On voudrait intituler cet article, où sont les hommes ? Mais ce n’est pas la
question ni le sujet. Pas un dans la salle sauf un, bon, tout dédié au dernier film
de Claire Simon Notre corps.
Notre corps se centre sur celui des femmes, bien sûr, pour ce qu’on pourrait
littéralement et justement nommer un docu de service public !
Oui, Claire Simon fait du service public avec ce film très privé, très intime, très
doux et dur qui va d’in utero ad patres, car l’hôpital public, en l’occurrence
c’est à Tenon que ça se passe, est open ! Jour et nuit ! Open au monde, aux
langues étrangères et à tous les corps, individuels, un par un, qui lui portent
leur souffrance et appellent à l’aide.
Hôpital public pour des corps privés.
Nous y entrons cette fois avec la caméra médiatrice de Claire Simon. La série
Urgences qu’on n’a pas vue est à ranger aux accessoires ! L’écran nous ouvre
les yeux sur ce qu’on ne voit d’habitude pas, y compris de nous.
Nous voir dedans est rare car les corps de ceux qui sont à l’écran deviennent
paradigmatiques, universels. Si près si loin des nôtres.
Comment ne pas vibrer avec cette seringue longue et fine qui fait entrer le
spermatozoïde (ah un homme, enfin !) dans l’ovocyte ! Vous savez quoi ? Ce
geste est très technique, évidemment, on le savait ! Mais ce qu’on apprend,
c’est que la technicienne ou le technicien qui font ce geste connaissent l’enjeu,
retiennent leur souffle, croisent les doigts, espèrent quoi sinon que la vie
éclose, advienne.
Tout est beau, doux et mesuré dans ce long docu de trois heures où tout est
souffle, parole, technicité, diagnostic terrifiant et accompagnement au mieux.
Est-ce parce que la caméra est un biais que les soignants tentent toujours au
mieux de parler, de faire comprendre, de dialoguer ? Pas sûr. De toute manière
le dialogue est asymétrique, la souffrance d’un seul côté, la solitude extrême
un peu souvent proportionnelle à la sollicitude.
La jeune femme enceinte qui souffre au pire d’un cancer génétique a un regard
caméra, c’est-à-dire qu’elle s’adresse à Claire Simon : Nous, les femmes, nous
sommes faites pour souffrir, n’est-ce pas ?
Cette jeune fille de dix-sept ans qui veut avorter est formidablement accueillie
par des paroles qui lui restituent dignité et responsabilité alors que la
culpabilité saturait sa capuche. Cette vieille dame qui meurt, toutes chimios en
échec, la médecin lui caresse la main longuement pour lui dire que ça va
bientôt être la fatigue qui gagnera. Cette vieille femme si fatiguée reste
absolument digne et responsable malgré le combat perdu contre la maladie.
Et Claire Simon, elle-même, soudain, elle qui passant au début du film la porte
en souhaitant que l’hôpital ne soit pas contagieux est soudain projetée de
l’autre côté par le cancer de son sein. Diagnostic cruel, paroles de malade
insécurisée, la cinéaste, sans peser, va affronter l’autre versant, la face nord de
son corps.
Docu à affronter en toute sécurité.
Il ne rend pas malade. Il permet d’entrer dans un staff (beaucoup d’hommes,
soudain !), avec les plaisanteries, les hargnes, les moqueries et les orgueils
parfois démesurés des toubibs.
Le film nous projette face caméra au miracle informatique, au joystick élaboré
qui agit les ciseaux. Ces derniers coupent à distance les masses adipeuses de
l’endométriose. Disons-le, on est médusés. On reste jusqu’au bout, œil ébloui,
dans notre chair de Notre corps même si c’est un homme qui regarde.
Confiteor !
Gilles Cervera
question ni le sujet. Pas un dans la salle sauf un, bon, tout dédié au dernier film
de Claire Simon Notre corps.
Notre corps se centre sur celui des femmes, bien sûr, pour ce qu’on pourrait
littéralement et justement nommer un docu de service public !
Oui, Claire Simon fait du service public avec ce film très privé, très intime, très
doux et dur qui va d’in utero ad patres, car l’hôpital public, en l’occurrence
c’est à Tenon que ça se passe, est open ! Jour et nuit ! Open au monde, aux
langues étrangères et à tous les corps, individuels, un par un, qui lui portent
leur souffrance et appellent à l’aide.
Hôpital public pour des corps privés.
Nous y entrons cette fois avec la caméra médiatrice de Claire Simon. La série
Urgences qu’on n’a pas vue est à ranger aux accessoires ! L’écran nous ouvre
les yeux sur ce qu’on ne voit d’habitude pas, y compris de nous.
Nous voir dedans est rare car les corps de ceux qui sont à l’écran deviennent
paradigmatiques, universels. Si près si loin des nôtres.
Comment ne pas vibrer avec cette seringue longue et fine qui fait entrer le
spermatozoïde (ah un homme, enfin !) dans l’ovocyte ! Vous savez quoi ? Ce
geste est très technique, évidemment, on le savait ! Mais ce qu’on apprend,
c’est que la technicienne ou le technicien qui font ce geste connaissent l’enjeu,
retiennent leur souffle, croisent les doigts, espèrent quoi sinon que la vie
éclose, advienne.
Tout est beau, doux et mesuré dans ce long docu de trois heures où tout est
souffle, parole, technicité, diagnostic terrifiant et accompagnement au mieux.
Est-ce parce que la caméra est un biais que les soignants tentent toujours au
mieux de parler, de faire comprendre, de dialoguer ? Pas sûr. De toute manière
le dialogue est asymétrique, la souffrance d’un seul côté, la solitude extrême
un peu souvent proportionnelle à la sollicitude.
La jeune femme enceinte qui souffre au pire d’un cancer génétique a un regard
caméra, c’est-à-dire qu’elle s’adresse à Claire Simon : Nous, les femmes, nous
sommes faites pour souffrir, n’est-ce pas ?
Cette jeune fille de dix-sept ans qui veut avorter est formidablement accueillie
par des paroles qui lui restituent dignité et responsabilité alors que la
culpabilité saturait sa capuche. Cette vieille dame qui meurt, toutes chimios en
échec, la médecin lui caresse la main longuement pour lui dire que ça va
bientôt être la fatigue qui gagnera. Cette vieille femme si fatiguée reste
absolument digne et responsable malgré le combat perdu contre la maladie.
Et Claire Simon, elle-même, soudain, elle qui passant au début du film la porte
en souhaitant que l’hôpital ne soit pas contagieux est soudain projetée de
l’autre côté par le cancer de son sein. Diagnostic cruel, paroles de malade
insécurisée, la cinéaste, sans peser, va affronter l’autre versant, la face nord de
son corps.
Docu à affronter en toute sécurité.
Il ne rend pas malade. Il permet d’entrer dans un staff (beaucoup d’hommes,
soudain !), avec les plaisanteries, les hargnes, les moqueries et les orgueils
parfois démesurés des toubibs.
Le film nous projette face caméra au miracle informatique, au joystick élaboré
qui agit les ciseaux. Ces derniers coupent à distance les masses adipeuses de
l’endométriose. Disons-le, on est médusés. On reste jusqu’au bout, œil ébloui,
dans notre chair de Notre corps même si c’est un homme qui regarde.
Confiteor !
Gilles Cervera