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1973. L’année où le jeune Mohamed quitte son pays natal pour s’inscrire en maîtrise de droit à la faculté de Rennes, il n’imagine pas un instant qu’il ne quittera plus la Bretagne. Son cursus universitaire s’enrichit d’un DESS de droit des affaires, puis d’un diplôme professionnel de conseiller juridique et fiscal, métier qu’il exercera par la suite.
L’exil, loin de Tunis
L’exil, loin de Tunis
Ses premières années d’exil voient le jeune étudiant soucieux du sort de ses compatriotes immigrés comme lui. Il créé une association sportive des tunisiens pour lutter contre le déracinement dans la capitale bretonne. Les matches de foot qu’il arbitre sont l’occasion de rencontres dont l’objet vise à prévenir dépressions et alcoolisme.
1977. La mairie de Rennes passe à gauche. Edmond Hervé est élu maire. Jusque là, la communauté maghrébine migrait d’une salle à l’autre pour se réunir. La nécessité d’un lieu qui lui soit affecté est admise par la nouvelle municipalié. Progressivement, l’idée d’une structure mixte culturelle et cultuelle émerge. Elle finit par aboutir en 1983 par l’inauguration d’un ensemble, à la fois mosquée et centre culturel, dans le quartier du Blosne, les murs restant propriété de la ville. Mohamed, qui en est l’un des responsables, y défend un Islam qui veut s’intégrer dans la cité, mais aussi qui dialogue.
Les rencontres avec les prêtres catholiques de la pastorale des migrants inaugure l’ère du dialogue interreligieux à Rennes. Après quelques péripéties, dont deux plastiquages attribués à l’extrême droite, l’implantation de centre est une réussite. « Pour soutenir ma conception d’un Islam qui prenne en compte la culture française et les lois de la République, en ne se voulant pas transplanté à partir des pays d’origine, j’ai du beaucoup m’investir, car les résistances étaient nombreuses. »
1977. La mairie de Rennes passe à gauche. Edmond Hervé est élu maire. Jusque là, la communauté maghrébine migrait d’une salle à l’autre pour se réunir. La nécessité d’un lieu qui lui soit affecté est admise par la nouvelle municipalié. Progressivement, l’idée d’une structure mixte culturelle et cultuelle émerge. Elle finit par aboutir en 1983 par l’inauguration d’un ensemble, à la fois mosquée et centre culturel, dans le quartier du Blosne, les murs restant propriété de la ville. Mohamed, qui en est l’un des responsables, y défend un Islam qui veut s’intégrer dans la cité, mais aussi qui dialogue.
Les rencontres avec les prêtres catholiques de la pastorale des migrants inaugure l’ère du dialogue interreligieux à Rennes. Après quelques péripéties, dont deux plastiquages attribués à l’extrême droite, l’implantation de centre est une réussite. « Pour soutenir ma conception d’un Islam qui prenne en compte la culture française et les lois de la République, en ne se voulant pas transplanté à partir des pays d’origine, j’ai du beaucoup m’investir, car les résistances étaient nombreuses. »
Veiller sur les âmes et surtout sur les hommes
Au début des années 2000, l’Administration Pénitentiaire commence à s’inquiéter du prosélytisme de certains détenus musulmans. L’assistance spirituelle en détention n’était alors dispensée que par les aumôniers des cultes historiques chrétiens et juifs. « La direction de la prison Jacques Cartier de Rennes, puis l’administration régionale me contactent pour organiser la vie religieuse des musulmans incarcérés. Je n’ai pas hésité. J’ai dit oui avec comme seule réserve de pouvoir me conformer à tous nos rites traditionnels. »
Tout était à construire. « J’ai bénéficié de l’aide et des conseils des aumôniers catholiques. Mais il me fallait une salle de prière ouverte le vendredi et disposant d’une surface libre au sol, ce qui chamboulait l’organisation interne de la prison, sans compter l’achat de tapis.»
Après de rudes négocations, l’Administration Pénitentiaire accepte les aménagements nécessaires et intègre dans le cahier des charges des nouvelles prisons, la création d’une salle multicultuelle de 60 m2. « Mon rôle a alors été mieux identifié par les détenus musulmans auxquels j’apportais un soutien moral en cellule ou au mitard. Ils ont pu vivre leur religion de façon apaisée en observant rites et célébrations des fêtes traditionnelles, ce qui a limité l’emprise des plus radicaux. »
Tout était à construire. « J’ai bénéficié de l’aide et des conseils des aumôniers catholiques. Mais il me fallait une salle de prière ouverte le vendredi et disposant d’une surface libre au sol, ce qui chamboulait l’organisation interne de la prison, sans compter l’achat de tapis.»
Après de rudes négocations, l’Administration Pénitentiaire accepte les aménagements nécessaires et intègre dans le cahier des charges des nouvelles prisons, la création d’une salle multicultuelle de 60 m2. « Mon rôle a alors été mieux identifié par les détenus musulmans auxquels j’apportais un soutien moral en cellule ou au mitard. Ils ont pu vivre leur religion de façon apaisée en observant rites et célébrations des fêtes traditionnelles, ce qui a limité l’emprise des plus radicaux. »
Mohamed n’en reste pas là . Il met sur pied une aumônerie régionale. Faute de budget, les confrères recrutés sont tous bénévoles et se déplacent à leurs frais, alors que leurs homologues catholiques, protestants ou juifs sont rétribués par l’Etat, loi de 1905 oblige. Aujourd’hui cette situation n’est plus tenable. Les attentats parisiens du début 2015 ont contribué à débloquer la situation. Aussi l’annonce par le Premier ministre de la création, sur deux ans, de 60 postes d’aumôniers professionnels musulmans tombe t-elle à point nommé.
Pour un Islam de France modernisé
Pour construire un Islam moderne en France, une relecture de son passé colonial s’avère indispensable « Il faut sortir de l’Islam mosaïque qui remonte à la Troisième République, car il lie les croyants à leur pays d’origine et favorise le communautarisme. » Le Conseil Français du Culte Musulman, censé représenter tous les fidèles, en porte la trace et n’a toujours pas , à ce jour, trouvé son unité.
Lorsqu’il évoque cette situation, Mohamed Loueslati se départit de son calme et porte avec force ses convictions « La réponse est républicaine. Il faut pour la France un Islam compatible avec les valeurs de la République et des Lumières, servi par des gens éduqués qui respectent la laïcité et qui soient ouverts à l’exégèse des écritures. » Pour lui, c’est une condition nécessaire « pour rompre avec la tutelle des pays d’origine et leurs consulats que privilégie le Ministère de l’Intérieur. »
Lorsqu’il évoque cette situation, Mohamed Loueslati se départit de son calme et porte avec force ses convictions « La réponse est républicaine. Il faut pour la France un Islam compatible avec les valeurs de la République et des Lumières, servi par des gens éduqués qui respectent la laïcité et qui soient ouverts à l’exégèse des écritures. » Pour lui, c’est une condition nécessaire « pour rompre avec la tutelle des pays d’origine et leurs consulats que privilégie le Ministère de l’Intérieur. »
Les enjeux d’un Islam gallican sont conséquents. Parmi les objectifs, les formations sont prioritaires .« Aujourd’hui les jeunes vont se former en Arabie Saoudite ou en Egypte. Ils reviennent en France et peuvent , quand ils trouvent de l’argent, construire une mosquée et s’autoproclamer imams (……) C’est aux Français musulmans de financer la création d’une structure universitaire chez nous pour les futurs imams et aumôniers. Nous avons des experts, intellectuels ou chercheurs, dont les talents ne sont pas, ou mal, utilisés. »
Optimiste, Mohamed croit qu’un lslam de France enfin émancipé « influencerait à moyen terme et en une génération l’Islam des pays d’origine d’Afrique et du Moyen-orient. »
Optimiste, Mohamed croit qu’un lslam de France enfin émancipé « influencerait à moyen terme et en une génération l’Islam des pays d’origine d’Afrique et du Moyen-orient. »
L’homme du dialogue interreligieux
Témoin et acteur de la vie des centres Avicenne ou Blosne, l’ancien conseiller juridique souligne : « Le dialogue entre les religions est facilité lorsque les murs d’un lieu sont municipaux comme à Rennes. L’ouverture est une obligation, et limite les possibilités d’accaparement. » Les freins, car il y en a, « viennent de l’inertie des communautés et des municipalités. » Le Coran, précise t-il, « contient nombre de citations sur Marie, les miracles de Jésus ou les prophètes . Lu avec intelligence, il peut favoriser le vivre ensemble. »
C’est notamment ce qu’une tradition bretonne ancienne perpétue à Vieux Marché (Côtes d’Armor) où sont honorés les sept dormants d’Ephèse, lors du pardon islamo-chrétien annuel. Y est lue, après la grand-messe, la sourate 18 dite des gens de la caverne (2), récitée tous les vendredis par les musulmans. « Pour l’Islam qui est une religion d’ouverture, les sept saints chrétiens persécutés au IIIe siècle par les Romains, sont des héros fidèles à leur foi, qui croyaient à la résurrection comme nous », commente t-il en pardonner assidu.
Chrétiens et musulmans ne se rencontrent pas facilement en France. Le pardon des Sept saints a donc une valeur spirituelle et sociétale. Lieu de rencontres et de médiation interculturelle, avec son église construite sur un dolmen, sera-t-il le ferment d’un dialogue renouvelé ?
Texte et vidéos : Bertrand Le Brun
C’est notamment ce qu’une tradition bretonne ancienne perpétue à Vieux Marché (Côtes d’Armor) où sont honorés les sept dormants d’Ephèse, lors du pardon islamo-chrétien annuel. Y est lue, après la grand-messe, la sourate 18 dite des gens de la caverne (2), récitée tous les vendredis par les musulmans. « Pour l’Islam qui est une religion d’ouverture, les sept saints chrétiens persécutés au IIIe siècle par les Romains, sont des héros fidèles à leur foi, qui croyaient à la résurrection comme nous », commente t-il en pardonner assidu.
Chrétiens et musulmans ne se rencontrent pas facilement en France. Le pardon des Sept saints a donc une valeur spirituelle et sociétale. Lieu de rencontres et de médiation interculturelle, avec son église construite sur un dolmen, sera-t-il le ferment d’un dialogue renouvelé ?
Texte et vidéos : Bertrand Le Brun
(1) L’Islam en prison est la profession de foi d’un homme qui, depuis 25 ans, s’investit totalement dans sa mission au service de ses frères musulmans détenus. Dans son credo il atteste que « la foi en Dieu ne suffit pas, il faut avoir aussi une foi profonde en l’être humain, se dire qu’il peut changer et que l’on peut y contribuer ». C’est aussi le témoignage d’un croyant, citoyen défenseur de la laïcité, qui esquisse ici les contours d’un Islam de France moderne, républicain. Un modèle qu’il appelle de ses vœux et qui reste à construire.
L’Islam en prison de Mohamed Loueslati, 130 p., 16 €, éditions Bayard.
L’Islam en prison de Mohamed Loueslati, 130 p., 16 €, éditions Bayard.