terre pour eux seuls en chassant les habitants arabes, qu’ils soient musulmans ou chrétiens ou d’autres confessions non-juives.
Pour tous, le théâtre s’est ainsi révélé être un lieu de débat que les étudiants ont mené entre eux et avec leur famille et qu’ils assument totalement.
Les enfants venus assister au spectacle ont beaucoup ri de ce Chaperon UF qui tient tête au méchant loup venu de loin pour tout contrôler. Ils s’y sont reconnus.
Le chaperon était peut- être pour eux cette jeune fille palestinienne, Ahed Tamimi, qui à l’âge de 11 ans avait giflé un soldat israélien puis a récidivé à l’âge de 17 ans et pour ces gifles a connu huit mois de prison. Environ 1 400 enfants palestiniens ont été jugés par des tribunaux militaires dédiés aux mineurs, au cours des trois dernières années, selon les comptes des forces de défense israéliennes elle-mêmes.
Amnesty International - qui aujourd’hui accuse Israël d’apartheid, dossier lourd à l’appui - avait demandé à l’époque la libération d'Ahed Tamimi, accusant Israël d'infliger de mauvais traitements aux enfants palestiniens.
Le succès de la pièce de théâtre masqué a été un réel bonheur pour les acteurs et les spectateurs petits et grands. La poésie, l’humour, le jeu ont éloigné un court instant les violences des nuits passées.
Ce 9 septembre, dans le centre culturel pour enfant de Naplouse, un autre moment intense de soulagement et de légèreté est venu de la rencontre entre Florence, la pianiste de notre équipe et Habib le violoniste et Dima, la jeune Oudiste . Un concert improvisé autour du seul piano de Naplouse : Florence joue Chopin puis Rameau. Habib professeur de musique saisit son violon, Dima, son élève, s’empare de son oud. Que le chant s’élève. Ue petit demie heure de bonheur.
Après ces trois semaines bruyantes au camp de réfugiés de Jénine, cette courte halte musicale à Naplouse me permet au fond de mon cœur de pleurer secrètement des larmes d’espoir.
Puis Dima, venue de l’un des quatre camps de réfugiés voisins de Naplouse, jeune virtuose au chant et oud, juchée sur une table nous offre un oasis de fraîcheur de 17 ans . Une promesse.
L’histoire de la vie d’un polonais juif peut-elle être racontée en Palestine occupée?
Être Juif est-il définitivement un crime pour la majorité des Palestiniens?
Ce sera notre question dans le carnet n°6 qui parlera de la tournée de LA RÉPUBLIQUE DES ENFANTS DU DR KORCZAK qui a commencé ce 8 septembre à Jénine après avoir été reportée d’une journée à cause d’une « opération militaire israélienne » comme celle que je vous ai raconté.
Le 7 septembre, jour prévu initialement pour la représentation, toute la ville de Jénine a baissé les rideaux des commerces et protesté par une grève générale contre ce que le gouvernement israéliens appelle « l’opération gazon tondu » ce qui signifie clairement « couper à ras » les « herbes" qui poussent dans les camps de réfugiés. Chacun appréciera la poésie militaire israélienne.
20221006 6. Page spéciale Appel à la libération du dirigeant futur théâtre de la liberté.mp3 (3.23 Mo)
N°6. PAGE SPÉCIALE
APPEL A LA LIBÉRATION DU DIRIGEANT DU THÉÂTRE DE LA LIBERTÉ
APPEL A LA LIBÉRATION DU DIRIGEANT DU THÉÂTRE DE LA LIBERTÉ
11 et 12/09/2022.
L’armée israélienne s’est attaquée ce dimanche au Théâtre de JENINE qui nous accueille en emprisonnant son dirigeant.
L’équipe du théâtre du Tiroir venait de quitter JENINE pour rejoindre Jerusalem et EL HAKAWATI, nom du Théâtre National Palestinien (PNT) pour y donner une représentation de LA RÉPUBLIQUE DES ENFANTS du Dr KORCZACK.
EL HAKAWATI, (mot arabe qui signifie « le conteur ») est la salle que FRANCOIS ABU SALEM, IMAN AOUN et les premier.e.s comédien.ne.s professionnel.le.s de Palestine ont investie dans les années 19 pour donner une visibilité nationale et internationale au théâtre palestinien.
Pendant que se déroulait notre représentation à ALKAWATI, Bilal Al-Saadi, président du Conseil d’Administration du Freedom Theatre , a été arrêté et enlevé par l'armée israélienne.
BILAL est un ami. Il est venu à Laval, il y a trois ans en compagnie de AHMED TOBASI, directeur et comédien et de Mustapha CHITA, administrateur, pour voir la création LA REINE DES NEIGES d’Andersen et imaginer un partenariat avec le théâtre du Tiroir.
Ce partenariat a pris forme cette année avec l’accueil au Théâtre du Tiroir en juin du spectacle d’Ahmed Tobassi et la réalisation d’un stage de formation théâtrale à JENINE que j’ai animé ce mois d’août et la tournée de notre spectacle sur les droits de l’enfant.
BILAL traversait le poste de contrôle militaire de Zaatar avec Mustafa Sheta, producteur au Freedom Theatre, lorsque l'arrestation a eu lieu. Ils revenaient tous les deux d'une rencontre avec le ministre de la Culture à Ramallah.
Le Freedom Theatre est en contact avec des groupes de défense des droits de l'homme qui ont été alertés de la situation. Nous recherchons des informations et des conseils supplémentaires et informerons ensuite les gens sur la manière dont ils peuvent faire campagne pour la libération de Bilal.
Bilal a joué un rôle clé en tant que conseiller au sein du conseil d'administration du Freedom Theatre depuis sa conception et est également membre de l'Assemblée générale du Palestinian Performing Arts Network (PPAN). En 2011, il a été arrêté et détenu sans inculpation par l'armée israélienne dans le cadre d'une attaque stratégique contre The Freedom Theatre suite au meurtre de Juliano Mer Khamis, le directeur artistique et co-fondateur.
Cette arrestation fait suite à des mois d'invasions, d'arrestations et d'attaques israéliennes intensifiées contre le camp de réfugiés de Jénine et à travers la Palestine. Il met également en évidence la stratégie d'Israël consistant à cibler les artistes et les personnes impliquées dans des organisations culturelles dans le but de détruire l'identité palestinienne et de mettre fin à l'utilisation de la culture comme forme de résistance.
Nous écrirons une mise à jour dès que de plus amples informations seront connues.
BILAL est à droite sur cette photo parue dans le journal Ouest France LAVAL. Article paru en fin 2019.
20221006 7. Jénine, Jérusalem, Ramallah.mp3 (13.03 Mo)
N°7 - Jénine, Jérusalem, Ramallah
Après les terribles nuits d’attaques israéliennes dans le camp de Jénine, où j’étais en résidence depuis mi-aout, nous poursuivons notre route avec notre théâtre musical « LA RÉPUBLIQUE DES ENFANTS DU Dr KORCZAK » vers 5 villes .
5 villes où le Théâtre du tiroir compte des compagnies de théâtre palestiniennes professionnelles partenaires depuis 2005 .
Seule la Compagnie de Gaza « Le Théâtre Pour Tout Le Monde » créée par mes amis comédiens Hossam El Madhoun et Jamel Rozzi ne peut pas nous inviter pour cause de blocus de Gaza.
8 septembre : 1ère représentation dans le camp de Jénine dans la salle du Freedom-théâtre, séance prévue initialement le 7 septembre mais la brutalité de l’attaque israélienne la nuit du 6 au 7/09 et les 6 arrestations ont déclenché une grève générale sur la ville à laquelle le théâtre s’est associé.
17 heures : 200 enfants venus de toutes les ruelles du camp de tous âges, avec quelques mamans, ont soudainement envahi la salle.
Nous avons choisi, durant cette tournée, de faire entendre en voix off en langue arabe un résumé des différentes scènes; résumés diffusés avant chacune des 34 scènes de la pièce jouée en français.
Le piano de Florence Pavie a permis, par la curiosité suscitée et la chaleur qu’il apporte à la pièce, de revenir à une écoute plus attentive; écoute très souvent distraite du fait de la longueur des scènes en français.
Nous avons dû aller chercher à Ramallah une piano électrique faute d’en trouver un dans cette ville de Jénine qui compte 40 000 habitants. Le district en compte 250 000. Et le camp 11000 habitants.
La veille, Florence a été l’invitée de l’association AL KAMANDJATI ( LE VIOLONISTE) pour une master class de piano avec les élèves musiciens.
Avant la pièce, j’ai pris la précaution d’une présentation, en anglais traduite en arabe, de l’histoire des droits de l’enfant pour rappeler que l’histoire de Janusz Korczak est d’abord le combat d’un homme pour LE RESPECT DES ENFANTS et non pas l’histoire d’un juif assassiné dans un camp de la mort en 1942. En effet quelques personnes m’ont averti dès mon arrivée en Palestine que ce serait une provocation de faire l’apologie de la souffrance des juifs en Europe en 39/45 alors qu’ici les Palestiniens souffrent de l’occupation par les sionistes depuis 74 ans. ( Voir carnet N°5 sur la difficulté pour les jeunes générations qui n’ont connu que l’occupation sioniste de bien distinguer entre les termes « juif » et « sioniste » .)
J’ai également donné ce soir là et lors de chacune des représentations qui ont suivi dans les autre villes, la deuxième raison fondamentale de notre tournée : l’hommage aux hommes et femmes d’hier et d’aujourd’hui qui poursuivent à travers le monde et à leur manière le combat de Korczak pour le RESPECT DES ENFANTS.
En Inde, ce fut Rabindranah TAGORE qui créa en 1900 le première école de filles en Inde
Au Liban : Madame ANNIE KANAFANI qui comme Korczak en 1912 en Pologne a créé au Liban, dans les camps de réfugiés palestiniens, des écoles et centres pour enfants handicapés où la pédagogie s’inspire de l’art thérapie. Madame Kanafani est la veuve de GHASSAN KANAFANI, poète, journaliste et dirigeant politique du Front Populaire de libération de La Palestine. Il a été assassiné par les services secrets israéliens en 1972. Son portrait est partout peint sur les murs dans les rues de toutes les villes et camps de réfugiés au même titre que tous les résistants tués par l’occupant.
Mon message a été le suivant :
« AUX SPECTATEURS et SPECTATRICES de la République des Enfants.
Vous verrez sur scène un homme qui se faisait appeler JANUSZ KORCZAK. C'est un héros polonais. Héros car en tant que pédiatre, éducateur, pédagogue, il a consacré sa vie jusqu'à sa mort aux enfants orphelins et pauvres en luttant pour que tous les pays du monde écrivent dans leur constitution nationale et internationale que LES ENFANTS ONT DES DROITS, qu’il faut que les états et les adultes les respectent et leur permettent de prendre des responsabilités dès leur plus jeune âge.
« UN ENFANT N'EST PAS UN HOMME EN DEVENIR, NON, IL EN EST DÉJÀ UN. »
JANUSZ KORCZAK a combattu la misère qui tue les pauvres
Il a exigé le respect des enfants
Il s'est battu toute sa vie pour qu'on leur accorde de vrais droits positifs ! Ces droits qui les aident à grandir en responsabilité,
Des hommes et des femmes comme lui il y en a dans de nombreux pays.
En Inde du Nord, au Bengale par exemple, il s'appelle Rabindranath Tagore qui, au début du 20ème siècle, a ouvert la première école pour filles...
Ici en Palestine, les enfants souffrent plus que les autres de l'occupation militaire permanente, des meurtres impunis de l'armée sioniste sur les enfants de Gaza et ces jours-ci à Naplouse.
En Palestine occupée, à Gaza, à Ramallah, à Hébron, à Bethléem, dans les camps de réfugiés et ailleurs, des femmes et des hommes ont décidé - comme Korczak de 1912 à 1942 - de consacrer leur vie et leur action pour le développement de l'enfance par la culture et les arts.
Je vais les nommer un par un car depuis 22 ans que je viens régulièrement en Palestine pour partager l’art dramatique avec eux, ils m'ont appris le sens des mots BELLE RÉSISTANCE contre l'occupation israélienne à travers la Culture et les arts.
Ils mènent le combat pour que les enfants aient le droit de s'épanouir dans la dignité et la paix :
A Hébron, ils s’appellent TITI, HIHAD RAED et toute l’équipe du théâtre Yes qui enseigne le théâtre aux enfants...
à Gaza, ils s'appellent MAHMOUD et JDAMEL qui ont créé "le théâtre pour tous"
à Ramallah, Il s'appelle RAMZI qui a ouvert AL KAMANDJATI une école de musique qui rayonne dans toute la Palestine et ailleurs...
Elle s'appelle IMAN, il s'appelle EDOUARD et toute l'équipe d'ASHTAR THEATRE qui travaille toute l'année à Ramallah et aussi à Gaza et organise le festival annuel de théâtre pour la jeunesse ;
À Jérusalem, il s'appelait François ABU SALEM qui créa avec d'autres AL HAKAWATI...
Ils s'appellent ABDEL FATTAH et RIBAL et toute l'équipe du centre ALROWWAD du camp de réfugiés d'Aïda à Bethléem qui mène le combat pour la Belle Résistance.
Alors chers amis de Palestine, ne vous méprenez pas, je ne viens pas raconter la vie d'un héros parce qu'il est juif, je viens ce soir grâce à la magie du théâtre vous raconter l'histoire de tous les Korczak du monde, non seulement celui de Pologne que vous allez découvrir mais celui de tous les éducateurs et éducatrices du monde.
Permettez-moi de dédier cette performance
- d'abord à tous les enfants emprisonnés dans les prisons israéliennes et à tous ceux qui sont morts sous les bombes ou les balles des soldats sionistes.
- et ensuite à tous les éducateurs de Palestine et à tous mes amis comédiens et artistes qui m'ont guidé dans votre beau pays pendant 22 ans.
Quand je joue ce spectacle en France, je précise toujours que Korczak aurait peut-être été Ukrainien sous l'invasion russe ou Palestinien sous l'occupation israélienne. Il aurait mené le même combat, celui des droits de l’enfant."
Après la première séance à Jénine, des mamans m’ont demandé à lire les livres de Korczak. Ce fut pour moi un vrai soulagement. Le fait que Korczak soit « juif » s’est effacé devant la force de son message pour les droits de l’enfance.
Quelques mots sur Jénine qui subit continuellement des attaques israéliennes.
L’une d’elles en 2002, appelée par Israël « OPÉRATION REMPART a été meurtrière et est dans toutes les mémoires comme un plaie permanente.Tous en parle au quotidien. Le cheval métallique ( voir carnet de voyage N°2 ) en est le témoin permanent.
Au cours de l’attaque du 3 au 19 avril 2002, notre technicien, Adnan, a vu sa maison détruite ainsi que le théâtre qu’il a construit de ses mains avec le fondateur du Théâtre de la liberté, Juliano Mer Khamis, artiste israélien qui a choisi, en réponse à l’occupation israélienne, de vivre et travailler à Jénine pour poursuivre le travail artistique de sa mère - voir le film LES ENFANTS D’ARNA qui raconte la naissance du « théâtre des pierres » créé sur la terrasse de la famille ZUBEIDI dont le fils Zacchari est en prison aujourd’hui comme Bilal, le président du théâtre de la Liberté. Juliano fut assassiné en 2011 par un inconnu mais selon mes amis probablement par les services secrets israéliens.
La maison du camp où je suis logé a été reconstruite au même emplacement que la maison d’Adnan détruite en 2002, que les tentes attribuées en 1948 à la famille d’Adnan, alors chassée du village palestinien d’Hiribya près de Haifa pour y construire le kibboutz Carmia. Cet immeuble comporte déjà 4 étages et bientôt 5 car Adnan a 5 enfants : il construit un étage pour chacun d’eux; Ce sont des fonds venant du Quatar ( alors ennemi d’Israël, ce qui n‘est plus le cas aujourd’hui) qui ont permis la reconstruction de cette partie du camp détruite lors du massacre de 2002.
L’assaut du camp de Jénine avait commencé par la destruction totale d'un quartier du camp, aplani au bulldozer. Le dirigeant travailliste d’alors, Shimon Pérès avait qualifié lui-même l'opération de « massacre ». On a estimé que le nombre des victimes dans les combats s’élevait à quelque 200 Palestiniens, y compris des civils, dont une partie a été enterrée sous les décombres des maisons effondrées . Plusieurs milliers d'habitants de Jénine avaient dû fuir la ville au début de l'opération. Environ 160 habitations ont été totalement détruites dans le camp et de nombreuses autres ont été endommagées, plus de 4 000 personnes se sont retrouvées sans abri. Après un tel bilan, je comprends mieux la haine enfouies au fond des ventres.
11 septembre 17h : représentation à JÉRUSALEM dans le lieu historique où est né le théâtre professionnel palestinien : AL HAKAWATI qui signifie « Le Conteur ». Très peu de monde mais présence de l’attaché culturel du Consulat de France à Jérusalem-Est..
Nous avions prévu un débat sur la situation des enfants palestiniens emprisonnés en Israël sous le seul motif de « détention administrative », mais M. Ayaed Abu Eqtesh, directeur association DÉFENSE DES ENFANTS INTERNATIONAL, section de Palestine qui avait accepté d’accompagner le spectacle dans les 5 villes et de mener les causeries avec le public, n’a pu venir car cette association ainsi que 6 autres associations de défense des droits humains ont été décrétées « associations terroristes » par l’Etat israélien qui a envoyé l’armée israélienne fermer et sceller leurs locaux. Des avocats ont lancé un recours devant la Haute Cour de Justice israélienne pour casser ces décisions. Ils attendent encore aujourd’hui la réponse, qui je crois tardera encore à venir.
14 septembre : représentation à Ramallah au théâtre ASHTAR, Théâtre installé au raz de chaussée d’un immeuble à quelques centaines de mètres de la Muqata, siège de l’Autorité Palestinienne et du tombeau et du Musée Yasser Arafat. Musée très documenté sur l’histoire de la Palestine depuis la fin du 19ème siècle et sur les différents combats et mouvements de résistance à l’occupation.
15 septembre: représentation dans une école de quartier à Ramallah : 90 adolescent.e.s de 14 ans et plus ont écouté avec ferveur l’histoire des droits de l’enfant en français et en arabe. La discussion avec les élèves a porté essentiellement sur leur responsabilité face à la situation qu’ils subissent : occupation et difficultés à vivre dans ces conditions.
La culture et l’éducation sont-elles devenues les armes de la jeunesse? La question leur a été posée.
Visite du mémorial dédié à Mahmoud Darwich (1941-2008) :
« À un tueur : / Si tu avais regardé le visage de ta victime et réfléchi attentivement, / tu te serais peut-être souvenu de ta mère dans la chambre à gaz, et tu te serais libéré des préjugés du fusil, et tu aurais changé d’avis. / Allons, ce n’est pas une façon de restaurer une identité. »
(...)
« Vous, qui tenez sur les seuils, entrez et prenez avec nous le café arabe. Vous pourriez vous sentir des humains, comme nous. Vous, qui tenez sur les seuils, sortez de nos matins et nous serons rassurés d'être comme vous, des humains ! »
« J’ai la nostalgie du café de ma mère, Du pain de ma mère,
Des caresses de ma mère...
Et l’enfance grandit en moi,
Jour après jour,
Et je chéris ma vie, car
Si je mourais,
J’aurais honte des larmes de ma mère ! »