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Livres

Rozenn EVAIN a vécu son enfance et son adolescence à l'île de SEIN et à l'île Molène dans le Finistère. Elle a commencé à travailler à 16 ans sur l'île Molène, puis est arrivée sur le continent à l'âge de dix neuf ans.
Après divers emplois, elle est revenue vivre sur l'île de SEIN où elle dispense des cours de Qi Gong (Art énergétique issu de la Médecine Traditionnelle Chinoise).
Elle a toujours ressenti la nécessité d'une activité artistique. La musique, la peinture, les arts plastiques, mais aussi tout ce qui nous traverse dans notre vie d'être humain, nourrissent une écriture qu'elle s'autorise depuis quelques années à publier.


LE VOYAGE EN MER, Rozenn Evain

18/04/2024


Mots de mer et autres laminaires

Déplions le livre. C’est un cadeau. Comme les cadeaux, il est sous cellophane. Ce filigrane de soie est
doux à travers lequel le titre appert Le voyage en mer. Il était un temps où nous découpions les livres,
couteau sur bureau, coupe-papier, nécessité de quincaillerie.
Aujourd’hui, pour lire Rozenn Evain, non, le doigt suffit.
Nous sommes un enfant maladroit dépliant le pli parfait du petit livre empaqueté, la pastille d’or
collante essuie l’échec, pas longtemps. Nous ouvrons donc ce petit moment carré de 55 pages
joliment calligraphiées. C’est d’abord l’objet qui fait poésie. Le contenu est de surcroit !
De suroît !
Le voyage en mer nous entraîne loin. Poème par à-coups, par respirations, poèmes qui se lit d’un trait
comme on se lance dans l’eau, au bain, et c’est doux à suivre. La prose est courte, nette, appuyée sur
l’onde puissante, élémentaire.
Les abysses font ici une légende.
Ys ? Baie des Trépassés ? Jonas ? Baleine avaleuse ? Ulysse ? Vol des sirènes ! Accrochons-nous au
mât.
La poète qui nous écrit Le voyage en mer est sénane et chaque page l’est.
Chaque page où peu de mots, des respires, des silences et le blanc à l’instar de ce bleu spirituel, quasi
mystique, d’où l’archipel poétique peu à peu dépasse. Le haut des mots est comme une île et le
sommet du canot comme un continent minuscule. Rozenn Evain n’écrit qu’avec la pointe des mots,
juste au-dessus des vagues : Pour nos cœurs agités de tant de remous,/ l’éloignement des terres
garantissait l’ab/sence de réponses aux questions que nous/ n’osions plus poser.
Roches, cailloux, écueils : nous traversons bel et bien.
Quiconque a traversé a pu craindre de n’arriver jamais.
Rozenn Evain recourt à ce nous des légendes, des épopées et nous sommes avec elle, dans ce corps
du début et des fins :
L’océan demeure notre origine, les poumons de toute vie sur terre.
Le nous induit l’immense et l’imparfait du poème ouvre au mythe. Il y a les deux dans ce chant très
court, profond, insistant comme le sel de l’eau. Tous les faux semblants, qui, en mer, n’ont plus de
raison d’être ne brillent plus. Laissons le monde ordinaire. Ici c’est la pleine mer ! C’est d’un autre
ordre ! La décision nous appartient moins. Ou pas.
L’épopée poétique n’est pas qu’éco-anxieuse ou vomitoire, ouverte autant à ce qui échappe et
toujours échappera qu’aux appareillages :
Une terre qui nous accorderait la possibilité de nous attacher. La liberté de nous détacher.
Nous refermons le livre, il est court et court en nous. Comme une traversée d’entre nous, comme
descendre entre soi, comme un long chant de laminaires :
Le corps dans le corps des éléments.
Gilles Cervera

Rozenn Evain, Le voyage en mer, Éditions du Passavant coll Casse, 58 p, 12€

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