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23/05/2014

La vie si dure et si douce de Lydie la chevrière


Couleurs chatoyantes. Des bleu, orange, jaune, vert émeraude, rose, violet… quelle palette ! On ne peut pas la manquer sur le marché de Dinard cette jeune femme au sourire chaleureux. C'est là, derrière son étal de laines mohair des fermes de la France, que nous rencontrons Lydie Bourdais. Elle nous fait partager son amour du « beau » , de la belle laine mohair labellisée, produite par son troupeau.


Cet après-midi, elle nous accueille dans sa ferme de la Fresnais, en Bretagne, impatiente de nous montrer ses chèvres angora qu'elle ne sortira pas aujourd'hui : « Il fait trop froid, elles pourraient s'enrhumer ! », regrette-elle.
 
Lydie est née près de là, à Saint-Coulomb, « dans les choux », se plaît-elle à dire ; on est au pays des choux-fleurs et c'est  la petite dernière de la famille. Elle passe son enfance à la ferme et si les vacances sont davantage le temps des travaux des champs que des baignades et du farniente, Lydie en garde un souvenir très joyeux et heureux. « L'été je travaillais à la ferme : planter les choux, arracher les pommes de terre… jamais à la plage mais j'étais heureuse d'être en contact avec la nature. »
 
C'est là qu'elle va développer sa passion pour les animaux. C'est son refuge. « Avec mon premier salaire, j'ai acheté une chienne puis une jument, un âne, un bouc, un lapin… ça m'a permis de supporter les difficultés que j'ai eues dans ma vie, j'ai compensé avec les animaux. » C'est aussi au contact de la terre et au fil des épreuves qu'elle va se découvrir. C'est comme ça qu'elle va se façonner une personnalité, se forger le caractère d'une femme capable de s'engager pour aller jusqu'au bout.

La poisse de jeunes agriculteurs

À 18 ans, Lydie perd sa sœur de deux ans son aînée, emportée en 14 jours à cause d'une tisane amincissante pourtant achetée en pharmacie retirée depuis de la vente. Lydie, rendue malade elle aussi par cette tisane, s'en sort et décroche malgré tout son bac. « C'est la première difficulté de la vie que j'ai eue. »
 
Elle prépare alors un BTS en alternance qui lui permet de trouver un travail de secrétaire commerciale. C'est aussi la rencontre avec Vincent qui va devenir son mari. Il a une entreprise de travaux agricoles. « Il m'imaginait déjà dans son bureau pour la comptabilité », se souvient Lydie mais Vincent est victime d'un grave accident, il doit tout abandonner.
 
Par la suite, il s'installe sur une ferme de 11 ha, Lydie l'aide après ses journées de travail mais c'est trop petit pour vivre et ce n'est pas facile de trouver de la terre. Ils continuent à chercher. Ils ouvrent un gîte rural au Mont-Dol mais ça ne suffit pas. Ils trouvent une exploitation de 26 ha où ils projettent de faire une ferme pédagogique mais la vente leur échappe.  

« C'est ça que je veux faire ! »

Lydie ne baisse pas les bras, ils viennent de se marier, elle décide de préparer un diplôme de diversification agricole à Pontivy. « C'est là que j'ai découvert les chèvres angora. Je suis tombée sous le charme et je me suis dit : c'est ça que je veux faire ! » À Pontivy, elle noue des relations qui lui permettront de se lancer.
 
Deux enfants naissent au foyer, Lucie puis Gabriel. Lydie démissionne de son poste de secrétaire pour s'en occuper. Vincent, lui, réussit à « remonter en terres », il produit des céréales pendant que Lydie s'occupe des deux gîtes.
 
Le 5 mai 2005, « Un coup de téléphone… c'est un éleveur de chèvres angora de la Manche, Monsieur Rouault, qui veut me céder son troupeau : il arrête son activité. Sur le coup, je ne me sens pas prête, ce n'est pas le moment … » Mais rapidement, Lydie se dit que c'est une chance à ne pas manquer : « Si je ne la saisis pas, quelqu'un d'autre prendra le troupeau et, avec, la place de marché à Dinard. » Alors elle rappelle l'éleveur et tout va très vite. 

La vie si dure et si douce de Lydie la chevrière

Dans la chèvrerie, une joyeuse pagaille !

« J'ai commencé avec 17 chèvres, je faisais deux tontes, cela m'a permis de démarrer doucement tout en m'occupant de mon bébé. J'ai appris sur le tas ! »  Vincent et Lydie aménagent les bâtiments du « Petit Four », à la Gouesnière, pour les chèvres puis achètent en 2008 la ferme « les Saudrais » où ils sont aujourd'hui.
 
« Allez les filles ! » s'impose -t-elle pour se frayer un chemin en entrant dans la chèvrerie. « Marie grimpeuse ! » est une jeune mère qui vient de franchir la balustrade, Lydie fait un rappel à l'ordre : « J'ai des chipies dans le lot ! » C'est l'année des « J », Jonquille qui gambade autour de sa mère « Jacinthe », a dix jours. « On essaie de trouver un lien entre le prénom de la mère et celui du bébé ».
 
Les « mamans » et les « bébés » sont d'un côté, les adultes mâles de l'autre. « Quand les mères mettent bas, je sais par leur regard ou leur attitude si elles ont besoin de moi. » Ses chèvres font partie de sa vie : « Je me suis accrochée à la vie grâce à mes chèvres. Avec tout ce que j'ai traversé, j'avais trop souffert ! Ce sont mes chèvres qui m'ont portée mais j'ai aussi mis ma vie en péril pour elles. » Jamais elle ne les abandonnera : soumis à des problèmes de santé et à des difficultés financières, Lydie et Vincent vendront tout pour continuer l'activité.

La vie si dure et si douce de Lydie la chevrière

Un prix au Salon de l'Agriculture

Ce cheminement au travers des évènements douloureux qu'elle vit lui fait découvrir qui elle est, sa propre force de résistance. Elle ne renoncera pas et ouvre sa boutique Le Mohair de la Côte d'Émeraude le 3 août 2009. C'est une deuxième victoire !
 
Pour améliorer la qualité de la laine angora, elle fait de la sélection, en lien avec Capgènes. En 2010, au Salon de l'agriculture, grâce à « Gourmand », qui améliore le poids de toison du cheptel, elle voit son travail récompensé par un prix. C'est un moyen de se faire connaître. Deux ans plus tard, elle organise une opération portes-ouvertes avec le soutien de la chambre d'agriculture.
 
« Chaque matin, après avoir emmené les enfants à l'école, j'enfile ma cote et je viens nourrir les chèvres puis l'âne, le cochon et les poules. Après, je cure les étables et je les paille. Tout ça me prend beaucoup de temps mais elles me le rendent bien. »

La vie si dure et si douce de Lydie la chevrière

De la Manche au Tarn, une chaîne de fabricants

La tonte se fait tous les six mois et représente un gros travail. La dernière a eu lieu les 12 et 13 février. On commence par les plus jeunes et il faut finir le lot car les animaux ne se reconnaissent plus : « Moi je les reconnais toutes, je les connais par cœur. » Quand la tonte est faite, il faut trier et mettre la toison par sac avec le numéro de l'animal dessus. 
 
Après la tonte de février, tous les producteurs de la coopérative se retrouvent chez un éleveur, cette année c'était en Ardèche. Chacun dépose sa « tonte » à la coopérative de Castres dans le Tarn. Six mois après, les éleveurs reçoivent le rendu après lavage et peuvent choisir les produits finis dans les coloris de leur choix en fonction de la laine fournie.
 
Lydie envoie alors les écheveaux de laine à « ses tricoteuses » dans la Manche  qui réalisent les produits à sa demande : des châles aux chaussettes en passant par les bonnets, écharpes… plaids. « J'adore ouvrir mes cartons pour découvrir ma collection, mes super ponchos et les chaussons super Mérinos. » « Les bébés font les chaussettes et les mamans les plaids », ajoute-t-elle : il faut des animaux de tous les âges et des deux sexes pour pouvoir offrir le plus grand choix possible.

La vie si dure et si douce de Lydie la chevrière

« Ce n'est plus de la passion mais de la rage ! »

« Avec tout ce que j'ai traversé, pour m'obstiner comme je le fais, ce n'est plus de la passion mais de la rage ! » soupire-t-elle. C'est un combat qu'elle a mené au fil des années. Elle ne peut pas échouer dans cette entreprise, elle a imposé tant de sacrifices à sa famille. Elle leur doit la réussite. 
 
En même temps, son entreprise donne un sens à sa vie. Il y a cet attachement à ses animaux mais aussi les liens avec d'autres éleveurs qu'elle rencontre régulièrement et avec qui elle peut parler de ses difficultés. Elle a le sentiment de faire partie d'une communauté qui la comprend et la soutient. Quatre-vingts éleveurs de toute la France sont réunis dans la coopérative ; en septembre, ils se retrouvent trois jours pour l'assemblée générale et pour se former. C'est à la coopérative de Castres que Lydie a appris à trier la laine et évaluer sa qualité.

Un produit artisanal exigeant

Elle évoque aussi sa façon de participer à l'économie de son pays de façon intelligente en se donnant pour objectif de produire de la qualité même si elle n'est pas rémunérée à sa juste valeur. Lydie se sent faire partie de la chaîne, elle est un maillon dans cette production qui permet à de nombreux producteurs et artisans de vivre dans ce monde paysan dur où il n'est pas facile de se faire une place au soleil !
 
Aujourd'hui, elle reste bien consciente d'imposer un mode de vie à sa famille. « Nos produits exigent beaucoup de travail comme tous les produits artisanaux mais je considère que ce ne sont pas des produits de luxe. Tout dépend des priorités qu'on se donne. Il y a des gens qui ont envie de consommer différemment, qui cherchent à retrouver un confort avec une sensation de retour à la nature. En fait, notre travail n'est pas rémunéré à sa juste valeur, c'est impossible ! »
 
Agnès Blaire
 
Photos: Marie-Anne Divet 

POUR EN SAVOIR PLUS :

L'association interprofessionnelle du mohair français
 





1.Posté par Vuillemin Annick le 28/05/2014 18:42
Je suis très marquée par ce témoignage fort et plein d'espérance pour les jeunes générations que nous devons encourager et soutenir dans leurs projets.
Une question : Comment peut-on acheter des produits tricotés quand nous n'habitons pas la Bretgane
Très cordialement

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