2001 : garde à vue pour un scoop sur la réforme de l'armée. 2003 : interpellé pour avoir envisagé la succession de Biya, le président indévissable du Cameroun. 2007 : cassé par l'actionnaire... Haman Mana, tel un phénix, est toujours là, revenant et entreprenant sans cesse par amour du papier et de la liberté.
Un destin naît souvent entre copains. À 18 ans, le bachelier, fils d'institutrice et d'officier, s'imagine plutôt prof d'Histoire. Après un an de fac, des amis l'entraînent à l'École de Journalisme de Yaoundé. À la sortie, il est embauché par le Cameroon Tribune, le quotidien du pouvoir. Mais c'est à une période qui lui convient bien !
Un vent de liberté s'est levé avec la chute du Mur de Berlin. Les pouvoirs africains sont secoués par l'appel à la démocratie lancé en juin 1990 par Mitterrand au Sommet de La Baule. Haman Mana vit « des années de braise ». Le Cameroon Tribune continue de combattre le multipartisme, ce qui provoque des « déchirements internes ». Haman Mana finit par mal le supporter : en 1993, il démissionne.
Il repart en fac, chôme, conduit des taxis pour vivre, il a déjà 2 filles, mais il est habité par un virus : créer un journal. Il l'a contracté étudiant en lançant « Ozone », un éphémère mensuel sur l'environnement. Cette fois, c'est le grand saut. En juillet 96, il lance « Mutations ». Rien à voir avec la presse camerounaise en place. Une ligne jeune, le style Libé, un contenu distancié, un journal de professionnel. Et ça marche. « C'est magnifique », vibre encore Haman Mana.
Des gendarmes dans la rédaction
« Mutations » se développe. En 2002, il devient quotidien, indépendant ce qui est une première, et dérange toujours. L'épisode de 2003 où Haman Mana est interpellé pour avoir envisagé la succession de Biya à la prochaine présidentielle situe le climat. Par peur des représailles, l'imprimeur a refusé de tirer « Mutations », un autre imprimeur a été trouvé, des gendarmes surgissent alors dans la rédaction, saisissent le matériel puis le journal dans les kiosques...
… Et « Mutations » continue de grimper. 10 000 exemplaires sur Yaoundé et Douala, les deux capitales, politique et économique. Haman Mana lance un « Les Cahiers de Mutations », un supplément d'analyses, et « Situations », un hebdo plutôt people. Du coup, c'est l'actionnaire qui s'en mêle. Tout cela lui donne de l'appétit.
En 2007, il veut évincer Haman Mana. « Le clash : comme si, dans un match de foot, on change les règles à la 85ᵉ minute. » Après un été de « crise terrible » où deux rédactions sortent chacune leur « Mutations », Haman Mana entraîne avec lui une partie des rédacteurs et, en septembre, lance « Le Jour », aujourd'hui leader des quotidiens camerounais.
Les petits satrapes
« J'aime le journalisme, c'est une passion, explique-t-il simplement : faire naître un journal, concevoir, mettre les talents en musique, feuilleter le journal qu'on a fabriqué, lancé d'autres journaux... ». C'est ainsi qu'il a encore créé un magazine de grandes enquêtes au début 2013.
Pourtant, « les mesures de rétorsion sont très sérieuses : ces derniers jours, on a eu peu de publicités, d'appels d'offres publics, on fait avec, on l'a intégré. C'est l'équation habituelle de la presse libre. » Mais, l'étau du pouvoir n'est pas toujours serré. « Ce qui est difficile, précise Haman Mana, c'est de gérer les rapports avec les petits satrapes qui utilisent le pouvoir de leur charge pour le fric, la prévarication. »
En 2009, Haman Mana a ajouté au journal une maison d'éditions, les éditions du Shabel. En septembre 2010, il a sorti le très beau livre Rois et Royaumes Bamiléké avec sa collègue Mireille Bisseck.
« On veut une éclaircie, de l'oxygène ! »
Il y a des beaux livres, des biographies dont le « Vu de ma cage » du célèbre gardien de but Joseph Antoine Bell, mais aussi cette grande enquête sur les prisons camerounaises réalisée par le collectif de journalistes Jade, « Geôles d'Afrique », dont nous avons déjà parlé ici.
Comment Haman Mana, que l'hebdomadaire Jeune Afrique a classé parmi « Les 50 qui font le Cameroun », peut-il publier un tel livre ? « Je ne suis pas considéré comme un ennemi. En fait, la liberté est un besoin universel et il leur faut des personnages comme nous, qui écrivent ce qu'ils veulent à condition que le pouvoir du Président ne soit pas remis en cause : c'est le cas de Geôles d'Afrique. »
Comment Haman Mana, que l'hebdomadaire Jeune Afrique a classé parmi « Les 50 qui font le Cameroun », peut-il publier un tel livre ? « Je ne suis pas considéré comme un ennemi. En fait, la liberté est un besoin universel et il leur faut des personnages comme nous, qui écrivent ce qu'ils veulent à condition que le pouvoir du Président ne soit pas remis en cause : c'est le cas de Geôles d'Afrique. »
Le pire est le blocage politique qui paralyse les esprits. « Le Cameroun est une mer d'huile, sans vagues. Les citoyens, si l'on peut encore parler de citoyens, forment une constellation d'individus qui n'ont qu'un souci : la survie. » Paul Biya, 80 ans, est au pouvoir depuis plus de 30 ans : « Je ne peux pas prédire combien de temps prendra la sortie » de ce système.
« On veut une éclaircie, de l'oxygène ! », dit-il. Et, à 45 ans, il continue à en réclamer au nom de tous, journal en main : « J'ai besoin de l'adrénaline du bouclage, ça fait trois semaines que je suis parti, j'ai envie de rentrer, je ne peux pas vivre sans ça. »
Michel Rouger