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Cinéma

Filmé à hauteur d'enfant, "Apprendre" est un documentaire de Claire Simon, sorti le 29 janvier 2025, qui explore la vie quotidienne d'une école élémentaire à Ivry-sur-Seine. Elle porte un regard sensible et profond sur cette école élémentaire qui est la marque de cette grande réalisatrice.


APPRENDRE de Claire Simon

07/02/2025


Apprendre (la République)

Apprendre est le titre de l’excellent documentaire de Claire Simon.
Y courir en courant, à cloche-pied ou sur les mains mais y courir et pas seulement parce
qu’on aime les profs (le plus beau métier du monde, cf précédant article !) ni parce qu’on les
admire mais parce que presque tous les spectateurs ont été en CP, CE1 et jusqu’au CM2
quand le grand portail s’ouvre sur les grandes vacances et, la trouille au ventre et la gloire
aux yeux, vers le Collège à la rentrée !
Ah que la porte de l’école élémentaire Makarenko est belle quand elle s’ouvre au début du
film. Le directeur a serré dans sa main la main d’un petit garçon aux yeux d’effroi et au front
doux. Que va-t-il se passer ? Où va-t-il aller ? La main du directeur le tient fort dans sa main
et nous suivrons l’enfant durant cette première traversée de la cour de récré.
La cour de récré ?
Non.
L’Atlantique, la Trans Afrique, le monde est à traverser quand on traverse cette école d’Ivry-
sur-Seine.
Claire Simon répond à sa manière ni pontifiante ni solennelle, par l’enfance, à tous les
grincheux de la république d’avant, perdue, abîmée, un mythe évidemment ! Claire Simon
dit la république d’aujourd’hui. Sans discours, sans métalangage, sans commentaire. Elle la
dit par le bon bout, celui des gniards qui la fabriqueront et la fabriquent déjà. La République
d’une cour de récréation et d’une école publique en 2020 et quelques.
République de combat, d’aventures, de monde.
République qui s’apprend grandeur nature avec des mômes qui tâtonnent, paniquent, lèvent
le doigt, jouent à la moitié de 30 et au double de 7, tous les matins, comme toujours, et
comme le lendemain.
Apprendre va dans les deux sens.
On voit même un directeur apprendre des silences d’un élève qui se retrouve trop souvent
dans son bureau parce que les coups de ses petits poings remplacent les mots.
On voit une institutrice rire aux éclats avec les élèves en pleine leçon de république.
Comment le dogme religieux peut être transgressé, ou non, pour sauver quelqu’un ? (En
vingt minutes, en CE2 !) Comment ne pas faire ses quatorze prières par jour et n’en oublier
aucune ? Les enfants rient, se moquent. Ils sont dans le sérieux. Ils apprennent même s’il va
de soi qu’on le voit : la croyance reste à chacun.

On voit une institutrice dire qu’on peut aussi ne pas croire !
On voit une pimbêche à tresses exclure du jeu un petit camarade qui pleure. Sans pitié, la
cour de récré.
On voit des autoportraits d’enfants, c’est l’affiche du film, tous aussi beaux et complexes,
avec des cernes noirs autour des visages roses pour les uns, bruns marrons ou noirs pour les
autres ! La République du monde, ne nous en déplaise, est le plus beau cadeau des temps
modernes, et le plus difficile à faire penser. À la Communale comme disait Pagnol, il se vit !
On voit des enfants nommer la ville où ils vivent, confondre les pays et les continents, la
France ou l’Algérie, chercher l’Asie sur la carte et trouver la République, c’est de la place qu’il
s’agit !
On voit une petite fille qui a tellement de mal à écrire le son M !
On voit l’effort de tenir en place, la patience de la Maîtresse Sophie, ou une autre, peu
importe, regarde-moi dit le maître !
On voit un jeune élève de l’école Alsacienne (correspondance de classe très trans-classe !)
dire qu’on peut être aussi athée !
Apprendre !
Film à recommander à tous ceux qui trouvent que le niveau baisse, que c’était mieux avant,
que le service public malmené a perdu de son imagination et de sa ténacité ! En tout cas la
perte de sens n’est que pour les réacs ! Ici, c’est le sens qu’on apprend et lui qui donne la
direction.
À l’école Makarenko d’Ivry-sur-Seine, on trouve le temps d’apprendre en jouant, en récitant,
en chantant !
Magnifique continuité ! Rassurante républicanité !
Tandis qu’un enfant a tellement besoin de sortir avec son AESH (ce sigle absurde n’est pas
prononcé, fort heureusement !) toutes les heures pour tourner dans la cour à fond sur sa
trottinette.
Courir voir ce fil de Claire Simon y compris en trottinette ! On n’en deviendra pas autiste
pour autant !

Gilles Cervera

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