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Le dictionnaire désamoureux de Rennes de Georges Guitton se poursuit !
Après le XXème littéraire passé au crible fin depuis Kundera, Violette Leduc à Kerouac entre autres, la virée archéologique rennaise remonte cette fois au XIX -ème ! Guitton remet à découvert un anti-rennisme latent. Même si les écrivains y sont nés, c’est comme s’ils ne faisaient que passer. Ils pourraient oublier l’étape, nier la naissance, obnubilés qu’ils sont par… Paris ! Surtout, par l’écriture, laquelle ressort de l’auto-engendrement ! Georges Guitton n’est jamais dupe de ce qu’il lit et il lit tout jusqu’aux petits trafics dont celui de sa date de naissance par Paul Féval ! Ce qui fait dire à l’auteur que les écrivains biaisent toujours. Il évoque joliment d’infimes truquages !
Féval est l’écrivain rennais par excellence. Un contre-exemple qui dit de sa ville le plus grand bien, y trouvant ses inspirations et la matière organique de ses feuilletons à succès. Guitton le croit même sur parole : Ses descriptions de Rennes sont dignes de foi. Non seulement elles ressuscitent avec précision le cadre patrimonial mais encore elles révèlent maints traits de la réalité sociologique et historique de Rennes. Lui seul, Féval a sa plaque rennaise sur l’Hôtel de Blossac. Il y est né et ses romans feuilletons trouvent dans le randonneur de quoi nourrir la chronique.
Georges Guitton a tout relu de ses neuf auteurs, les œuvres majeures et les plus oubliées. Dans les hors-radars, il sauve le magistère féminin avec l’œuvre de Raoul de Navery alias Eugénie Saffray, quatre ou cinq romans par an, catholiques et peu enclins à nommer Rennes où elle connut un mariage malheureux !
La littérature prime et peu importe le lieu où ça se passe et dont l’écrivain parle pourvu qu’il parle, écrive, voire (se) réinvente. L’enquêteur Guitton déjoue les pièges en trouvant forfaiture -Nerval est-il l’auteur du Marquis de Fayolle ?, dénégation voire amnésie- Leconte de Lisle, qui vient de l’île Bourbon à Rennes via Dinan, pourrait carrément caviarder sa première œuvre car médiocre et rennaise !
Georges Guitton cherche, érudise, fouine et fouille et c’est jubilatoire ! Le journaliste Guitton trouve le suspense, dégotte le fait divers en tant que turning-point existentiel ! Les Rennais ont leur bibliophile enjoué, c’est l’auteur de Rennes de Chateaubriand à Ubu !
Quel siècle ! Le XIXème invente le romantisme, la celtomanie, les mythologies modernes, c’est le siècle des falsificateurs géniaux dont l’architecte Viollet-Le-Duc pousserait la flèche à l’aigu. Ce siècle au besoin déforme, transforme à ceci près que Rennes, ville de murs et de plafonds, de rues et de rivières rattrape l’écrivain qui s’en défie !
La ville est d’écoles et de fonctionnaires, de profs avec faux-col et air austère !
Les écrivains y seront donc des potaches et leurs facéties potachiques. C’est le cas du grand René même s’il imagine et hyperbolise : Lecteur, je t’arrête : regarde couler les premières gouttes de sang que la Révolution devait répandre. Le ciel a voulu qu’elles sortissent des veines d’un compagnon de mon enfance. Du Chateaubriand ! Il transforme le plomb en or et le réel en mythe ! On a du mal à y croire écrit en écho Guitton ! Potache aussi ce Féval dont le proviseur exige que sa mère exfiltre le fauteur de troubles ou Leconte de Lisle et bien entendu Alfred Jarry dont l’emblématique Ubu a transformé le monde, pataphysiquement !
Joli paradoxe littéraire d’opposer l’art pour l’art de l’un, Leconte de Lisle, et la pataphysique de l’autre. La Vilaine ne sépare pas seulement la ville mais la littérature ! Et ce paradoxe rennais que d’aucun pose la ville en fond d’écran romanesque quand il reste à prouver que - par exemple - le grand Nerval y ait mis les pieds, alors qu’il en conta ! La question demeure, écrit Guitton, Nerval est-il venu à Rennes ? Est-il venu au château de l’Épinay, à l’abbaye de Saint-Sulpice, à Saint-Ouen-la-Rouërie pour y repérer les décors du roman ? Aucune trace de son passage en Ille-et-Vilaine…
Rennes, ville d’apprentissage et d’influences ! Sauf à proposer l’hypothèse que Flaubert et son fameux J’ai grande envie de devenir phoque adressé à Louise Collet en 1851 s’inspire d’un stand calamiteux sur le Champ de Mars à Rennes où barbotait un phoque censé dire papa-maman ! Une autre histoire que nous conte en détails le beau livre hommage à Gustave de Georges Guitton intitulé Le phoque de Flaubert paru pour le récent bicentenaire aux PUR.
Octave Mirbeau revient sur ses terres natales lors du procès des procès, celui de Dreyfus qui remue les remugles et divise la France (le monde !). Mirbeau y assiste sans rien en relater ! En 1880, dans Le Gaulois, Octave énonce des souvenirs de potache : Il y a quelque chose de plus triste que le porte d’une prison, c’est la porte d’un collège, quand les vacances finies, elles se referment sur vous, emprisonnant pour une année votre liberté cabriolante de jeune gamin... Guitton interroge : Rennes serait-elle pour Mirbeau une ville « lacrymale » ? C’est sûr s’agissant de ses souvenirs du Collège Saint-Vincent !
Ville d’apprentissage et de passage. Le grand Alexandre Dumas vient y boire une bolée - menu complet page 127 pour compléter une enquête sur le suicide rennais de l’amiral Pierre-Charles-Silvestre de Villeneuve accusé par Napoléon du marasme de Trafalgar ! Dumas n’en écrira au final rien et ne laissera aux Rennais que le buzz d’une visite éclair, de son humour grivois et une quasi impotence. Même vortex pour Dumas ou Kérouac un grand siècle plus tard ! On passe par Rennes et, en chaloupant, on en repart.
Le monde pour moi, c’était Paris ! s’écrie Paul Féval. Même lui !
Gilles Cervera
Georges Guitton
RENNES de Chateaubriand au Père Ubu / Ed Presses Universitaires de Rennes
Préface de Pascal Ory de l’Académie Française
20€ 180 p
Après le XXème littéraire passé au crible fin depuis Kundera, Violette Leduc à Kerouac entre autres, la virée archéologique rennaise remonte cette fois au XIX -ème ! Guitton remet à découvert un anti-rennisme latent. Même si les écrivains y sont nés, c’est comme s’ils ne faisaient que passer. Ils pourraient oublier l’étape, nier la naissance, obnubilés qu’ils sont par… Paris ! Surtout, par l’écriture, laquelle ressort de l’auto-engendrement ! Georges Guitton n’est jamais dupe de ce qu’il lit et il lit tout jusqu’aux petits trafics dont celui de sa date de naissance par Paul Féval ! Ce qui fait dire à l’auteur que les écrivains biaisent toujours. Il évoque joliment d’infimes truquages !
Féval est l’écrivain rennais par excellence. Un contre-exemple qui dit de sa ville le plus grand bien, y trouvant ses inspirations et la matière organique de ses feuilletons à succès. Guitton le croit même sur parole : Ses descriptions de Rennes sont dignes de foi. Non seulement elles ressuscitent avec précision le cadre patrimonial mais encore elles révèlent maints traits de la réalité sociologique et historique de Rennes. Lui seul, Féval a sa plaque rennaise sur l’Hôtel de Blossac. Il y est né et ses romans feuilletons trouvent dans le randonneur de quoi nourrir la chronique.
Georges Guitton a tout relu de ses neuf auteurs, les œuvres majeures et les plus oubliées. Dans les hors-radars, il sauve le magistère féminin avec l’œuvre de Raoul de Navery alias Eugénie Saffray, quatre ou cinq romans par an, catholiques et peu enclins à nommer Rennes où elle connut un mariage malheureux !
La littérature prime et peu importe le lieu où ça se passe et dont l’écrivain parle pourvu qu’il parle, écrive, voire (se) réinvente. L’enquêteur Guitton déjoue les pièges en trouvant forfaiture -Nerval est-il l’auteur du Marquis de Fayolle ?, dénégation voire amnésie- Leconte de Lisle, qui vient de l’île Bourbon à Rennes via Dinan, pourrait carrément caviarder sa première œuvre car médiocre et rennaise !
Georges Guitton cherche, érudise, fouine et fouille et c’est jubilatoire ! Le journaliste Guitton trouve le suspense, dégotte le fait divers en tant que turning-point existentiel ! Les Rennais ont leur bibliophile enjoué, c’est l’auteur de Rennes de Chateaubriand à Ubu !
Quel siècle ! Le XIXème invente le romantisme, la celtomanie, les mythologies modernes, c’est le siècle des falsificateurs géniaux dont l’architecte Viollet-Le-Duc pousserait la flèche à l’aigu. Ce siècle au besoin déforme, transforme à ceci près que Rennes, ville de murs et de plafonds, de rues et de rivières rattrape l’écrivain qui s’en défie !
La ville est d’écoles et de fonctionnaires, de profs avec faux-col et air austère !
Les écrivains y seront donc des potaches et leurs facéties potachiques. C’est le cas du grand René même s’il imagine et hyperbolise : Lecteur, je t’arrête : regarde couler les premières gouttes de sang que la Révolution devait répandre. Le ciel a voulu qu’elles sortissent des veines d’un compagnon de mon enfance. Du Chateaubriand ! Il transforme le plomb en or et le réel en mythe ! On a du mal à y croire écrit en écho Guitton ! Potache aussi ce Féval dont le proviseur exige que sa mère exfiltre le fauteur de troubles ou Leconte de Lisle et bien entendu Alfred Jarry dont l’emblématique Ubu a transformé le monde, pataphysiquement !
Joli paradoxe littéraire d’opposer l’art pour l’art de l’un, Leconte de Lisle, et la pataphysique de l’autre. La Vilaine ne sépare pas seulement la ville mais la littérature ! Et ce paradoxe rennais que d’aucun pose la ville en fond d’écran romanesque quand il reste à prouver que - par exemple - le grand Nerval y ait mis les pieds, alors qu’il en conta ! La question demeure, écrit Guitton, Nerval est-il venu à Rennes ? Est-il venu au château de l’Épinay, à l’abbaye de Saint-Sulpice, à Saint-Ouen-la-Rouërie pour y repérer les décors du roman ? Aucune trace de son passage en Ille-et-Vilaine…
Rennes, ville d’apprentissage et d’influences ! Sauf à proposer l’hypothèse que Flaubert et son fameux J’ai grande envie de devenir phoque adressé à Louise Collet en 1851 s’inspire d’un stand calamiteux sur le Champ de Mars à Rennes où barbotait un phoque censé dire papa-maman ! Une autre histoire que nous conte en détails le beau livre hommage à Gustave de Georges Guitton intitulé Le phoque de Flaubert paru pour le récent bicentenaire aux PUR.
Octave Mirbeau revient sur ses terres natales lors du procès des procès, celui de Dreyfus qui remue les remugles et divise la France (le monde !). Mirbeau y assiste sans rien en relater ! En 1880, dans Le Gaulois, Octave énonce des souvenirs de potache : Il y a quelque chose de plus triste que le porte d’une prison, c’est la porte d’un collège, quand les vacances finies, elles se referment sur vous, emprisonnant pour une année votre liberté cabriolante de jeune gamin... Guitton interroge : Rennes serait-elle pour Mirbeau une ville « lacrymale » ? C’est sûr s’agissant de ses souvenirs du Collège Saint-Vincent !
Ville d’apprentissage et de passage. Le grand Alexandre Dumas vient y boire une bolée - menu complet page 127 pour compléter une enquête sur le suicide rennais de l’amiral Pierre-Charles-Silvestre de Villeneuve accusé par Napoléon du marasme de Trafalgar ! Dumas n’en écrira au final rien et ne laissera aux Rennais que le buzz d’une visite éclair, de son humour grivois et une quasi impotence. Même vortex pour Dumas ou Kérouac un grand siècle plus tard ! On passe par Rennes et, en chaloupant, on en repart.
Le monde pour moi, c’était Paris ! s’écrie Paul Féval. Même lui !
Gilles Cervera
Georges Guitton
RENNES de Chateaubriand au Père Ubu / Ed Presses Universitaires de Rennes
Préface de Pascal Ory de l’Académie Française
20€ 180 p