« Albert Einstein l'a dit... »
Déjantée, Marie Chiff'mine ? Non. Mais drôlement gonflée sûrement. Bon. Arrêtons de filer la métaphore. Le vélo ne trimballe pas seulement des tas de mots de la vie courante... La puissante bécane garée là, ce midi, à Redon, en partance pour Questembert, transporte une vraie philosophie de la vie. D'ailleurs, rappelle Marie Chiff'mine en harnachant sa monture : « Albert Einstein l'a dit : « "La vie est comme une bicyclette, il faut avancer pour ne pas perdre l'équilibre"... »
C'est ainsi que le 1ᵉʳ avril dernier, Marie-Claire Sauvée, à l'état-civil, a enfourché l'un de ses vieux rêves : « Vivre lentement sur une longue durée, avec un moyen de transport offrant la liberté, proche de la nature, sans CO², pour rencontrer les conteurs, des gens de la parole. » Ce projet, elle le portait profondément en elle : « J'étais travaillée physiquement, je me sentais comme enceinte. »
« "Tu vas où ?" "Tu viens d'où ?" : c'est ça les questions de la vie »
Voilà donc la Bretonne partie pour la Baltique, l'Estonie où l'attend une amie conteuse. Son deux-roues, baltisé Tasakaal (équilbre en estonien), l'emmène d'abord de Bretagne en Grande-Bretagne. Et tout de suite survient la rencontre, le « maître-mot du voyage ». Dans une côte, un cycliste se met à la pousser : « Il m'a raconté sa vie, qu'il habitait en Espagne, était venu enterré sa mère, s'était séparé de sa femme mais en était encore amoureux... »
Les « Gens de Passage Sympathiques »(son GPS) vont la guider partout, surtout ses frères et sœurs en pédalage. Dès son arrivée en Estonie, une cycliste papote une demi-heure à un feu. « Tout le temps, tu entends "Tu vas où ?" "Tu viens d'où ?" Alors, le soir, je me dis : « Ben oui, c'est ça les questions de la vie. Tu viens d'où : c'est quoi tes racines ? Et tu vas où : que veux-tu faire de ta vie ? »
« On réveille aussi les rêves des autres. »
« J'aime bien cette citation, poursuit la conteuse vélosophe : "Voyager, c'est aller de soi à soi en passant par les autres". » En même temps, elle-même, bien sûr, détonne, étonne, interroge. « Un jour, en Angleterre, un étudiant chinois s'arrête dans un virage : "Ah, j'aimerais bien faire ça !" . Moi : "Fais-le !". Quand on réalise son rêve, on réveille aussi les rêves des autres. »
Rencontrer Marie Chiff'mine, ici ou là-bas, c'est comme une bouffée d'air pur, comme respirer avec elle les forêts d'Estonie, respirer la nature, un autre de ses jardins. Elle n'en a pas manqué là-bas. Les géraniums sauvages dans les champs, la lumière bouleversante des nuits de pénombre, les sept chevreuils qui surgissent devant Tasakaal : « Vlouff ! Ils auraient pu me rentrer dedans ! Ils m'ont regardée et ils sont repartis. »
« L'errance fait partie de la vie »
« Je me suis imaginé, songe-t-elle, ce qu'ils pouvaient penser de moi en train de passer devant eux. Je vais m'en servir. Des arbres aussi : les arbres qui me regardent, me saluent : "Bonjour"... » L'imagination de la conteuse aura souvent galopé plus vite que Tasakaal pendant ces six mois, nourrie de surprises quotidiennes : les surprises de l' « errance », un autre mot cher à Marie Chiff'mine.
« L'errance fait partie de la vie. Dans les contes, le héros se perd et c'est là qu'il va rencontrer quelqu'un, quelque chose, un animal qui va tout changer. Il y a un belle citation : "Si tu demandes ton chemin, tu ne vas pas pouvoir te perdre ; quelque fois, il faut se perdre pour se trouver". »
Au Festival Baltica (Photo du blog Guidon Conteur)
L'errance d'une conteuse bretonne en Estonie aura été bien sûr le sommet du voyage. Récréant ses histoires avec son amie estonienne pour que celle-ci puisse en traduire toutes les saveurs, Marie Chiff'mine a conté en trois langues (français, gallo, anglais) et participé à de nombreuses rencontres notamment le grand Festival des Pays Baltes début juillet. Elle a ainsi glissé sa partition bretonne parmi les magnifiques chants et danses baltes inscrits au patrimoine immatériel de l'Unesco.
Trente ans de scène
Les Estoniens ont pu à leur tour découvrir combien Marie Chiff'mine est , comme on l'a dit, une « jardinière des mots » qu'elle sème, fait grandir, cueille, à l'image de l'amoureuse de sa terre qu'elle est aussi, cette terre de Brocéliande qu'elle a retrouvé en rentrant chez elle dimanche 29 septembre à Landujan.
Le grand voyage (à retrouver sur son blog Guidon Conteur ) s'achève. Il n'est pas survenu par hasard. « 56 ans, née en 56 : c'est marrant d'avoir l'âge de sa date. Je me suis dit : "Qu'est-ce qu'on peut faire l'année où ça arrive ?" Et puis en 2014, je fêterai mes trente ans de scène : c'est comme ça que le rêve de ce voyage s'est imposé. »
Trente ans de scène
Les Estoniens ont pu à leur tour découvrir combien Marie Chiff'mine est , comme on l'a dit, une « jardinière des mots » qu'elle sème, fait grandir, cueille, à l'image de l'amoureuse de sa terre qu'elle est aussi, cette terre de Brocéliande qu'elle a retrouvé en rentrant chez elle dimanche 29 septembre à Landujan.
Le grand voyage (à retrouver sur son blog Guidon Conteur ) s'achève. Il n'est pas survenu par hasard. « 56 ans, née en 56 : c'est marrant d'avoir l'âge de sa date. Je me suis dit : "Qu'est-ce qu'on peut faire l'année où ça arrive ?" Et puis en 2014, je fêterai mes trente ans de scène : c'est comme ça que le rêve de ce voyage s'est imposé. »
Trente ans et bien davantage de théâtre, d'invention, de création rebelles. En 1975, l'institutrice de 19 ans, enseignante de hasard, appartient déjà à une troupe de théâtre engagé qui se lie au Théâtre de l'Opprimé du brésilien Augusto Boal. En 1979, dans les rues de Saint-Malo, un ami clown lui inocule sa vocation de conteuse. Stimulée par un séjour de deux ans au Canada, Marie-Claire Sauvé crée son premier spectacle de marionnettes en 1983.
La roue, la parole et la lenteur
Elle devient alors Marie Chiff'mine. « Faute de moyens, j'ai demandé à mes amis de me filer des chiffons, j'ai fait mon premier spectacle avec des chiffons et des ustensiles de cuisine ; ils ont lancé "Mais tu es une vraie chiff'mine" comme on dit en gallo. » Marie Chiff'mine ne reviendra à l'enseignement que par intermittence. En 1996, une année de « congé de mobilité » payée par l'Education Nationale (belle époque !) la fait entrer pour de bon dans la famille des conteurs.
En 2005, elle crée avec une amie le Festival des Gens du Lent à Landujan. La lenteur, une idée aujourd'hui subversive ! « Les gens sont mangés, parfois broyés, par des rythmes économiques et sociaux qui ne sont pas les leurs et ils en oublient de vivre », se révolte-t-elle, souriante dans son très féminin gilet fluo fleuri.
Désormais, se libérant du joug auto-restau-hôtel qui pèse sur les artiste, elle s'imagine partant en tournée sur son fidèle Tasakaal, unissant la roue et la parole qui l'une et l'autre font dans la vie, comme chacun sait, leur petit bonhomme de chemin.
Michel Rouger
Photos Marie-Anne Divet
29 SEPTEMBRE, LE RETOUR (EN IMAGES) À LANDUJAN
Photos Marie-Anne Divet
29 SEPTEMBRE, LE RETOUR (EN IMAGES) À LANDUJAN