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Cinéma


Alma viva

21/04/2023



Tras-Os-Montes, le pays ensorcelant

Pas question d’aller au cinéma pour théoriser pour la dix-millième fois une sociologie des émigrants ni une ethnologie des encraoutages et autres désencraoutages. Pourtant !

Alma Viva nous y invite.

Aussi à un regard précis sur l’enfance, à la fois-là, présente, et qui plane au-dessus, adore certaines figures -la grand-mère absolue, comme il y a la note absolue, et, sous cette emprise, endure, subit, vibre et nonobstant se construit. La construction d’une cinéaste !

Alma Viva est le premier long métrage de Cristèle Alves Meira.

Son autobiographie oui, et celle de milliers de petites filles -c’est sa jolie vraie fille de chair et de sang dans la vie qui l’incarne dans le film. Lua Michel, elle a neuf ou dix ans, mettons, et traverse le film d’un bout à l’autre, magique, magnifique, puissante, inquiétante.

Au début, ça sent la mort et l’encens. Les bougies ambrent la nuit, rougeoient l’invisible, on ne comprend pas grand-chose à ces premières images. Qui est mort ? Qui veille-t-on ? Au tout début. Avant générique. On ne comprend d’ailleurs pas tout de ce qui advient ensuite dans ce village du Tras-os-Montes où ça se passe.

L’été.

L’été des feux à l’horizon, des chaleurs insupportables, des morts partout qui errent dans l’air de cendres, l’été d’un village, festif bien sûr, paré de guirlandes en papier, bien sûr, avec fanfares, podium, balluche, et, bien sûr, la métaphysique incroyable des terres à sorcières.
Elles passent dans l’écran, figures inquiétantes, ce sont des masques.

Tous les masques tomberont petit à petit et cela est regardé, observé, scruté, scanné et incompris par les yeux allumés de Salomé, la petite fille en vacances chez sa grand-mère.

Comme tous les étés depuis sa naissance.

Avec les troupeaux de chèvres, le berger bizarre, ça grouille, ça grince, les poules, un chien loup, ce dernier est le maitre des cérémonies qui nous guide, pleure, se gratte, jappe comme un homme, moins inquiétant qu’un homme.

Salomé adore sa grand-mère du village.

Beaucoup d’enfants, c’est comme ça, aime leur mère (et leur père s’il en est !) mais adore leur grand-mère. C’est ainsi souvent que ça se passe et pour ce qu’il en est de Salomé, l’adoration est à prendre au sens plein du mot.

Il faut dire que son corps de grand-mère, de seins énormes, d’épaules immenses, son corps de toilette indécente, de danse avec collants sur bourrelets d’abondance, cette grand-mère enchante. Fée ou sorcière ? Elle oscille. On oscille.

La famille est au cœur de cette histoire portugaise. Le village, la France et ses retours de flammes et de femmes.

Famille écartelée comme il en est tant au Portugal. Un membre ici, un membre là. De ces fratries fractalisées d’où naissent les jalousies, les haines, les rendements de compte sous les cercueils qui volent, fouettent et foirent, culbutent et parfois, contre toute attente, atteignent leur but. On dirait du Kusturica, on voit du Fellini, on pense à Garcia-Marques. Le fantastique réaliste nous ensorcelle ou c’est ce pays, le Tras-Os-Montes *qui nous fait franchir les monts, passer les rives, décoller !

Ici, les femmes sont indécentes et magnifiques. Les hommes aveugles et pas qu’en faux.

Un des fils l’est, pour de vrai. Il reste au pays, cloué à l’amour : alma mater.

Il chante comme un aveugle chante, la mère aussi, elle chante pour l’ange Saint-Georges, un guerrier auquel Salomé se fie comme si c’était son père. Peut-être Salomé est-elle vraiment la fille de Georges le saint guerrier! Qui sait !

Le village se hait, les femmes se trahissent, se concurrencent, se jalousent, se piquent les hommes, les truites et les poulets. Ces derniers, Salomé les mange -rituellement ou les tue -par (pré)destination.

Il y a ici de ces rites primaires, archaïques et pas que des piscines à creuser par des émigrants nouveaux riches dont la bagnole est la plus large et la plus limousine possible. La Pontiac est plus longue que les maisons, plus large que les rues, elle ne passe pas sans rayer à des putains de murs qui s’effondrent : putain de village, j’espère que le polish va pouvoir enrayer la rayure.

Les deux mondes se retrouvent l’été comme tous les étés. Entre temps, la vie a eu lieu, a déroulé au même rythme ses troupeaux tous les jours qui sortent et tous les jours qui rentrent. Les migrants une fois par an reviennent, construisent, creusent et planifient, étalent l’autre monde, exhibent leurs projets et s’ensuivent les regards en coin, les serrements de main et de poings, les anathèmes. Suivent les malédictions et sur fond de forêt en feux : Salomé dort dans les trous de piscine, jouant à la morte, somnambule ou possédée, elle tranche les cous, et regarde, médusée, la voisine étriper les truites comme si c’était son ventre. Exactement de son ventre que la maudite voisine extirpe les tripes.

Vous êtes prévenus : Alma Viva est un film de sorcières. C’est un conte, on l’a compris, de la vie vraie dans une île était une fois : ces villages isolés du Trás-Os-Montes sont des îles.

Le film est baroque, puissant. Salomé reprend le flambeau des femmes, elle est légère de ses croyances et lourde d’un savoir de transmission. Il y aura de la casse, il y aura des décollations, des lapidations, forcément vu les haines recuites, les histoires de fric entre sœurs. Qui a le beau rôle, celle qui reste à laver les fesses ou celle qui revient une fois par an ? Qui aura le pouvoir de transmettre ? Et dans cette transmission, qui n’a rien à voir avec l’héritage, quoi sinon la subtile possibilité de mettre en œuvre le miracle ?

Il aura lieu. Milagre !

La grand-mère est comme ça, même loin, elle est là. Les émigrants sont ainsi, même là, ils sont d’ailleurs. Le cul entre deux mondes, entre deux économies qui se regardent en chien de faïence. Les femmes au final dansent entre elles.

Les morts à la fin ne dorment pas si mal car ils ont bien vécu. Comme après une longue marche, on dort mieux, après une vie sans relâche, on meurt en laissant les fratries, baptismales, se retrouver – sauf le fils des Açores, est-ce le feu qui empêche l’avion de revenir à temps ?

Salomé les regarde et file dans les landes, cherche et trouve le mystère du monde : la vie est plus forte et subsume les corps, fussent-ils d’outrance !

Salomé passe outre. Sa grand-mère vit encore !

    • Signaler à cet endroit, les livres photographiques de Gérard Fourel présenté dans Histoires Ordinaires. Images du Tras-Os-Montes.
    • Et les films de Marc Weymuller où cette région est présente. Notamment le lyrique et formidable La vie au loin.

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