BREST INTIME
Tout de Le Guillou se répète ici. Tout s’y renouvelle sans qu’aucune surprise ne surprenne ! C’est la raison pour laquelle on invoque le rêve en premier et la grêle, les pluies et toutes les formes de bruines. Le roman de Le Guillou n’est pas que météorologique, il est une géographie de l’âme.
Donc de l’amour.
Le Guillou nous fait revenir en arrière, travelling d’enfance et de grand-parentèle, de naufrages évités. C’est évidemment par plusieurs de ses récits qu’on sait par cœur que l’auteur ne serait pas là, n’écrirait pas, si le grand-père sous-marinier n’avait pressenti ce coup-là, avait remis sa mission, se distinguant d’un équipage à jamais dans les abysses.
C’est du fond de ces abysses un peu célestes que Le Guillou écrit et de là qu’il revisite le temps, le professorat, l’agrégation, l’espace avec ses haines habituelles dont la ville de Rennes, qui prend cher, à l’exception des deux sœurs Denieul qui tinrent longtemps Rue Hoche la fameuse librairie Les nourritures terrestres désormais vouée à la boulangerie-pâtisserie !
Le Guillou est l’écrivain breton le plus brestois, c’est-à-dire ouvert au large et à la mauvaise foi. Mais sa langue, mais cette langue, mais son langage gracquien, intact, nous appert, comme sorti directement des encyclopédies d’encycliques et de cyclopes. Le Guillou nous donne à voir, à sentir, à pétrir une terre, une église, des cathèdres et, sous les piliers, des rencontres !
Philippe Le Guillou est un autobiographe de la répétition, des sensations renouvelées dans les mêmes estuaires de l’Elorn ou de l’Aulne, au bord des mêmes églises magiques mangées de marées, dans les greniers de livres et d’amour. Il nous aventure dans celle de ses écrits, de la nrf, cet accueil gallimardien le plus haut qui l’honore et, avec lui, dans ses feux intérieurs, son intime d’âmes.
Brest est une ville reconstruite dont il lui faut haïr la reconstruction, détester ce que les anciens brestois ont trouvé droit, à l’équerre, transgressant ce qui était lacis, courbes de niveau et descentes vers les rades infinies. Il est de cette histoire double, ambivalente à sa ville et en appréciant tellement le Cours Dajot, les vues sur l’immense, l’ouverture amicale, et l’amour.
Les premières sont toujours éternelles.
Elles forment, elles inscrivent, elles durent et parfois même l’amoureux réapparaît, apparition enchanteresse. Le Guillou nous dit cela, la mort de l’amie chère, l’injuste cancer des choses, la disparition et la réapparition littéraire : in memoriam amicae. Sans illusion non plus mais dans l’espérance et l’odeur folle des vasières d’estran, des chambres et des livres à lire et relire. Le Guillou traverse à nouveau son histoire et celle de ses chers aïeux. Ils nous sont chers comme une retrouvaille : c’est le lieu, ce sont les liens, tout nous revient comme dans ses enquêtes subjectives une date. Un écart de deux ans livré dans un autre roman éveille l’erratum et fabrique le nouveau récit.
Brest est ici le centre. Brest est ici l’enchantée.
Brest des brumes et Brest du feu que sa parentèle ne peut revoir tant son âme est perdue dans le fracas guerrier, traumatique, et tant l’auteur s’avère brestois. Son second corps, celui sacré du roi, est une ville d’ouest, péninsulaire, donc blanche. Brest m’aime !
Gilles Cervera
Gallimard, février 2024, 397 pages, 22 €