À 30 ans, elle reprend le chemin de l'Ecole Normale comme auditrice, fait un DEA de sciences de l'Éducation puis commence une thèse avec le Professeur Villerbu, à l'université de Rennes, sur « les incidences psychologiques et sociales de la violence conjugale sur le devenir des enfants au Niger ». L' Éducation reste sa première préoccupation mais cela ne l'empêche pas d'observer la société de son pays à distance : la littérature africaine, le regard des étudiants africains sur la polygamie, les violences contre les femmes...
« C'est l'échange d'expériences qui construit une personne »
Elle a gardé aussi en mémoire l'exemple de sa mère, vice-présidente d'un regroupement de femmes de militaires. Elle les voyait se réunir souvent autour du poulet qu'elles partageaient, une cuisse pour les plus parfumées et les plus « costaudes », une aile pour les plus maigres, l'objectif étant d'être la plus grosse possible pour plaire au mari. Elles se soutenaient les unes les autres, créant des tontines pour financer leurs projets. « Elles visaient leur autonomie. A cette époque-là, se dessinaient des choses qui n'avaient pas encore de nom, qui n'étaient pas organisées. Certes, ce n'était pas la même vision de la femme mais cela m'a donné une idée de l'engagement, ce que j'ai fait quand, professeur, je suis devenue vice-présidente du syndicat de ma région. »
« Un être marginal »
« La femme nigérienne, explique-t-elle sur le site de l'association, demeure un être marginal tant sur le plan social que politique, reléguée à l'arrière plan de la scène, entretenue dans l'ignorance et l'obscurantisme. La vie ne lui offre que d'être analphabète, peu formée, limitée aux postes subalternes de l'emploi et figurante sans voix. Les multiples corvées éprouvantes qu’elle effectue : puisage de l’eau, ramassage du bois, préparation des repas, agriculture, élevage, artisanat, petit commerce et son rôle de mère, ne lui laisse guère le temps de s’occuper d’elle même. »
La « prison mentale » des victimes de la fistule
La fistule, si elle n'est pas opérée, provoque une incontinence permanente. Elle entraîne aussi des difficultés à marcher, les nerfs des membres inférieurs étant atteints. Les femmes ne se sentent pas seulement humiliées, elles sont rejetées par leur mari, évitées par leur communauté et blâmées pour leur état.
« Elles sont dans une grande détresse sociale, une prison mentale », dit Fatimata en se souvenant de ces femmes lui tirant sur son pagne à l'hôpital. « Elles sont pauvres et ne comptent pas sur le plan politique, elles sont invisibles, ajoute-t-elle, elles n'ont plus droit à la vie alors qu'elles ont voulu donner la vie. » Le visage de Fatimata est grave, elle sait ce que garder la vie veut dire. « Je leur ai dit "On arrête de pleurer et on fait quelque chose" ; la première était de réinsérer les femmes. »
Les matrones en femmes relais
Voilà pour la prévention mais qu'en est-il de celles qui sont atteintes de la fistule ? « Il faut qu'elles puissent s'insérer économiquement, c'est une première étape importante pour espérer leur réhabilitation au sein de la famille. Nous avons mis en place un système de marrainage. Les françaises sont sollicitées pour soutenir financièrement la création d'entreprises par les femmes rejetées à cause de la fistule. » Une tontine franco-nigérienne en quelque sorte.
Le troisième volet de l'action de Mata est la formation de gynécologues. Le Docteur Blanchot, gynécologue français, le Docteur Sanda, urologue nigérien et le Docteur Barkiré, gynécologue nigérienne, travaillent ensemble pour comparer et échanger les expériences afin de mettre au point des techniques et des méthodes efficaces et adaptées.
Imposer des lois
C'est ainsi qu'est née l'idée d'un échange entre femmes responsables du Niger, du Congo, du Mali et du Burkina Faso. À ces femmes engagées dans la société civile ou élues, l'association Mata a proposé de venir à Rennes pour voir ce qui se passe ailleurs et mettre en distance leurs propres expériences. La rencontre a eu lieu à la Maison Internationale de Rennes (MIR) à l'automne 2011.
Les boubous aux couleurs chatoyantes des invitées et des femmes africaines de la diaspora ont côtoyé les tenues plus sombres des femmes rennaises engagées elles aussi dans la vie locale, présidentes d'association et élues politiques. Le français aux accents différents a donné à la MIR plein sens à son action de rapprochement des cultures.
Des Africaines et des Bretonnes en réseau
C'était un sacré pari de faire venir des femmes militantes africaines sans ressources. Mais les Rennais ne s'y sont pas trompés, ils et elles ont été nombreux à suivre les débats, parfois bien affirmés. L'ancien maire de Rennes Edmond Hervé les a regonflées à bloc : « Soyez fières de vos pays », leur a-t-il lancé.
« Les femmes sont justes, ajoute Fatimata, et, quand il y aura plus de femmes dans les instances dirigeantes, il y aura plus de justice. Avec plus de justice, les pays vont plus avancer. Les femmes donnent un autre visage à l'engagement. Elles sont sans ressource et elles utilisent tout ce qu'elles ont pour faire avancer la situation. Elles n'ont pas de formation mais leur expérience leur sert à innover. La question est : comment nous voulons conduire nos pays, faire avancer les lois avec notre regard de femme. Jusqu'à présent, on n'avait que la vision des hommes. Mais nous sommes capables de gérer nos pays et pour cela, on n'a pas le choix, il faut que nous soyons dans l'innovation. »
Texte et photos : Marie-Anne Divet
Pour aller plus loin
- Le site de Mata