« Voir les familles d’agriculteurs participer à la construction du pays. » C’est le souhait qui anime Théogène Kambere Sikiryamava. Voilà seize ans que le paysan diplômé en sciences politiques travaille auprès d’instances de sauvegarde des droits humains.
Il faut dire que Théogène vit dans un pays, la République démocratique du Congo (ex-Zaïre), où la pauvreté et la malnutrition – voire la famine – sévissent depuis près de trente ans. « L’État n’investit que 2 à 5% du budget national dans l’agriculture. Et les décisions sont prises sans tenir compte des préoccupations des agriculteurs, qui nourrissent pourtant la majorité de la population », s’indigne-t-il.
La mère de Théogène fut une des cinquante co-fondatrices de l'association Uwaki, l’Union des femmes paysannes du Nord-Kivu (Umoja Wa mama wa Kulima Wa Kivu Ya Kaskazini en swahili), branche féminine, devenue autonome depuis, de l'ONG congolaise Solidarité Paysanne. C'était en 1985, à l’ère du dictateur Mobutu. Théogène avait alors 15 ans.
La mère de Théogène fut une des cinquante co-fondatrices de l'association Uwaki, l’Union des femmes paysannes du Nord-Kivu (Umoja Wa mama wa Kulima Wa Kivu Ya Kaskazini en swahili), branche féminine, devenue autonome depuis, de l'ONG congolaise Solidarité Paysanne. C'était en 1985, à l’ère du dictateur Mobutu. Théogène avait alors 15 ans.
Paysan, diplômé, engagé
Le jeune agriculteur choisit d’étudier. Son diplôme des Humanités en poche, il commence par enseigner dans le secondaire. Bientôt cependant, cela ne lui suffit plus. Il veut agir pour le développement de son pays. Il entre alors à l’université et décroche à 30 ans une licence de sciences politiques administratives, avec une spécialisation en politiques agricoles.
Depuis, Théogène multiplie les engagements. Il est aujourd'hui chargé de programme d’Uwaki. Il organise les activités de l’association et se montre un fervent promoteur d’une véritable politique agricole et foncière. Mais ce n'est pas tout. Il est membre du Collectif des associations de droits de l’homme, de l’Association des femmes médecins, également – avec son épouse – de l’organisation « Action citoyenne pour le développement et la non violence ».
Père de cinq enfants, il fut également conseiller politique à la Société civile de Goma. Et puis, il voyage. A la rencontre des associations de l’Afrique des Grands Lacs, mais aussi vers d’autres continents, pour participer à des forums. Sa curiosité semble insatiable.
« Attends, je vais te montrer… »
Invité en mars du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD)-Terre solidaire d’Île de France, qui soutient Uwaki depuis trois ans, il est allé de rencontres en conférences. Théogène est un homme de plaidoyer.
Rendez-vous est pris dans un café, face au palais de justice de Versailles. Tout un symbole. Avec son manteau orange vif, il semble décalé sous la pluie versaillaise. Sa petite moustache et sa silhouette ronde lui donnent l’air boute-en-train. D’une voix douce, il m’expose longuement le travail de son association.
« Uwaki fonctionne comme une coopérative agricole. » Mutuelle de solidarité, micro crédit, fédérations agricoles regroupées par filières (riz, manioc, etc), 3 600 femmes, 5 groupements de femmes… Avant que j’aie pu réagir, il me prend le stylo des mains et s’empare de mon bloc-notes. « Attends, je vais te montrer pour que tu comprennes bien. » Et le voilà lancé dans le tracé méticuleux d’un organigramme.
« Nous nous battons pour le droit des femmes à la terre »
Très tôt, Théogène a été sensibilisé aux droits des femmes au sein de Solidarité paysanne. Il n’est pas pour autant un féministe. Juste un égalitariste luttant contre la faim. Et les femmes ont un rôle clé dans l’agriculture. « Nous nous battons pour le droit des femmes à la terre. La coutume veut que les enfants masculins héritent de la terre. Parfois même, la belle famille chasse la veuve à la mort de son époux, alors que c’est elle qui exploite les champs. Mais si les femmes ne sont pas présentes au Parlement, nos actions ne sont pas relayées. On incite donc les femmes à voter pour d’autres femmes. »
Plaidant pour des relations sereines dans les familles, Théogène milite aussi pour le retour à la paix dans son pays. Un souci né d’une longue cohabitation avec la guerre.
Les activités d’Uwaki se trouvent aujourd’hui entravées par la rébellion du Mouvement du 23 mars (M23). Un groupe rebelle qui combat l’armée gouvernementale depuis mai 2012. « Il y a la guerre dans les villages voisins. A Goma, on doit s’enfermer dans les maisons. C’est une horreur. »
Lutter contre la guerre civile qui tue aussi l'économie
Le Nord-Kivu est la proie des armes depuis une vingtaine d’années. Après le génocide Rwandais de 1994, des centaines de milliers de réfugiés s’établissent à Goma. « A l’époque, j’ai vu beaucoup de cadavres le long des routes, morts à cause de la faim et de la maladie », raconte Théogène. Depuis, le conflit interethnique s’est déplacé dans son pays. « À cause de la guerre civile, on a dû fuir notre village en abandonnant nos champs, donc notre nourriture. On a perdu notre droit à la sécurité et à la paix. »
Les familles rurales déracinées se sont alors concentrées dans les grandes villes. « Mais elles sont toujours ravitaillées par le produit de leurs terres. Si les gouvernants ne mettent pas fin à l’insécurité, comment vont-elles se nourrir ? » Uwaki a donc élargi le champ de ses actions, « pour que les femmes puissent vaquer à leurs travaux ». L’association accompagne aussi les nombreuses victimes de viol.
Café du Palais. Théogène s’apprête à rejoindre le CCFD, pour une nouvelle rencontre publique. Il quitte la France dans quelques jours et bouillonne de projets. Son débit s’accélère – incompréhensible pour moi – alors qu’il s’enthousiasme pour de nouvelles idées, comme la création d’un « produit certifié dans le marché équitable ». La tête légèrement renversée vers l’arrière, le regard brillant et lointain, il paraît avoir oublié ma présence. Déjà parti. Impatient de nouvelles réalisations.