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Cinéma

Après avoir filmé "L'Adamant", un bateau amarré quai de la Rapée à Paris qui accueille en journée les malades atteints de troubles psychiatriques, Nicolas Philibert pose sa caméra dans les unités Averroès et Rosa Parks de l'hôpital Esquirol à St Maurice en région parisienne pour un film qui est sorti en salles le 20 mars. C'est le deuxième volet d'un triptyque qui se terminera pas la sortie, le 17 avril de "La machine à écrie et autres sources de tracas.'


Averroès et Rosa Parks de Nicolas Philibert

26/03/2024


Dans le dur de la folie

Nicolas Philibert est le documentariste fameux d’Être et avoir.
Et du Pays des Sourds. Plus récemment de A l’Adamant dans lequel s’emboîte
ce dernier opus, Averroès et Rosa-Parks, second de la précieuse trilogie
psychiatrique en train de se faire.
Voir la folie en face, la voir au plus doux, au plus humain, au plus près du sens
des mots et de l’insensé des démons intérieurs.
Le film réussit cette prouesse d’être au cœur de la clinique psychiatrique, cet
impossible qu’on sait impossible et qui, pour beaucoup, est impensable.
La folie a toujours été rejetée au plus loin, loin des villes et des âmes, derrière
les plus hauts murs qui puissent être construits. C’est heureusement fini.
Ici, à l’ex-Asile de Charenton devenu Hôpital Esquirol, en lisière du bois de
Vincennes.
Ici, dans cette ville hospitalière dont l’architecture quadrillée, vue d’un drone,
fait inévitablement penser à l’incarcération : ceci est un lieu commun, un
clicheton à pas cher, un jeton de plus dans la machine de la bêtise.
Nous entrons de plain-pied avec le documentariste dans les îlots de cet archipel
de douleurs.
Nous entrons dans les patios de verdure où, entre le fuseau des cyprès, jaillit la
fusion du fou. Les entretiens sont longs et de face.
Filmés précis, comme une écoute supplémentaire, un tiers qui s’appelle regard
caméra et dont les malades jouent et se jouent. Les portraits se font parfois
sans un mot sauf de souffrance muette. Remarquable.
Nous voyons à l’œuvre les dérèglements. L’œuvre des paroles qui sont
l’oxygène d’ici, le sauve-qui-peut psychiatrique. En plus des cris qu’on entend
de loin et qui fait déserter soudain l’entretien l’interne (de garde) devant la
patiente médusée, sidérée, interrogeante. Elle n’aura pas de réponse ni au cri

ni à l’aller-retour précipité et c’est peut-être la seule micro-violence visible de
ce document indispensable à l’honnête homme des temps présents.
Les malades parlent.
Seuls ou en groupe, en silence, en murmure ou en force.
Ils disent leur misère psychique et celle de l’hôpital, ultra lucides en tout y
compris la complication d’être soignants sur fond de carence de moyens et
d’abandon des pouvoirs publics.
Les malades se sont effondrés, ils ne savent plus bien depuis combien de temps
et pourquoi. Hypomaniaques, hyperschizophrènes, ils sont là souvent à vie,
avides de paix. Ah cette patiente vieille et sans âge, visage ravagé, mains
brûlées, qui réclame la paix.
La peur est partout et surtout en eux. À peine apaisée par la chimie, néanmoins
plus précieuse que tout, et que ce fil continu de la parole nécessaire,
absolument soignante, qui ne guérit, on le sait, dans ces paroxysmes, jamais.
Voir ce film est prescrit pour tous ceux qui aiment l’humanité, y compris dans
l’introspection la plus intime : pourquoi y échappe-t-on ?
Pourquoi les polluants, les amiantes ne nous rendent pas tous fous de terreur ?
Pourquoi les guerres à nos portes ne nous rendent pas tous aliénés ?
Pourquoi les paroles parentales ou les fissures familiales ne nous ont pas tous
fait décompenser ?
Il n’y a pas de réponses dans le film. Seulement la plus belle: la folie est notre
humanité puissance dix-mille.

Gilles Cervera

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