Samuel Dugas.mp3 (5.51 Mo)
Il faisait un temps pourri. Le froid, la pluie. Un temps de crise. D'hypermarchés écraseurs de paysans. Heureusement, il y avait le porche de la magnifique église Saint-Marse qui protège des calamités les habitants de Bais . Et puis Samuel Dugas est arrivé. Nous sommes allés aussitôt au congélateur collectif installé dans le bourg et géré par une association « surtout de grand-mères ». Samuel Dugas a pris des steaks dans l'une de ses deux cases, nous avons filé à la Chènevétrie, à 2 km de là, puis partagé le repas. Excellents les steaks. Normal : le bœuf, dans l'assiette, a brouté l'herbe d'ici.
Une longue conversation a commencé. À trois. La petite Gina, 2 mois, n'a pas quitté les bras de son père, à la cuisine, dans la cour, à l'étable. La maman, Lydia, était fatiguée. Samuel Dugas est un jeune père moderne. De son époque. Il faut dire qu'il a beaucoup vadrouillé avant de planter son bâton dans la terre de ses ancêtres, d'ouvrir une nouvelle page dans la belle histoire des Dugas à La Chènevétrie. Un jour, Samuel se l'est faite raconter par Pierre-Yves, son père. Celui-ci est remonté jusqu'à Pascal, en 1860. Mais allez voir là : tout y est décrit par le reporter que Samuel Dugas a failli être.
Une longue conversation a commencé. À trois. La petite Gina, 2 mois, n'a pas quitté les bras de son père, à la cuisine, dans la cour, à l'étable. La maman, Lydia, était fatiguée. Samuel Dugas est un jeune père moderne. De son époque. Il faut dire qu'il a beaucoup vadrouillé avant de planter son bâton dans la terre de ses ancêtres, d'ouvrir une nouvelle page dans la belle histoire des Dugas à La Chènevétrie. Un jour, Samuel se l'est faite raconter par Pierre-Yves, son père. Celui-ci est remonté jusqu'à Pascal, en 1860. Mais allez voir là : tout y est décrit par le reporter que Samuel Dugas a failli être.
A chaque voyage, le rappel de la terre
« Je voulais être journaliste », sourit-il. À 18 ans, bac en poche, il part pour Toulouse faire un DUT Information – communication. À la sortie, il se cherche encore, effectue divers détours, s'ouvre de nouveaux horizons. Durant un an, il est assistant de français en Ecosse. À son retour, il part aux vendanges. La terre, cependant, se rappelle toujours à lui : « C'était toujours dans la tête mais ça ne me faisait pas rêver. »
Les alpages en revanche... Le voilà dans le nord de l'Autriche chez des fermiers qu'il accompagne là-haut avec leurs bêtes. « C'était dur au début mais j'ai appris plein de choses : le dialecte, faire le fromage... ça m'inspire encore. » Il s'y plaît tellement qu'il y retournera trois saisons, s'évadant de la terre bretonne. Car les prairies familiales ne le lâchent toujours pas. Il devient vacher de remplacement, va se former au centre agricole du Rheu, passe le BPREA, le laissez-passer des jeunes paysans... mais veut encore s'échapper : « La ferme ne me faisait toujours pas rêver. » Comment rester à Bais quand la plupart des jeunes s'en vont ?
L'oiseau migrateur se retrouve en Biélorussie, brièvement, puis en Tchéquie, à Prague, serveur durant sept mois « Chez Marcel », un restaurant français. De qui tient-il donc ? L'esprit d'ouverture qui règne dans la famille Dugas y est pour beaucoup. Engagés genre « cathos de gauche », comme l'on dit, Pierre-Yves et Marie Dugas font chambres et table d'hôtes depuis 1988. Marie, surtout, aime beaucoup la rencontre. Et a transmis cela à Samuel. Tout s'éclaire : « Ce qui m'inquiétait, explique-t-il, c'était la solitude ; ce qui me mène, c'est la rencontre. »
Les alpages en revanche... Le voilà dans le nord de l'Autriche chez des fermiers qu'il accompagne là-haut avec leurs bêtes. « C'était dur au début mais j'ai appris plein de choses : le dialecte, faire le fromage... ça m'inspire encore. » Il s'y plaît tellement qu'il y retournera trois saisons, s'évadant de la terre bretonne. Car les prairies familiales ne le lâchent toujours pas. Il devient vacher de remplacement, va se former au centre agricole du Rheu, passe le BPREA, le laissez-passer des jeunes paysans... mais veut encore s'échapper : « La ferme ne me faisait toujours pas rêver. » Comment rester à Bais quand la plupart des jeunes s'en vont ?
L'oiseau migrateur se retrouve en Biélorussie, brièvement, puis en Tchéquie, à Prague, serveur durant sept mois « Chez Marcel », un restaurant français. De qui tient-il donc ? L'esprit d'ouverture qui règne dans la famille Dugas y est pour beaucoup. Engagés genre « cathos de gauche », comme l'on dit, Pierre-Yves et Marie Dugas font chambres et table d'hôtes depuis 1988. Marie, surtout, aime beaucoup la rencontre. Et a transmis cela à Samuel. Tout s'éclaire : « Ce qui m'inquiétait, explique-t-il, c'était la solitude ; ce qui me mène, c'est la rencontre. »
La grève du lait de 2009 : le grand baptême militant
Il suffisait donc de résoudre ça ! En 2006, à 27 ans, l'arrière-petit-fils de Pascal Dugas pose enfin son sac dans la ferme de ses ancêtres. Certes, il construit aussitôt une roulotte (toujours prête à prendre la route, aujourd'hui encore, à la sortie de la cour, même si elle accueille surtout le visiteur) mais cette fois il tient. Il s'engage aussitôt dans les groupes herbagers locaux. Quand il reprend l'exploitation un an plus tard, il entre sur le champ, si l'on ose dire, à l'Adage, une association lancée en 1993 par une dizaine d'éleveurs laitiers d'Ille-et-Vilaine pionniers d'une agriculture durable. En 2016, en face de l'agriculture productiviste dominante, l'Adage se porte toujours bien : présidée par... Samuel Dugas, elle regroupe une centaine d'éleveurs.
Dès l'installation, il est clair que l'exploitation sera en système herbe. Mais cet élevage-là, c'est du haut professionnalisme, des techniques pointues à connaître puis maîtriser. Autant dire qu'à l'Adage, Samuel Dugas « ouvre les oreilles grand comme ça » auprès des éleveurs chevronnés. En même temps, le prix du lait est stable la première année, grimpe bien la seconde : le démarrage, sans gros investissement, se passe bien.
En 2009 : patatras. Le prix s'effondre. Une grande grève du lait commence. Evidemment, Samuel Dugas est en première ligne. Tracts, manifs, distribution gratuite : un grand baptême militant. Mais aussi un « passage intellectuel » nourri de pragmatisme autant que de sens à donner à son métier. Le jeune producteur de lait approfondit sa démarche vers l'herbager et le bio. « Un jour, sous la douche, après avoir traité mes betteraves, je me suis dit : "Je ne traiterai plus jamais". »
Dès l'installation, il est clair que l'exploitation sera en système herbe. Mais cet élevage-là, c'est du haut professionnalisme, des techniques pointues à connaître puis maîtriser. Autant dire qu'à l'Adage, Samuel Dugas « ouvre les oreilles grand comme ça » auprès des éleveurs chevronnés. En même temps, le prix du lait est stable la première année, grimpe bien la seconde : le démarrage, sans gros investissement, se passe bien.
En 2009 : patatras. Le prix s'effondre. Une grande grève du lait commence. Evidemment, Samuel Dugas est en première ligne. Tracts, manifs, distribution gratuite : un grand baptême militant. Mais aussi un « passage intellectuel » nourri de pragmatisme autant que de sens à donner à son métier. Le jeune producteur de lait approfondit sa démarche vers l'herbager et le bio. « Un jour, sous la douche, après avoir traité mes betteraves, je me suis dit : "Je ne traiterai plus jamais". »
En reportage chez ses collègues
Il réduit le maïs : « Quand l'herbe coûte 1 €, le maïs en coûte 5 », rappelle-t-il. Diminue aussi le blé. En 2010, Samuel Dugas passe carrément en bio et fait de gros travaux pour améliorer ses conditions de travail. Deux ans plus tard, la conversion au bio est terminée, les produits de La Chènevétrie reçoivent la certification. Deux ans passent encore et c'en est fini du maïs ensilage. Aujourd'hui, La Chènevétrie, c'est 44 ha d'herbe, 5 ha de mélange céréalier, un petit hectare de betteraves : « La betterave, tout le monde t'en dit du bien, c'est un plaisir de leur donner ça. »
« Petit à petit tu simplifies, commente-t-il aujourd'hui, la transition s'est toujours bien passée. » Grâce aux échanges entre collègues au sein de l'Adage. « On choisit un thème de travail par an. Chaque mois, chaque groupe se réunit. C'est un regard de pairs, de professionnels. Ça peut déstabiliser parfois mais tu apprends plein de trucs, tu accélères grâce au groupe. »
Et puis, Samuel Dugas est resté journaliste, genre reporter nez au vent, loin des sentiers battus, plutôt sur les sentiers de randonnée. « J'adore la marche, les GR. » En février 2014, il s'en va ainsi pélériner neufs jours, carte IGN en main, sur les chemins des Côtes d'Armor, s'arrêtant au hasard chez l'habitant. Pas tout-à-fait au hasard. Il a pensé au Cedapa, une autre association d'agriculteurs, dans les Côtes d'Armor, fondée dès 1982 par le célèbre paysan anti-productiviste André Pochon, 84 ans aujourd'hui, pionnier de l'élevage sur prairies.
« Petit à petit tu simplifies, commente-t-il aujourd'hui, la transition s'est toujours bien passée. » Grâce aux échanges entre collègues au sein de l'Adage. « On choisit un thème de travail par an. Chaque mois, chaque groupe se réunit. C'est un regard de pairs, de professionnels. Ça peut déstabiliser parfois mais tu apprends plein de trucs, tu accélères grâce au groupe. »
Et puis, Samuel Dugas est resté journaliste, genre reporter nez au vent, loin des sentiers battus, plutôt sur les sentiers de randonnée. « J'adore la marche, les GR. » En février 2014, il s'en va ainsi pélériner neufs jours, carte IGN en main, sur les chemins des Côtes d'Armor, s'arrêtant au hasard chez l'habitant. Pas tout-à-fait au hasard. Il a pensé au Cedapa, une autre association d'agriculteurs, dans les Côtes d'Armor, fondée dès 1982 par le célèbre paysan anti-productiviste André Pochon, 84 ans aujourd'hui, pionnier de l'élevage sur prairies.
Extrait d'un reportage de Samuel Dugas
Le fauche-broute, vous connaissez ?
Samuel Dugas fait étape chez cinq éleveurs. Il racontera tout cela sur L'écho du Cedapa et de l'Adage. Raconter des histoires, il adore ça. Le voilà donc chez Jean-Pierre Guernion, à Hillion, qui lui fait découvrir une technique ingénieuse : le fauche-broute. « Tu fauches, tu tires un fil, tu mets les vaches, tout est brouté. » Avalée la féverole qu'elles refusaient. Plus de rumex, cette foutue parelle. « Un vrai pâturage militaire, rien qui dépasse ! (...) C’est tellement agréable d’aller chercher ses vaches sur un terrain de golf. »
Avec tout ça, Samuel Dugas n'est pas touché aujourd'hui par la crise du lait. Ses 35 vaches produisent 240 000 litres de lait payé par le géant Lactalis 450 € les 1000 litres. Ce devrait être davantage, car il y a pénurie, mais c'est quelque 50 % de mieux que dans l'agriculture conventionnelle. En outre, il n'a pas à payer une facture de plus en plus lourde d'intrants, engrais ou pesticides. Mais il ne fanfaronne pas. « Je reste hyper fragile, dit-il, car très spécialisé, c'est pourquoi je cherche toujours à me diversifier. »
Il tire au maximum partie de son troupeau, 83 têtes au total avec les génisses, les veaux de lait et aussi les bœufs : il en abat une demi-douzaine chaque année vendus 12 €/kg en direct par colis d'une douzaine de kilos. Il y a la fontaine à lait où les particuliers viennent s'approvisionner : « Pendant la grève du lait, les gens ont dit "faut continuer !" » Près de la fontaine, les gens trouvent aussi maintenant des légumes : le légume de plein champ est un ajout naturel.
Avec tout ça, Samuel Dugas n'est pas touché aujourd'hui par la crise du lait. Ses 35 vaches produisent 240 000 litres de lait payé par le géant Lactalis 450 € les 1000 litres. Ce devrait être davantage, car il y a pénurie, mais c'est quelque 50 % de mieux que dans l'agriculture conventionnelle. En outre, il n'a pas à payer une facture de plus en plus lourde d'intrants, engrais ou pesticides. Mais il ne fanfaronne pas. « Je reste hyper fragile, dit-il, car très spécialisé, c'est pourquoi je cherche toujours à me diversifier. »
Il tire au maximum partie de son troupeau, 83 têtes au total avec les génisses, les veaux de lait et aussi les bœufs : il en abat une demi-douzaine chaque année vendus 12 €/kg en direct par colis d'une douzaine de kilos. Il y a la fontaine à lait où les particuliers viennent s'approvisionner : « Pendant la grève du lait, les gens ont dit "faut continuer !" » Près de la fontaine, les gens trouvent aussi maintenant des légumes : le légume de plein champ est un ajout naturel.
Des chantiers collectifs pour les pommes, les betteraves...
Il y a trois ans, Samuel Dugas s'est aussi lancé dans le jus de pomme. Il a acheté un pasteurisateur, aligné dix barriques de 220 l... et fait appel au peuple. « Le chantier, c'est tout ce que j'aime. On fait un truc super noble ensemble. Je suis content. Quand j'ai décidé de prendre la ferme, c'était en pensant à ça. Pour le jus de pomme, on est 8 ou 9 au moins pour la pasteurisation et la mise en bouteille. »
« On n'est pas fait pour travailler tout seul », insiste-t-il. Il y a aussi la betterave, certes « heureuse et généreuse », comme il conte joliment, mais exigeante. « Un jour, en discutant, on m'a dit : "Pourquoi tu ne les repiques pas ?" Lors de mon voyage en Côtes d'Armor, un gars faisait ça. » Fin juin début juillet, Samuel Dugas fait donc venir son monde, des amis proches, autour de la planteuse à patates trois rangs. Huit personnes, cinq jours à bosser mais aussi à manger et discuter ensemble...
Il y a aussi bien sûr la Cuma pour le matériel. Loin de risquer la dramatique solitude de beaucoup de paysans, Samuel Dugas défriche en fait toutes les voies de la rencontre. En 2011, il s'est lancé dans le woofing , l'accueil-échange en ferme bio. Un jour, une jeune espagnole est venue ainsi. Elle s'appelait Lydia, elle est restée et la petite Gina est née. Un Américain a séjourné aussi quatre mois à la Chènevétrie. Samuel Dugas est dans la polyculture humaine, témoignant volontiers dans les écoles, luttant activement avec la Confédération Paysanne contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, ouvrant aussi le milieu agricole aux turbulences du monde.
« On n'est pas fait pour travailler tout seul », insiste-t-il. Il y a aussi la betterave, certes « heureuse et généreuse », comme il conte joliment, mais exigeante. « Un jour, en discutant, on m'a dit : "Pourquoi tu ne les repiques pas ?" Lors de mon voyage en Côtes d'Armor, un gars faisait ça. » Fin juin début juillet, Samuel Dugas fait donc venir son monde, des amis proches, autour de la planteuse à patates trois rangs. Huit personnes, cinq jours à bosser mais aussi à manger et discuter ensemble...
Il y a aussi bien sûr la Cuma pour le matériel. Loin de risquer la dramatique solitude de beaucoup de paysans, Samuel Dugas défriche en fait toutes les voies de la rencontre. En 2011, il s'est lancé dans le woofing , l'accueil-échange en ferme bio. Un jour, une jeune espagnole est venue ainsi. Elle s'appelait Lydia, elle est restée et la petite Gina est née. Un Américain a séjourné aussi quatre mois à la Chènevétrie. Samuel Dugas est dans la polyculture humaine, témoignant volontiers dans les écoles, luttant activement avec la Confédération Paysanne contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, ouvrant aussi le milieu agricole aux turbulences du monde.
Jésus et Mahomet, des collègues
A leur assemblée générale de 2015, les agriculteurs de l'Adage se sont demandés ce que qu'ils pouvaient faire pour les réfugiés. Lors de ses vœux de nouvel an sur Adage Infos, les attentats de Paris ont inspiré à Samuel Dugas quelques phrases qui se goûtent comme un bon lait : « D'après la Bible, Jésus est le messie mais d'après le Coran aussi. Et Mahomet est un prophète. Ces deux-là sont donc collègues de travail. S'ils revenaient aujourd'hui nos deux amis seraient certainement associés en GAEC. »
Pendant que la petite Gina somnole toujours dans ses bras, le paysan reporter de sa propre vie semble mêler avec adresse les techniques herbagères, les exigences économiques, les défis de la profession, les devoirs d'un citoyen et le sel de l'existence. Il est prompt à s'échapper au carnaval de Vilanova, dans la Catalogne de Lydia, ou à rejoindre l'association la Bouèze de Vitré avec sa clarinette que l'on entend parfois dans la journée. Sur le quai de la salle de traites, les vaches peuvent en témoigner qui le regardent souvent tapant une histoire, un article ou une recherche sur son ordinateur puis prendre l'instrument. Le bruit des pulsateurs alors s'efface et laisse s'envoler une paisible mélodie sur les prairies environnantes.
Michel Rouger
Pendant que la petite Gina somnole toujours dans ses bras, le paysan reporter de sa propre vie semble mêler avec adresse les techniques herbagères, les exigences économiques, les défis de la profession, les devoirs d'un citoyen et le sel de l'existence. Il est prompt à s'échapper au carnaval de Vilanova, dans la Catalogne de Lydia, ou à rejoindre l'association la Bouèze de Vitré avec sa clarinette que l'on entend parfois dans la journée. Sur le quai de la salle de traites, les vaches peuvent en témoigner qui le regardent souvent tapant une histoire, un article ou une recherche sur son ordinateur puis prendre l'instrument. Le bruit des pulsateurs alors s'efface et laisse s'envoler une paisible mélodie sur les prairies environnantes.
Michel Rouger